Dimanche 4 mars.
Sasha n'avait rien trouvé à la volière qui indiquât que son hibou était arrivé à destination. Il était monté vérifié deux fois par jour depuis deux semaines. Une fois le matin, et une fois le soir.
Puis il s'était dit que c'était ridicule : s'il avait du courrier, le hibou devrait le lui apporter directement sans passer par la volière - et puis, il effrayait systématiquement la nuée d'oiseaux qui vivaient là et qui arrêtaient de piailler dès qu'il entrait dans la volière. Certains le regardaient de haut, méfiants, et d'autres s'envolaient. A croire que ces bestioles avaient un sixième sens. Il n'avait jamais aimé les piafs de toute façon.
Donc, il avait décidé que désormais il résisterait à l'envie d'aller vérifier. Sa journée de travail chez OCQ l'avait suffisamment occupé pour y parvenir. Mais depuis ce matin, il avait lutté : il s'était levé, était allé prendre son petit déjeuner, puis était passé par la bibliothèque pour essayer de faire ses devoirs, sans grand succès. Puis c'était l'heure du déjeuner. Et après quoi ?
Après, il était monté à la volière.
Il en redescendait les mains dans les poches, la mine renfrognée, se maudissant de n'avoir pas su résister à la tentation. Il avait peut-être assez de courage pour être un Gryffondor, mais jamais assez de volonté, se morigénait-il, quand une voix l'interpela, comme sortie de nulle part.
Sasha se retourna pour voir arriver la Poufsouffle qu'il avait déjà rencontré dans les cours de préparation au Tournoi - le vague souvenir de l'épisode de la coupe de cheveux lui revint en mémoire, mais Chadwick n'était pas du genre à revenir se moquer de lui. Elle avait même été plutôt une chouette camarade pendant le cours d'astronomie.
- - Salut, croassa-t-il en réponse, enfonçant ses mains dans les poches de son jean, avisant les mèches humides de Sam avant de se remettre en marche, une fois qu'elle l'eût rejoint pour cheminer à ses côtés. Ca va. Et toi ?
Simple formule de politesse : il n'avait même pas réfléchi à sa réponse. Sasha avait des cernes sous les yeux, mais à part ça, il avait le même air que d'habitude. Un peu boudeur, un peu rustre. C'était peut-être juste son visage au repos. L'allure décontractée de Sam, toutefois, le mettait suffisamment à l'aise pour déambuler à ses côtés. Un beau soleil illuminait les premiers jours de mars, et beaucoup d'élèves en avaient profité pour aller dans le parc. Lui traînait comme on aurait fait une ronde dans un château insuffisamment gardé. : sans destination, seul le chemin semblait compter.
Soudain il eut un mouvement pour regarder derrière eux, mais il n'y avait personne.
C'était plus une exclamation surprise, en réalité, qu'une véritable question. C'était juste qu'il ne voyait jamais Sam sans le reste de la bande. En réalité, surtout à partir de la cinquième année, les élèves se déplaçaient majoritairement par groupes à Poudlard - comme la Brochette - ou au moins par deux. Les rares qui comme lui déambulaient seuls entre les classes avaient tendance à raser les murs, comme s'ils étaient fautifs de quelque chose de fondamental. Lui semblait moins s'inquiéter de ce qu'on le jugeât d'être seul : il ne faisait pas d'efforts pour disparaître, se contentait simplement de jeter des regards hostiles les élèves qui semblaient remarquer sa solitude, comme pour les défier de faire un commentaire. Les garçons l'ignoraient, sauf quelques Serpentards. Les filles se tenaient distantes, en particulier les Serpentards.
Mais avec Sam, c'était différent. Peut-être parce qu'il n'avait pas ce sentiment de rivalité, puisque ce n'était pas un garçon. Peut-être parce qu'il n'avait pas non plus ce sentiment d'être jugé, puisque ce... n'était pas non plus tout à fait une fille.
Sam était juste Sam.
C'était bien comme ça.
Il haussa les épaules, poursuivit sa route. Ce n'était pas à lui que Ferguson et Ambrose allaient manquer. On entendit au loin un coup de sifflet - une équipe profitait du week-end pour s'entraîner sur le terrain de Quidditch. Sasha porta un instant son regard dans cette direction, vers la fenêtre, comme on flânerait devant une vitrine, vaguement intéressé mais sans aucune intention d'acheter quoique ce soit.
- - J'ai entendu que t'étais une sacrée batteuse. C'est dommage qu'il n'y ait plus de Tournoi de Quidditch, j'aurais bien aimé voir quelques cognards se perdre dans l'équipe des Serpentards.
Rien que pour la perspective d'avoir le droit d'envoyer des projectiles sur cette maison hostile, il aurait été prêt à apprendre vraiment à jouer au Quidditch.