C’est enfin l’heure. Tes affaires sont prêtes, et tu t’apprêtes à quitter cette petite maison de campagne à laquelle tu avais fini par t’attacher. Ton cœur se serre à l’idée de ne jamais la revoir. Pourtant, tu vas la revoir, au moins durant les vacances scolaires. Mais cette idée ne te rassure pas. Il faut avouer que, pour un esprit aussi volage que le tien, quelques mois peuvent apparaître comme une éternité. Qui sait si, à ton retour, tu te souviendras encore de sa façade blanche, de son toit de chaume, ou de ces plantes colorées qui grimpent le long du crépi... Reconnaîtras-tu cette odeur caractéristique, mêlant les senteurs de la pierre au doux parfum des fleurs ? Et la douceur de l’herbe sous tes pieds, ne l’auras-tu pas oubliée ? Ce foyer d’adoption te semble déjà loin, et pourtant tu n’es toujours pas partie.
Le moteur de la voiture ronfle déjà, Jeff pianote sur le volant en sifflotant tandis que tu observes la maison pour tenter d’en graver tous les détails. Il manque juste Sybil, mais tu ignores où elle est. Sans doute veut-elle vérifier que vous n’avez rien oublié. Ou alors...
Oh, non. Elle voulait juste ramener Jack. Ou le traîner derrière elle, plus précisément. Les voilà qui sortent ensemble de la maison pour rejoindre la voiture. Le garçon s’installe à côté de toi sans dire un mot, le visage maussade. Sybil s’installe à l’avant.
- Jack a insisté pour t’accompagner, dit-elle avec un sourire.
C’est un mensonge ; Jack ne t’a jamais aimée. Il était certes très content en apprenant ton entrée à Poudlard, mais sans doute pas pour de bonnes raisons. À ton avis, c’est plutôt sa mère qui a insisté pour qu’il vienne avec vous. Elle pense sûrement que cela va vous rapprocher.
Heureusement, tu n’as rien à dire. La voiture s’ébranle, et vous partez enfin en direction de Londres. Jeff et Sybil parlent avec entrain sans même vérifier que Jack et toi les écoutez. Alors, tu gardes le silence durant l’entièreté du trajet – ça ne change pas de tes habitudes. Ton esprit s’égare bien vite dans des champs inconnus. Tu y vois toutes sortes de choses. Une locomotive rouge vif, un château, et un éclair de cheveux roux.
En moins d’une heure, vous arrivez à Londres. Il vous faut bien une heure de plus pour passer les embouteillages et rejoindre la gare de King’s Cross. Fort heureusement, les Turner étant des gens très prévoyants, vous arrivez à destination avec une bonne avance. Cela vous laisse du temps pour visiter les lieux – et vous repérer, surtout.
Tu ne vois pas de quel côté se trouve la voie 9 ¾, celle dont le sorcier t’a parlé (le monsieur de Poudlard, celui qui est venu t’annoncer que tu étais une sorcière). Alors, tu essaies de te souvenir de ce qu’il t’a dit précisément...
- Il n’y avait pas une histoire de mur ? demande Jeff en regardant sa montre.
- Si, dis-tu. On doit rentrer dans un mur, je crois.
Sybil s’arrête pour réfléchir. Elle observe un moment autour d’elle, puis s’écrie :
- C’est la voie numéro 9 ¾, c’est bien ça ? Alors, nous devons aller entre les voies 9 et 10. C’est logique !
Toute la famille t’accompagne jusqu’au fameux mur situé entre les deux voies. Fort heureusement, vous n’avez pas à vous demander si vous êtes au bon endroit : une famille passe en trombe devant vous et disparaît derrière les briques. En voyant cela, tu dois te retenir de pousser un cri. Mais, au moins, tu sais comment te rendre sur la voie 9 ¾...
Seule Sybil va t’accompagner jusqu’au train. Jeff et Jack vont attendre de ce côté-là.
Le câlin d’adieux que t’offre ton pseudo-père te réchauffe un peu le cœur. Celui de ton pseudo-frère te glace le sang. Car Jack, qui n’avait toujours pas pipé mot depuis le départ de la maison, a attendu de te serrer fort contre lui pour te glisser à l’oreille :
- Pas la peine de revenir pour les vacances, tu sais. Papa et Maman t’auront déjà oubliée.
Tu te dégages de son étreinte sans attendre, les larmes aux yeux. Ton corps tremble comme une feuille malgré tous tes efforts pour te contenir. Tu ne veux pas que les Turner te voient comme ça, alors tu tournes les talons et commences à t’avancer vers le mur. Bien sûr, ils vont t’oublier. Tu n’es qu’une pièce rapportée dans leur vie, comme te le rappelle Jack à la moindre occasion. Pourras-tu seulement revenir dans leur jolie maison de campagne ?
La main de Sybil enserre soudain ton épaule, ce qui te fait sursauter. Tu te rends alors compte de ta bêtise. Les Turner t’ont adoptée, ils te considèrent comme leur fille. Ils ne vont pas t’abandonner comme ça. Et comme tout parent digne de ce nom, ils t’accompagnent pour ton entrée dans le monde des sorciers. Tu n’es plus seule, et tu ne le seras plus jamais.
Tu passes le mur de briques sans même t’en rendre compte, trop contente de pouvoir compter sur le soutien de ta nouvelle mère. Derrière, vous découvrez la locomotive rouge dont l’homme t’avait parlé : le Poudlard Express. Sur le quai, des hommes, des femmes et des enfants discutent, font leurs adieux, se prennent dans les bras...
Avec Sybil, tu longes le train à la recherche d’un wagon qui n’est pas trop rempli. Tu places ta valise dans un filet à bagages encore vide, puis tu te retournes vers ta pseudo-mère. Des larmes coulent le long de ses joues roses. Alors, sans réfléchir, tu cours la serrer dans tes bras. Elle te rend ton étreinte en riant.
- N’oublie pas de nous écrire, te souffle-t-elle à l’oreille. Raconte-nous tout ce qui se passe ! Nous ferons pareil quand nous aurons compris comment fonctionne votre système postal. Mais j’espère quand même que nous n’aurons pas besoin d’acheter un hibou...
C’est à ton tour de rire devant son air soucieux. Tu n’as pas l’habitude de rire, cela te fait un bien fou. Et c’est le cœur léger que tu pars t’asseoir dans un compartiment vide. Sybil reste à la fenêtre pour attendre avec toi l’heure du départ.
Il ne faut pas plus de quelques minutes pour qu’une personne fasse irruption. Une petite rouquine qui te demande si elle peut s’installer avec toi – mais qui n’attend pas ta réponse pour s’installer bel et bien. Elle dit s’appeler Wendy, et elle est accompagnée d’une mignonne petite chouette.
- Salut, dis-tu d’une voix à peine perceptible. Vas-y, installe-toi...
Peu importe qu’elle t’entende puisqu’elle s’est déjà assise. D’ailleurs, elle ne t’écoute même pas. Elle fait de grands signes de la main à quelqu’un – sûrement son père. Tu en profites pour faire de même avec Sybil. Puis, enfin, un coup de sifflet retentit et le train s’ébranle. Très vite, le quai 9 ¾ s’éloigne et, après un virage pris par la locomotive, disparaît carrément. Tu te retrouves de nouveau seule, ou presque.
Tu jettes un coup d’œil à la fille qui te tiens compagnie. Wendy. Peut-être est-elle originaire d’une famille de sorciers. Peut-être connaît-elle déjà Poudlard. Pour toi qui n’y connais rien, c’est une occasion en or d’en apprendre davantage. Mais tu n’as pas l’habitude de parler aux gens, tu ne sais pas par où commencer pour faire connaissance. Alors, pas trop sûre de toi, tu bredouilles :
- Elle... elle est jolie, ta chouette. Comment elle s’appelle ?