Il était plutôt rare de voir Noah habillé d’autre chose que de son indémodable complet pourpre. Certains chuchotaient même qu’il portait du pourpre jusque dans son lit, mais ce n’étaient là que des rumeurs. Nul, en vérité, n’aurait pu dire ce qu’il portait chez lui, puisque bien rares étaient ceux qui y avaient été de jour déjà… alors de nuit. Toujours est-il que ce jour-là, c’était dans une tenue bien plus discrète et passe-partout que nous retrouvions le Chef du Bureau des Aurors sur le Chemin de Traverse. D’ailleurs, si vous ne saviez pas que c’était lui, vous n’auriez sans doute jamais pu le deviner.
Car au-delà de sa tenue, c’était son faciès et son attitude générale qui avaient été modifiés. Vêtu d’une robe marron légèrement rapiécée, le sorcier dont il avait pris les traits avait un nez crochu, de petits yeux verts vifs, une tignasse rousse mal peignée et le dos légèrement voûté. Lorsqu’il se déplaçait, son corps semblait manquer une pièce… claudiquant tant bien que mal, il grommelait dans sa barbe, jetant des coups d’œil furtifs de gauche à droite, comme s’il cherchait quelqu’un en particulier.
Arrivé au milieu de la rue, son regard se posa sur un homme qui semblait, comme beaucoup d’autres en ce jour de fortes chaleurs, siroter tranquillement son jus de citrouille à la terrasse d’un commerce. Sa description correspondait en tous points à ce que les différents rapports qu’il avait lus disaient de lui. Car oui, si vous ne l’aviez pas encore compris, Noah n’était pas là pour faire du shopping. Il était en mission. Pas de premier ordre, je vous l’accorde, mais tout de même. Pour le sorcier, tout ce qui lui permettait de mettre le nez en dehors de son bureau était une aubaine qu’il ne fallait pas négliger.
Alors un réseau de vente de faux billets pour la Coupe du Monde de Quidditch, c’était inespéré mais bienvenu pour digérer les différentes déconvenues qui accompagnaient l’organisation d’un tel événement. D’autant plus que, si les informations qui lui avaient été fournies étaient exactes, nous ne parlions pas ici d’un magouilleur isolé. Les quelques billets qui avaient pu être saisis étaient d’une ressemblance troublante et certains enchantements de sécurité avaient même été dupliqués sur ces faux.
L’une des hypothèses évoquées dans les rapports était qu’un membre du Ministère de la Magie était impliqué. Élément suffisamment délicat pour que le Chef du Bureau des Aurors puisse s’emparer de l’affaire, pour son plus grand bonheur.
S’installant à la table de l’homme, il s’éclaircit la gorge et, détaillant son visage comme s’il le jaugeait, adopta un air troublé, comme s’il n’était pas sûr de s’adresser à la bonne personne.
— Eh bien ? Que puis-je pour vous ?
À nouveau, Noah s’éclaircit la gorge avant de répondre d’un ton chevrotant.
— J’ai ouï dire que vous pouviez avoir des places pour la finale, est-ce vrai ?
L’homme haussa un sourcil, l’air méfiant.
— Et qui raconte ce genre de chose ?
McBride. Un nom revenait dans plusieurs rapports. L’homme semblait tenir le rôle de rabatteur dans l’affaire. À sa seule mention, le visage de l’homme s’éclairât et il arbora un sourire de commercial.
— Combien ?
— Quatre places, finale uniquement, je n’ai pas les moyens de… enfin voyez…
L’homme arbora un air faussement compatissant avant de plonger la main dans la poche intérieure de sa robe, sortant quatre billets dorés aux reflets bleus-verts.
— Tarif standard, voilà qui fera 20 Gallions.
Un prix, soyons clairs, qui défiait toute concurrence. Un billet, même mal placé, se vendait difficilement en dessous de dix Gallions pièce et, avec la rupture de stock actuelle, les prix avaient plutôt tendance à s’envoler.
Tendant une bourse à l’homme, Noah prit les billets en retour et les examina avec attention. L’homme vérifia le contenu de la bourse et Noah en profita pour lancer un rapide sortilège sur les billets qu’il avait en main. Confirmant que c’étaient bel et bien des faux, il adressa un sourire radieux au vendeur, qui haussa un sourcil devant la manœuvre.
— Eh bien ?
— Eh bien, vous allez me suivre, cher monsieur. Sans faire d’histoires et sans résister, ça vaudrait mieux pour tout le monde.
Il rangea les billets dans une poche de sa robe et en sortit son badge du Bureau des Aurors. L’homme pâlit avant de renverser la table sur Noah d’un brusque mouvement de la main. Se levant à la hâte sans demander son reste, il s’élança à travers la rue, la foule se fendant sur son passage. En vain.
D’un rapide mouvement du poignet, Noah lança #[Incarcerem] et prit le temps de replacer la table avant de rejoindre l’homme ligoté au sol d’un pas paisible. Son nez semblait avoir éclaté lors de sa chute et Noah pinça les lèvres d’un air renfrogné.
— J’avais dit sans histoire…
Il soigna le nez de l’homme, présenta son badge aux passants circonspects, ne sachant s’il convenait d’intervenir, puis s’éclipsa dans un craquement sonore, ne laissant derrière lui qu’une scène de stupeur où chacun ne savait vraiment ce qui venait d’arriver. Lui, de son côté, était ravi… l’enquête allait pouvoir sérieusement commencer.