On lui a souvent dit que sa naissance fut moins laborieuse que celle de son frère. Le travail prit moins de temps. Fut moins douloureux. Elle glissa vers le monde, comme si elle était pressée de le rencontrer. La première chose qu'elle vit, fut sans doute les visages flous des médecins et/ou sages-femmes, maïeuticiens, qui entouraient sa mère, dans cette pièce aseptisée d'un hôpital d'Huddersfield. Puis elle vit sa mère. Son père. Evidemment, elle ne se rappelle pas de ces premières minutes, de la première bouffée d'oxygène qui traverse les poumons et du cri de l'être venu à la vie.
En vérité, comme chez tout le monde, les premières années de sa vie ne sont rien d'autre qu'un vaste flou dans sa mémoire. On dit que les enfants commencent à se constituer leur stock de souvenirs à partir de trois ans. C'est peut-être vrai. Des images qui arrivent en flash, rappel d'un événement, d'un sourire, d'une parole.
Pourtant, il est faux de dire qu'avant trois ans, l'enfant n'imprime rien du tout.
Les choses restent. Dans l'inconscient, peut-être. Mais les sons, les odeurs, les sensations au bout des doigts ou au bout des tripes, le cerveau les range et les classe. Yeux ouverts, on ne se rappelle pas. Mais il est possible de s'y replonger dès qu'on bascule dans un autre monde -rêves, hypnose.
Que verrait Amanda, si elle pouvait fouiller ainsi ses trois premières années ?
Il y eut le retour de l'hôpital. Ses parents vivaient à Dewsbury, le voyage mit une bonne demie-heure en voiture. C'est son grand-père -le père de sa mère- qui les conduisit, toutes les deux, jusqu'au foyer familial. Dan n'était pas là. Dan avait autre chose à faire. Dan était occupé. Très occupé. Comme toujours. Amanda comprit vite que le Dan-occupé était son Papa. Il était là lors de sa venue au monde. Le lendemain, il n'était déjà plus là. Et c'était normal. Pour son frère, né deux ans avant elle, Dan n'était pas non plus resté très longtemps. Il avait seulement assisté au travail. Et Ophelia -Maman- avait dû se débrouiller pour revenir à la maison. Mais ce n'était pas grave. Dan fait beaucoup de choses, il faut le comprendre.
Après le retour de l'hôpital, il y eut la rencontre avec Andy, le frère. Haut comme trois pommes, tenant fièrement sur ses deux jambes potelées.
Puis il y eut le début de la vie quotidienne.
Maman ne travaillait pas. Elle s'occupait des enfants. Papa avait un tranquille boulot dans une agence immobilière d'Huddersfield.
Il est difficile de dire quand la peur commença à s'accrocher à Amanda, comme une sangsue impossible à décoller. En vérité, il n'y a pas vraiment de début. Parce qu'elle avait toujours été là. Même avant sa naissance. Certains diraient qu'elle avait commencé quand Andy s'était développé dans le ventre de Maman. Mais même ça, c'est faux. La peur avait toujours été là. Muette et invisible au début. Puis de plus en plus présente à mesure du temps.
Il est difficile de dire à quel moment précis avait commencé la boucle. Lorsqu'Amanda arriva, celle-ci était déjà bien installée.
Isolation : Ophelia, déjà coupée de ses anciens collègues de boulot, finit, peu à peu, par se détacher de ses amis. Et même de sa famille. Parce que Dan n'apprécie lesdits amis. Parce qu'elle passe trop de temps avec sa famille, pas assez avec lui.
Tension : il y a des soirs où ça ne va pas. Où la fatigue s'accumule. Où tout est prétexte à une tension. Ophelia continue d'y croire : ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Andy pleure beaucoup la nuit. Le sommeil est sans cesse entrecoupé, il faut se lever, le calmer, essayer de se rendormir, c'est lourd, à la longue.
Explosion : un rien, qui fait partir les cris. Les coups donnés dans le mur, les menaces verbales, envers Ophelia, envers Andy -si tu ne fais pas taire ce gosses, je te jure, je m'en charge moi-même.
Réconciliation : parce que ce n'était qu'un mauvais moment, parce que mauvaise journée, mauvaise nuit, au boulot, ça patine, excuse-moi, ça ne recommencera plus.
La boucle est bouclée ; on peut recommencer.
L'enfant retient. Inconsciemment. Il retient.
Si elle pouvait fouiller à loisir ses trois premières années, sans doute que Amanda entendrait encore les reproches.
« Mais quelle mère es-tu ?! Tu as vu ce que ton fils a fait ?! »
« Pourquoi t'as cuisiné ça ? Tu sais très bien que je n'aime pas ! Tu ne fais jamais attention à moi, de toutes façons »
« Tu les gâtes trop, ces gosses »
« Depuis qu'ils sont là, tu ne m'aimes plus. Tu m'aimes moins. T'es toujours avec eux »
Et puis les insultes.
« Sale chi*nne, tu étais où cet après-midi ? Pourquoi t'as pas répondu à mes textos ? »
« C'est qui ce type ? Hein, c'est qui, traînée, va »
Et le bruit des objets qui valsent. Les bouteilles qui se brisent au sol. Les poings contre le mur. Les cris, encore les cris. Les plaintes, les explications étouffées, les cris, les pleurs, les cris, les larmes, les excuses. Les bras de son frère autour d'elle, deux enfants serrés l'un contre l'autre face à l'adversité.
Aussi loin que remontent ses souvenirs, Amanda a toujours eu peur. Pour elle, un peu. Pour son frère, un peu plus. Pour sa mère, énormément.
Le soir était synonyme d'angoisse. Une fois une certaine heure passée. Elle écoutait les bruits du dehors. Reconnaissait entre mille le bruit du moteur de la voiture. A la maison, tout le monde savait qu'il fallait que tout file droit à cet instant-là. Les devoirs devaient être faits. La table mise. Le dîner prêt. Les enfants en pyjama, prêts à aller au lit après le repas.
Parfois, ça se passait bien. C'était une soirée banale. Comme en connaissent toutes les autres familles. Avec une pointe de tension en plus.
Mais d'autres fois, ça explosait.
L'une et l'autre situation alternait sans arrêt. Sans logique particulière. Il fallait se tenir prêt. C'était ça, le quotidien.
Amanda ne reçut jamais de coups. Pas plus que son frère. Mais ils furent témoins silencieux et apeurés. Jusqu'au jour où, après un long chemin et un long combat, Ophelia décida de quitter son mari. Amanda avait neuf ans passés. Une procédure de divorce fut enclenchée. Et malgré la séparation, la situation ne fut pas tellement plus facile.
Il fallait trouver un travail -passer de femme au foyer à femme en emploi.
Il fallait se battre pour la garde des enfants.
Il fallait se battre contre soi-même, tiraillée entre les souvenirs et le refus de laisser grandir des petits bouts d'humain sans père.
Après de longues procédures par avocats interposés, la situation finit par se stabiliser.
Il fut décidé que les enfants ne verraient leur père qu'un week-end sur deux, jamais assez long pour qu'il s'énerve, pour qu'il explose. Des visites malgré tout malaisantes. Parce qu'à travers les enfants, on maintient l'emprise, le contrôle, on s'enquiert de ce que devient l'autre. Malgré tout, la vie commença à se reconstruire. Avec les suivis médicaux, les suivis psychologiques, le besoin de parler, goutte à goutte.
On dit que le chemin est bon. Et que l'avenir sera beau.
Pourtant, l'année de ses onze ans, Amanda reçut une lettre semblable à un coup de poignard : sorcière, magie, Poudlard. Eloignée de sa mère et de son frère dont elle ne pouvait plus prendre de nouvelles rapidement -le téléphone portable, ça ne fonctionne pas trop là-bas- elle vécut une année d'angoisse et de colère. Refusant la vérité et l'obligation de faire sa scolarité ailleurs. Loin. Craignant à chaque instant que la situation bascule, que sa mère et son frère se retrouvent à nouveau en danger.
Trois ans plus tard, Amanda s'est réconciliée avec sa nature sorcière. Car depuis trois ans, il ne s'est rien passé de grave. Sa mère a refait sa vie avec un autre homme, un beau-père qui est bien plus père que ne l'est Dan. Son frère est un grand gaillard de 15 ans. Et son père a fini par lâcher l'affaire, faisant office de parent absent lorsque ses enfants viennent le voir.
Caractère : Amanda est calme, plutôt silencieuse et consciencieuse. Elle ne participe pas beaucoup en classe mais écoute avec attention. Elle s'applique toujours sur ses devoirs et donne le meilleur d'elle-même. Très ordonnée et carrée, elle fait en sorte que tout, dans son quotidien, soit bien réalisé. Ayant grandi dans un foyer où chaque chose devait être à sa place et bien faite pour espérer éviter les explosions, elle conserve cette tendance perfectionniste.
Peu rebelle de nature, elle a plutôt tendance à suivre les ordres et les conseils.
Solitaire, elle n'aime pas les grands groupes et le small-talk l'épuise. Elle préfère lire un livre au bord du lac noir ou observer le saule cogneur s'agiter.
Elle n'estime pas avoir besoin d'une grande bande d'amis. Une ou deux personnes de confiance sur qui elle sait pouvoir compter en toute circonstance font l'affaire.