En dehors du Château Londres Sainte-Mangouste [En Cours] Oubliettes [ft. Oonagh Aisling]

Leslie Harrison , Quatrième étage de Sainte Mangouste, le 13/08/2124

Le pas tranquille, Leslie s'avance dans le dédale de rues larges, particulièrement bondées. L'été a rameuté son lot de touristes sur la capitale, malgré des nuages gris qui continuent de s'amonceler au-dessus de leur tête. La sorcière ne prête guère attention à quiconque, les mains enfoncées dans les larges poches de sa veste. Son regard est ailleurs, de même que ses pensées. C'est ce jour de la semaine. Sa silhouette frêle ne tarde pas à bifurquer sur le boulevard recherché, puis à s'engouffrer dans un magasin d'apparence désaffecté, non sans avoir échangé avec l'un des mannequins plantés derrière sa vitrine sale. L'ambiance change alors du tout au tout. Sorciers et sorcières s'entassent dans un hall large bercé d'une lumière magique blanchâtre. Plusieurs sont vêtus de blouses vertes annonçant un poste privilégié au sein de l'hôpital.

 

Dirigée vers l'accueil avec la force de l'habitude, Leslie s'annonce de nouveau, comme visiteuse de la chambre 312, au quatrième étage.

 

- Quinten Harrison.

 

On ne la fait guère patienter plus de quelques minutes avant de lui accorder le droit de grimper vers sa destination, et elle ne marque aucune pause devant la porte affublée du numéro 312. C'est à peine si elle toque avant d'ouvrir la chambre, et de s'y engouffrer.

 

- Papa ? Papa, c'est Leslie.

 

Son père est posté à la fenêtre, perdu dans la contemplation du paysage. Il se tourne distraitement vers elle, avant d'en revenir au paysage morne qu'offre la cour intérieure.

 

- J'ai déjà été examiné, sortez.

- Je ne viens pas t'examiner papa. Tu as mangé ?

 

Elle approche, lui plante un baiser sur la joue, dépose son manteau sur le dossier de la chaise atrocement blanche. Les murs sont couverts de photos diverses, de posters de groupes sorciers, de publicités pour des guitares que l'homme a lui-même designé.

 

- Leslie ?

- Oui, c'est moi. C'est ce jour de jour là. Un jour heureux, donc. Leslie a un sourire doux qui lui fend les deux joues, alors qu'elle s'installe sur la même chaise où elle a déposé son manteau. Tu vas bien papa ?

- Je suis en retard au travail. Où est ma poudre de cheminette ?

- Tu ne travailles pas aujourd'hui, papa, tu te souviens ? On est dimanche. Est-ce tu veux qu'on aille faire un tour dehors ?

- Non, non il pleut, tu vois bien.

- Ah.

- Où est ton père ?

- Il est parti faire des courses. Il reviendra bientôt. J'ai apporté un jeu, elle déclare en sortant ses cartes mouvantes.

- Le Bungle ?

- Oui, on se fait une partie ?

- En attendant Abraham alors. Vous êtes gentille.

 

Leslie a un sourire crispé avant de commencer à étaler les cartes sur la table. 

 


Oonagh Aisling , Quatrième étage de Sainte Mangouste, le 13/08/2124

Dis-moi quelque chose que je ne sais pas encore, lui disait son reflet fatigué. Assoiffée de découverte, assoiffée par son métier, la blonde en fait toujours trop. Cela se voit, cela se sait, pourtant personne n’en fait rien. Parce que la plupart de ses collègues sont comme elles. Ils enchaînent les heures supplémentaires, ils se tuent à la tâche entre les soins et les recherches médicales. Des aller-retours entre les étages, entre les bureaux et les chambres. On se dit qu’on veut bien faire, qu’on veut guérir les gens, qu’on veut améliorer le monde. Alors que derrière le rideau, on s’effondre petit à petit. Oui… Oonagh avait besoin de vacances. 

Elle passe une main dans ses cheveux, finit sa bouteille d’eau. Elle sort son calepin pour voir s’il lui reste beaucoup de choses à faire aujourd’hui. Pas mal. Il semblerait qu’elle va encore traîner dans les couloirs assez tard. Au moins, ça lui évitera de se demander ce qu’elle doit faire pour le lendemain. Pressant le pas, elle se dirige vers la chambre où un de ses patients l’attend. Une vieille dame, qui n’a pas beaucoup de visite. Aisling y reste un petit bout de temps. Il y a beaucoup à faire, en dehors du social. Elle doit s’assurer que tout va bien, que le traitement fonctionne -au moins un peu. Ce n’est pas un étage facile où tout le monde peut être soigné. C’est même le contraire, certains sont là depuis des années sans avoir la possibilité de sortir. C’est ce qu’elle aimerait pouvoir changer, un jour, peut-être. 

 Quand une autre personne rentre dans la pièce pour terminer certains soins, la demi-vélane s’en va. Direction la chambre 312 cette fois-ci. En chemin, elle trouve la pensine dont elle a besoin et les souvenirs du jour, contenus dans une fiole. D’un Wingardium Leviosa, elle transporte tout le matériel, en faisant attention à ce que personne ne la bouscule. Elle n’est pas loin de la chambre, elle ne va pas s’embêter avec un chariot. Doucement, elle toque à la porte même si c’est déjà ouvert. Il y a de la visite. Cela tombe mal. C’est un moment particulier qui ne peut être esquivé. Bonjour. Monsieur Harrison, Madame. Excusez-moi, je tombe mal. Malgré tout, la blonde s’avance. Elle doit faire son travail. On ne l’avait pas prévenu que quelqu’un serait là. Elle ne peut pas modifier son emploi du temps d’un claquement de doigts malheureusement. Je dois procéder à un de ses traitements malheureusement, ça ne prendra pas très longtemps. Elle installe le tout, puis ses yeux se posent sur la jeune femme. Le souvenir du jour que votre père va voir concerne son métier… Nous l’avions extrait il y a quelque temps. Mais peut-être voulez-vous partager un de vos souvenirs ? Quelque chose que nous n’avons pas et qui pourrait l’aider le concernant ?


Leslie Harrison , Quatrième étage de Sainte Mangouste, le 13/08/2124

- Hey mais tu triches !
- Comment ? Ça fait Bungle là, tu vois bien ! Deux carreaux et trois trèfles !
- Cette carte était pas un carreau y a pas trois secondes et j...

- Oh, bonjour.

- Miss Asiling ! Elle triche !
- C'est peut-être juste pour vérifier qu'tu suis...

 

D'une main elle plaque les cartes sur la table avant de tout rassembler pour faire de la place, se levant par la même occasion. Un regard d'excuse en direction de la médicomage avant d'adresser un sourire à son père. Ce dernier maugrée toujours dans sa barbe, enfoncé dans son siège les bras croisés comme un enfant.

- Oh.

La demande de la médicomage la surprend. Seul Jack avait été sollicité pour verser des souvenirs en vue d'un traitement pour le cas de son père, et pour cause : ils avaient une vie commune qui s'étendait sur plus de cinquante ans. Les deux hommes s'étaient rencontrés alors qu'il n'était que des écoliers, et ne s'étaient depuis jamais vraiment quitté. Il était d'ailleurs la seule personne que Quinten ne manquait jamais de reconnaitre, quelque soit son état. Leslie vivait très durement le fait que ce ne soit pas son cas.

 

- Je ne suis pas sûre...

 

Aujourd'hui était un bon jour. Le sorcier n'avait glissé qu'une ou deux fois avant de se reprendre, l'appelant par son prénom et agissant avec elle comme il l'avait toujours fait. Peut-être ce genre d'initiative solidifierait cela ? Elle se pince brièvement les lèvres, son regard coulissant vers la série de photographies accrochées sur les murs qui revient finalement vers la guérisseuse.

- Pourquoi pas ? Un sourire énigmatique s'est accroché à ses lèvres, une brillance nouvelle dans le regard.

Parfois, Leslie se demande si elle héritera de cette maladie qui ronge son père à mesure que passent les jours. Jack lui assure que non, mais qu'en sait-il ? Elle a toujours eu bonne mémoire, mais Quinten également. Sa carrière démontre d'une dextérité certaine dans son domaine de prédilection, qui nécessite de cumuler de nombreuses connaissances dans des sujets plus divers que variés. Des sujets qu'il semble toujours maîtriser à ce jour par ailleurs. Ce qui lui échappe est le plus commun. L'ordre des choses. Leurs noms. Leur chronologie. Il semble comme perdu dans une bulle étroite dans laquelle ses souvenirs se pressent les uns contre les autres, éliminant des éléments superficiels ici et là jusque déformer complètement l'ensemble. Ça le rend parfois aigri, d'autres fois plus confus qu'un enfant.

- Je crois que j'ai exactement le souvenir qu'il nous faut, elle annonce en pressant ses doigts contre le dossier de la chaise sur laquelle repose son manteau.

Leslie avait sept ans lorsqu'elle a été autorisée à entrer dans l'atelier de son père pour la première fois. Un jour marquant dont elle se souvient avec une clarté sans précédent. Il avait pris le temps de longuement lui expliquer la manière dont il travaillait, pourquoi il était tant attaché à ce qu'il faisait, tout en manipulant avec ses doigts habile le manche d'une guitare qui trônait aujourd'hui dans son propre salon. Décoration infantile. L'instrument était définitivement trop petit aujourd'hui pour qu'elle puisse encore en jouer, et n'était devenu que la représentation d'une passion qui n'avait depuis fait que grandir pour devenir une vocation. Ne sachant pas comment compte procéder la médicomage, Leslie patiente simplement, habitée d'une anxiété absurde que le souvenir ne fasse guère écho dans l'esprit de son père.