Poudlard Le Château [En Cours] Chambre Sans Vue

Katherine Dennison , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

Clac, clac, clac, faisaient les talons de Miss Dennison, sur un rythme régulier. Lorsqu'elle arpentait ainsi les couloirs de Poudlard, la pierre du château semblait avoir perdu encore quelques degrés, si c'était possible : ses pas résonnaient avec la même austérité que renvoyait sa tenue : des bottes noires en cuir à talons à demi dissimulées par une jupe longue et grise. Par dessus un chemisier blanc, sa robe de sorcière pesait lourd et s'envolait derrière elle en un traîne impérieuse. C'était un tissu visiblement lourd et cher, qu'elle avait l'habitude de porter, et qui rappelait aux professeurs qui la croisaient qu'ils n'avait pas le même salaire. C'était vrai, pourquoi s'en cacher ?

 

- Votre bureau se trouvera ici, Miss Dennison, fit la voix mielleuse de l'intendant - un petit homme aux cheveux grisonnants qui se pressait à la suite de l'Auror comme s'il s'était agi du Ministre de la Magie en personne. Le précédent Auror est parti en catastrophe, je ne sais pas ce qui s'est passé, j'espère que ce n'est pas un problème avec Poudlard.

- Mais non, voyons, avait-elle coupé sèchement en découvrant le placard à balai qui lui servirait de bureau.

 

De toute façon, si ça avait quoique ce fut à voir avec Poudlard, ce ne serait pas à l'intendant qu'elle en parlerait. Kate se planta devant l'encadrement de la porte avec une moue passablement dépitée.

 

- Vous voulez que je vous apporte quelque chose ? Peut-être du bois pour le feu ? Ou...

- Ca ira, merci. Je vais aménager correctement tout ça moi-même.

- Bon, bon, fit l'intendant, visiblement déçu. La chambre du petit est juste de l'autre côté de cette porte, mais il est encore en cours à cette heure-ci.

 

Kate darda ses yeux sur une lourde porte en bois sertie de gros verrous en métal. Il faudrait donc traverser son bureau pour atteindre l'enfant, si toutefois quelqu'un était assez fou pour vouloir braver la sécurité de Poudlard et venir le chercher jusqu'ici.

 

- C'est parfait, approuva-t-elle devant les moyens sur lesquels la Direction de Poudlard n'avait visiblement pas lésiné. Vous pouvez me laisser.

 

Déjà elle s'emparait de la porte de son bureau pour la refermer, histoire de s'isoler du couloir, et l'intendant se retrouva face à un panneau de bois, dans le couloir, immobile. A l'intérieure, Kate jeta un regard circulaire sur l'endroit : une cheminée, un gros bureau en bois, un lit et une armoire. C'était rudimentaire. Entre l'armoire et le bureau, l'énorme porte. D'un coup de baguette, sans avoir le besoin de formuler à voix haute le sort, Kate fit s'ouvrir le battant épais : de l'autre côté, une petite chambre était dotée d'un lit comme le sien, un bureau très petit et une grosse malle. Il y avait un coin sanitaire. Et c'était tout. Mais sûrement un luxe pour un enfant soldat russe, jugea-t-elle, car au moins, c'était propre et il y avait même des livres, des parchemins et des fournitures scolaires de toute sorte empilées sur le bureau. Aucune fenêtre cependant. 

 

- Katherine.

 

Kate sursauta en se tournant vers le feu : dans l'âtre, une tête était apparue. C'était Austin Fuchs, le coordinateur qui lui avait affecté sa mission. C'était un homme à la peau sombre, incorrigiblement flegmatique, mais plutôt agréable au demeurant.

 

- Austin. Je ne pensais pas que tu serais là pour le plaisir de guetter ma réaction. Quel voyeurisme.

 

L'homme leva les yeux au ciel - ou plutôt vers le conduit de la cheminée au-dessus de lui.

 

- Contrairement à ce que tu penses, je ne me réjouis pas de te voir t'installer ici, même si j'aime t'affecter des missions qui te déplaisent.

- Pauvre de moi, soupira Kate.

- Pauvre gosse, tu veux dire. Tu as lu son dossier ?

- Evidemment.

- Lenhart était ici avant toi.

- Il a eu peur d'un gamin ?

- Non, il ne pouvait pas dormir la nuit. Rapport à l'une de ses anciennes missions où toute son équipe est morte à cause d'un obscurial. Il a failli faire un arrêt cardiaque une nuit, alors on l'a autorisé à sortir en urgence, et il n'a plus voulu revenir. On a prétexté un problème de santé auprès de la Direction de Poudlard.

- Oh ! s'exclama Katherine en croisant les bras. C'est le risque de mettre des vieux à ce genre de mission. J'espère que tu as un autre sexagénaire après moi, je risque de mourir d'ennui pour ma part.

- Arrête. Tu sais qu'au fond c'est une mission plus importante qu'il n'y paraît.

- Si il a du potentiel. Ce que je demande à voir.

- Tu le sauras bien assez vite. Bref, je devais te prévenir que de nouveaux enfants russes et ukrainiens ont rejoint Poudlard aussi cette année. Ce pourrait être problématique, entre de potentiels espions qui risqueraient de l'approcher et... On ne sait jamais, si les gosses décident de nous faire un remake local de ce qui se passe à quelques milliers de kilomètres d'ici. On n'est pas à l'abri, et un incident pourrait avoir des conséquences sur nos relations diplomatiques avec un camp comme un autre. Je te fais pas un dessin...

- Ce ne sera pas nécessaire, merci. Je garderai l'oeil ouvert.

- Bien. Bonne chance, Kate.

 

 

 

 

 

Quelques heures plus tard, quand l'enfant finit par toquer, apparaissant dans un joli uniforme de Gryffondor, Katherine lui ouvrit et l'invita à entrer avec le sourire plus aimable qu'elle pouvait produire. Il avait intérêt à en profiter, car il apprendrait vite qu'elle ne souriait pas si souvent que cela.

 

- Entrez, monsieur Polyanski. Veuillez vous asseoir.

 

Une chaise était apparue devant le gros bureau de bois. Dans l'âtre ronflait un feu tranquille, qui réchauffait quelque peu la pièce aux meubles qui s'étaient magiquement habillés de quelques babioles collectionnées par Katherine : des tablettes gravées, ici une médaille, là un bouquet de fleurs dans un vase. A part ces quelques souvenirs, il n'y avait dans ces effets personnels ni photo du passé, ni même le moindre objet qui aurait pu être un souvenir d'une vie affective passée. L'endroit donnait l'impression d'être dans un musée. Katherine tendit la main au garçon, pour serrer la sienne avec solennité.

 

- Je suis Katherine Dennison. Vous pourrez m'appeler Miss Dennison. Je serai l'Auror qui veillera sur vous désormais, suite au malheureux accident dont a été victime votre précédent gardien.

 

Elle fit le tour de son bureau pour aller s'asseoir en face de lui. Entre eux, un parchemin était déroulé, et une plume sagement posée à côté ; mais Kate n'y toucha pas, préférant croiser les mains sur le bureau et darder sur l'enfant un regard scrutateur.

 

- Veuillez me résumer vos efforts dans les différentes matières à Poudlard et leurs résultats, je vous prie.


Nikolaï Polyanski , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

Nikolaï n'était guère perturbé par le changement d'auror qui devait s'effectuer. A dire vrai, il ne semblait pouvoir être ébranlé par quoi que ce soit, et lorsqu'il frappa à la porte il attendit simplement l'autorisation pour pénétrer à l'intérieur. Par habitude, il se tenait droit, la tête haute, les bras figés le long du corps en un garde-à-vous permanent. Il s'autorisa tout de même à tendre l'un de ses bras afin de serrer la main qui lui était tendue, d'une poigne brève et ferme, avant de simplement obéir en s'asseyant sur la chaise.

 

Il fixait un point droit devant lui, sans qu'il ne fut possible de dire s'il regardait vraiment l'Auror en face de lui ou un point sur le mur derrière elle. Il avait les mains posées à plat sur ses genoux, le dos si droit qu'il ne ressemblait en rien à un quelconque autre enfant de son âge. La vie qu'il vivait à Poudlard depuis son arrivée était si différente de tout ce qu'il avait connu jusqu'ici qu'il en était totalement perdu, bien qu'il n'en laissait rien paraître. Il se contentait de rester poli et respectueux, de ne parler que lorsqu'on lui adressait la parole, et d'obéir aux adultes, aurors comme professeurs, en se disant que tout cela ne durerait pas et qu'il rentrerait bien chez lui un jour ou l'autre.

 

Rien dans son attitude ne laissait paraître une quelconque curiosité vis-à-vis de la femme qui lui faisait face. Aucun regard vers le peu de décoration. Rien que ce regard fixe et cette posture figée. 

 

- J'ai pas très bonnes notes, répondit-il avec un accent si prononcé qu'il en était difficile de comprendre les mots.

 

Non seulement il avait beaucoup de mal à faire de la magie, mais en plus il n'était pas sûr de le vouloir. Il avait passé toute sa vie à être persuadé que la magie était mauvaise et qu'il ne fallait en aucun cas l'utiliser, au risque de subir les pires tortures qui soient, et voilà qu'il lui fallait l'apprendre, tout en étant entouré d'un tas d'enfants incapables de se tenir correctement, le tout dans une langue qu'il peinait à maîtriser. Ajoutez à cela les lacunes des années précédentes, que ses quelques cours de rattrapage lorsqu'il était encore en observation n'avaient en aucun cas comblées, et vous comprendrez qu'il n'avait aucune chance d'être un bon élève.

 

- En bota..., il buta sur le mot, incapable de trouver la fin, et se reprit sans sembler s'en préoccuper plus que cela.  Avec les plantes, bien. Le balai aussi.

 

Le reste était catastrophique. Dès qu'il lui fallait se servir de sa baguette magique, le résultat était totalement aléatoire, et rarement celui attendu. En histoire de la magie, il ne comprenait pas un traître mot de ce qu'il se disait. Ne restaient que les potions, mais il peinait à déchiffrer les recettes. Il ne comprenait pas pourquoi il devait apprendre tout cela. Il était un soldat. Il devait se battre. Sa place était sur le front, pas dans une école. D'ailleurs, l'auror précédent ne se préoccupait guère de ses résultats scolaires. Il ne s'approchait de lui que pour vérifier la solidité du sceau.

 

- Vous vouloir regarder le sceau ? L'homme avant regardait.


Katherine Dennison , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

 

Katherine avait croisé les mains devant elle, sur le bureau. Ses doigts s'entrelaçaient au-dessus d'un dossier dont la couverture indiquait le nom de l'enfant. Absorbée par son observation méticuleuse du russe, elle avait plissé les yeux, le buste légèrement en avant.

Certes, l'attitude de Nikolaï Polyanski était irréprochable. S'il se montrait toujours aussi obéissant et direct, il serait en effet un sujet d'étude qui ne l'agacerait guère. Pourtant, le doute et la méfiance devaient subsister : il avait visiblement subi un endoctrinement profond et même avec le sceau, on n'était pas à l'abri qu'il utilisât tout simplement ce qu'il avait sous la main pour faire rendre gorge à qui que ce fût qu'il jugerait comme du camp ennemi. Et un meurtre entre enfants issus de la guerre à Poudlard, cela ferait tâche pour le Ministère de la Magie.

Aux précautions qu'elle envisagerait de prendre à ce sujet, elle entendait déjà geindre ses collègues ("Oh Kate, ce n'est qu'un enfant !") mais Madame Dennison en avait vu d'autres, des enfants : les camps qu'elle avait vus pendant son séjour à Kaboul, certes remplis de bambins moldus, l'avait définitivement convaincu qu'on pouvait facilement endoctriner un enfant pour aller se faire exploser en mille morceaux sur le parvis d'un aéroport à l'autre bout du monde. Alors, que pouvait-on faire avec un enfant sorcier ?

 

Katherine acquiesça avec lenteur aux propos du garçon, mais elle n'avait pu empêcher une légère grimace.

 

- Votre anglais est très mauvais, remarqua-t-elle de sa voix sèche. Nous devrons travailler cela ensemble à l'oral et à l'écrit. Je parle Russe moi-même, aussi je pourrais vous aider si vous cherchez vos mots. Je vous aiderai d'ailleurs chaque soir à faire vos devoirs afin que vous amélioriez vos résultats rapidement.

 

Tout en parlant, Katherine avait ouvert le dossier sous ses doigts. A l'intérieur, seulement des pages vides d'un papier de parchemin fin, élégant. La femme s'empara d'une plume dans un pot à plume et en trempa la pointe dans un pot d'encre.

Botanique : médiocre, Vol : médiocre, Anglais et toutes les autres matières : catastrophique, écrivit-elle d'une petite écriture serrée.

 

- Je regarderai ensuite. D'abord, j'ai d'autres questions et quelques recommandations, monsieur Polyanski.

 

Elle n'avait en effet pas un intérêt particulier pour le sceau qui avait été appliqué à Nikolaï. Comme ce n'était pas son travail, elle le trouverait mal fait de toutes les façons. Autant remettre cette insatisfaction à plus tard.

A la place, elle poursuivit :

 

- Parlez-vous d'autres langues que le russe et l'anglais ? Des dialectes, par exemple. Savez-vous correctement lire des cartes ? Seriez-vous capable de me montrer, par exemple, d'où vous venez sur une carte de la Russie ? Ou bien d'identifier des lieux précis par lesquels vous seriez passé avant d'arriver ici ?

 

Certainement que le Ministère désapprouverait un tel interrogatoire, si tôt dans l'année. Katherine n'avait pas de temps à perdre, cela étant dit. A mesure qu'il répondait, elle notait soigneusement ses réponses et parfois des commentaires de son propre cru.

 

- Nourrissez-vous quelconque sentiment de colère, de haine, ou d'autres émotions fortes à l'égard des personnes que vous rencontrez à l'école, monsieur Polyanski ?

 

Chaque fois qu'elle s'interrompait dans l'écriture, elle relevait vers l'enfant des yeux perçants, comme pour lire les expressions de son visage : mais le russe était aussi imperméable qu'une vitre blindée. Elle se pencha un peu plus, pour poursuivre à voix moins forte, mais parfaitement intelligible tant elle prenait soin de détacher correctement ses mots.

 

- Nourrissez-vous quelconque sentiment de colère, de déception, ou de tristesse à l'égard de souvenirs récents ou anciens, qui vous reviendraient en mémoire ? La nuit, par exemple ? Vous arrive-t-il d'être pris de pulsions de violence ? D'avoir une forte envie subite de faire du mal à quelqu'un, même à vous-même ?


Nikolaï Polyanski , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

Nikolaï ne cilla pas lorsque l'Auror lui indiqua que son anglais était mauvais. Ni même lorsqu'elle annonça qu'elle l'aiderait pour ses devoirs. Il se moquait bien de ses résultats scolaires. Ils n'avaient strictement aucun sens à ses yeux. Mais si c'était là ce qu'ordonnait celle à qui il devait obéir, il s'y plierait sans rechigner. 

 

- Bien Madame, répondit-il d'ailleurs avec cette conviction militaire qui ne le quittait pas.

 

Il aimait bien l'idée qu'elle parle russe elle aussi. Sans doute que les échanges en seraient facilités. Peut-être pourrait-elle lui expliquer ce qu'il faisait réellement là, parce qu'il n'en avait toujours pas la moindre idée. On lui avait parlé d'une vie normale. Mais ici, à Poudlard, rien ne semblait normal à Nikolaï. Bien au contraire, il avait l'impression d'avancer dans un monde totalement imaginaire qui n'avait aucun sens. Ce qui en avait, en revanche, c'était bien les questions de Miss Dennison qui semblait parfaitement savoir mener un interrogatoire. 

 

- Parler ukraine, biélorusse, et un peu allemand, pour comprendre ennemis, avoua-t-il simplement. Il s'agissait là d'informations qu'il avait déjà donné aux autorités. En revanche, en ce qui concernait les cartes, il planta son regard dans celui de son interlocutrice avant de répondre. Moi pouvoir, mais pas faire. 

 

Ils avaient déjà pris les informations qu'ils désiraient directement dans son esprit. Les initiations à l'occlumancie qu'il avait eu n'avaient guère été concluantes, puisqu'elles appelaient à la magie qu'il refoulait en permanence. Les deux conditions étaient tout simplement inconciliables, et il n'avait donc pu empêcher quiconque de prendre les informations directement dans sa tête. Il préférait cependant garder ses lèvres scellées en signe de loyauté.

 

Les questions suivantes n'étaient pas plus attrayantes. Il garda le silence de longues secondes, se contentant de fixer la femme avec l'air impassible qui le caractérisait. Elle n'était cependant pas si facilement impressionnable, et il finit par céder.

 

- Sentir est pour les faibles. Je sens pas. Je tuer personne, ni la nuit ni le jour. Plus maintenant. Mais faire beaucoup de sport. Pour sortir l'énergie.


Katherine Dennison , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

- Han-han, faisait madame Dennison pour manifester son intérêt pour les réponses du garçon tandis qu'elle notait d'une écriture rapide.

 

La pointe de sa plume, avec sa vivacité, rappelait le bec rapide d'une poule traquant toutes les petites graines et insectes desquels se délecter dans une terre riche.

Madame Dennison s'interrompit dans son écriture assez subitement, pour relever le regard vers Nikolaï ; et dans les yeux de la femme, on eût cru voir un éclat d'exaltation.

 

- Je vois que vous avez parfaitement conscience des enjeux liés aux informations que vous possédez, déclara-t-elle avec un sourire entendu.

 

D'une certaine manière, elle apprenait là ce qu'elle souhaitait : l'obéissance de Nikolaï s'arrêtait là où commençait sa loyauté pour sa patrie. Quel bon soldat, songea-t-elle avec une nostalgie douce-amère. Et puis, elle se remit à noter.

 

- Han-han.

 

La plume semblait picorer par elle-même.

 

- Bien, très bien le sport, approuva-t-elle avec un signe de tête et d'une voix légèrement absente - ou plutôt, préoccupée par d'autres choses. Je vais mettre cela dans votre dossier. Ils apprécieront.

 

Katherine se garda bien de définir de qui elle parlait. Ca n'avait pour le moment pas beaucoup d'importance - pour le garçon, en tout cas.

Si l'accent britannique de la femme évoquait un raffinement particulier, on percevait dans sa voix le souffle et le craquement d'un âge qui lui avait fait perdre en fraîcheur. Son timbre évoquait celui d'un violoncelle dont les cordes usées étaient activées par un archer dont la mèche rugueuse se serait rigidifiée avec le temps pour donner des sons plein de crépitements discrets, et pourtant doux comme le grain d'un parchemin usé.

 

- Quelle est votre compréhension des raisons pour lesquelles vous êtes ici, monsieur Polyanski ? reprit-elle.

 

Arrivée au terme de ses notes, elle posa momentanément sa plume, avant de croiser les bras sur sa poitrine. L'éclat brillant de ses yeux était toujours là, comme s'il avait chaviré de l'exaltation à une curiosité tranquille, prête à s'éveiller de nouveau. Quand elle se penchait, comme pour mieux examiner le garçon devant elle, ses cheveux impeccablement lisses tanguèrent avec elle ; un peu comme si des vagues dansaient autour de Nikolaï, phare dressé au milieu d'un océan dont il ne connaissait rien. Pauvre enfant, aurait-on pu penser, mais Katherine ne pensait jamais comme la masse, et c'était bien cela qui lui avait valu d'aller si loin dans sa carrière.

 

- Vous comptez retourner à la guerre, monsieur Polyanski ?

 

La question ne sonnait pas comme interrogative. C'était plutôt une évidence avancée, et pour la ponctuer elle s'affubla d'un sourire légèrement douloureux.

 

- C'est normal. Que diraient vos parents, si vous ne nourrissiez pas ce souhait ? Ils auront honte de vous, n'est-ce pas ? questionna-t-elle d'une voix un peu plus douce, les sourcils froncés pour partager cette terrible situation que devait être celle de Nikolaï.


Nikolaï Polyanski , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

Le prenait-elle pour un idiot ? La question se posait réellement. Les anglais avaient cette étrange tendance à penser que ceux qui obéissent aux ordres ne sont pas capables de réfléchir. Ils ne pourraient avoir plus tort. La Russie ne formait pas des imbéciles, et les soldats, bien que parfaitement obéissants, n'en restaient pas moins capables de réfléchir par eux-mêmes. C'était nécessaire, si, par exemple, ils se trouvaient séparés de leur bataillon et de leur supérieur. En ce qui concernait Nikolaï, ses supérieurs n'étaient jamais avec lui sur le champ de bataille, histoire de ne pas faire partie des victimes collatérales. Il paraissait donc évident qu'il était bien conscient de ce qu'il représentait, que ce soit en tant qu'arme ou en tant que mine d'informations.

 

Pourtant, il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Le bureau des Aurors l'avait déjà interrogé plusieurs fois. Ils s'étaient d'ailleurs bien assurés de ne passer à côté d'aucune information, en allant les chercher directement à la source sans qu'il n'ait pu y faire quoi que ce soit si ce n'est serrer les dents alors qu'il trahissait involontairement son pays. 

 

- Je ne sais pas. Je ne pas comprendre pourquoi devoir aller à l'école. Je ne suis pas comme les autres enfants ici, répondit-il très sincèrement.

 

Il observa à nouveau cette femme étrange, et ses questions qui l'étaient tout autant. Evidemment, qu'il comptait retourner à la guerre. Il était né pour cela. Pour servir sa chère patrie, même si cela signifiait le payer de sa vie. Il était très bon sur le terrain, même lorsque l'Obscurus n'était pas libéré. Il était vif, agile, parfaitement entraîné, et d'une obéissance absolue. Le soldat parfait. Il ne lui manquait plus qu'une force digne d'un adulte pour être le prototype exact de ce que recherchaient ses supérieurs. 

 

- Pas de honte. Je suis très bon soldat. Je faire tout comme il faut. Eux savoir. Vous avoir fait de moi un traître. Honte sur vous, ajouta-t-il soudainement, ses yeux glacés rivés dans ceux de son interlocutrice.

 

Il ne nourrissait pas le moindre sentiment de honte de son côté. Il n'était pas responsable des informations qu'il avait partagé contre son gré. Aucune torture n'aurait eu raison de sa loyauté. Seul son manque de magie était à blâmer quant à son incapacité à devenir un Occlumens digne de ce nom. Ses piètres tentatives de protection avaient été soufflées avec une telle facilité qu'il n'était même pas sûr que les Legilimens les aient remarquées.

 

- Alors, vous dire à moi pourquoi je suis ici ?

 

 


Katherine Dennison , Au fond du couloir du troisième étage, à droite après la salle d'Histoire de la Magie, le 18/09/2124

Katherine avait écouté avec un intérêt non dissimulé. Quand bien même ses bras étaient restés croisés sur sa poitrine, ses yeux froids étaient restés rivés sur le visage de l'enfant - dont la véhémence se manifesta, elle aussi glaciale, en quelques mots accusateurs. La femme se contenta de sourire.

 

- Bien sûr, bien sûr, approuva-t-elle d'un ton apaisant, comme si elle avait obtenu une réponse malgré lui sans qu'il eût eu besoin de la formuler.

 

Et en effet, elle recevait chacune des réactions de Nikolaï comme autant d'informations sur ses mécanismes psychologiques. La façon dont les gens se défendaient en disait toujours long sur la façon dont ils se jugeaient eux-mêmes.

Katherine décroisa les bras, pour mieux venir s'accouder au bureau. Le feu ronronnait toujours, perdait peu à peu de sa vigueur. La lumière qui se tamisait conférait à l'endroit une sensation plus intime... ou plus inquiétante, c'était selon l'appréciation. Katherine se sentait quant à elle déjà à l'aise dans ce petit bureau insignifiant d'une école : il y renfermait à présent plus de défis et de secrets que les salles de réunion du Ministère n'en détenait parfois. C'était une femme de terrain, qu'on l'admît ou non.

 

- Vous voulez la version officielle ou la version officieuse ?

 

Les termes étaient peut-être trop élaborés pour qu'il comprît la nuance. Katherine eut une brève moue pour signaler que ça n'avait pas d'importance. A son âge, mieux valait certainement s'en tenir aux déclarations officielles. Elle prit une inspiration pour réciter avec la lenteur nécessaire à la compréhension de Nikolaï.

 

- L'Angleterre et d'autres pays se sont réunis pour établir des lois sorcières internationales, dans lesquelles il est mentionné que nul pays ne doit engager des enfants - a fortiori sorciers - pour conduire des opérations militaires.

 

Elle s'interrompit en haussant les sourcils, comme dans l'attente d'un signe de compréhension du garçon. Puis elle eut une drôle de mimique, qui semblait vouloir dire : oui, moi aussi, je trouve que c'est idiot. Ou en tout cas, un signe de dépit, d'acceptation désabusée.

 

- Aussi, lorsque ces pays trouvent des enfants qui ont servi une armée, ils les extraient pour les mettre en lieu sûr, le temps qu'ils grandissent. Et ensuite, s'ils le veulent, une fois adultes, ils peuvent retourner se battre. Mais ils ont aussi la possibilité de refaire leur vie loin de la guerre.

 

Katherine n'avait aucune idée des statistiques. Combien d'entre eux retournaient rejoindre les rangs ensuite ? Elle s'en fichait comme d'une guigne : elle ne faisait pas dans l'humanitaire mais dans la protection des intérêts de la communauté sorcière de l'Angleterre. Elle avait pourtant conscience que le problème était de taille pour Nikolaï - deviendrait-il adulte au vu de ce qu'abritait son corps ? - mais elle n'en montrait rien : pas d'affect particulier, pas d'inquiétude ni d'empathie particulière.

Du plat des deux mains, elle s'appuya sur le bureau pour se lever, repoussant légèrement le fauteuil derrière elle.

 

- Bien. Montrez-moi ce sceau maintenant, exigea-t-elle.

 

Katherine agita sa baguette en silence : un orbe de lumière blanche se forma dans les airs à ses côtés, conférant subitement à l'endroit une atmosphère froide et chirurgicale.