Ma cape d'obsidienne, maintenue fermée par une broche délicatement travaillée et marquée du sigil emblématique de Valcourt, ne dissimule que partiellement mon chemisier en organdi de soie ivoire, d'une légèreté éthérée - les poignets sont brodés de fils d'or fins. Noué autour de mon cou gracile, le foulard signature de la maison, en crêpe de soie enchantée d'un bleu nuit profond, dans lequel j'enfonce un menton glacé. Mon pantalon, taillée avec une précision parfaite dans une gabardine de laine noire, met en valeur ma silhouette élancée tout en me protégeant d'un automne qui se fait rigoureux. Du bout de mes bottines en cuir verni - réhaussées de délicats motifs gravés à l'aide d'un sortilège d'embossage -, je bute contre la pierre d'un muret dressé là et à demi tombé en ruines.
Je suis en avance bien sûr. Je le suis toujours. À cette heure matinale, Pré-Au-Lard est complètement désert, et le froid semble avoir pris possession de chaque chose. Mon regard se dresse sur l'horizon, et alors que ma montre indique neuf-heure moins deux, je te vois remontant le sentier d'un pas assuré. Ta ponctualité, impeccable, n'a rien de bien surprenant. Ni en retard, ni en avance, tu arrives précisément à l'heure prévue. J'envie, quelque part, cette faculté que j'estime porutant tout à fait déraisonnable. Les imprévus sont si vite survenus que je préfère pallier à toute éventualité en me rendant à tous mes entretiens avec un minimum d'un quart d'heure d'avance. Tournée vers toi, je lève un menton fier, patiente jusqu'à ce que tu arrive à ma hauteur pour te saluer. Une main tendue, un sourire de courtoisie, un regard incisif sur ta tenue que je juge plutôt peu à la hauteur au vu de l'endroit où nous nous rendons.
- Lyle.
Je m'écarte pour révéler la pièce de cuivre qui fera œuvre de notre départ vers la France. Un portoloin réclamé des mois plus tôt par Papa, prévu pour neuf heures précise à cet endroit. Heure que nous avons atteint pratiquemment à la seconde où nous nous sommes serrés la main. Immédiatement donc, et d'un mouvement communs, nous touchons les bords de l'objet minuscule avant de nous faire happer par un crochet violent qui nous entraine à des kilomètres d'ici. Bien que j'ai l'habitude de ces méthodes de transport - barbares si on me demande mon avis -, j'en ressens toujours une profonde nausée. De la poche de mon pantalon, je tire une boîte métallique dont je tire une pastille sensée me faire recouvrir un semblant d'équilibre intérieur, et d'un geste je t'en propose une. Tu ne peux que les connaître. La boîte est refermée d'un claquement sec une fois la transaction effectuée, et je claque mes bottines sur un sol bétonné sans doute un peu triste. La météo est aussi grisonnante qu'elle ne l'était en Écosse, et il fait bien plus sombre du fait du décalage horaire. Ici, le soleil n'a pas fini de se lever.
- Voici l'ambassade. Nous allons être pris en charge tout de suite, nous rencontrerons mon père après le shooting. Ainsi que Gary, évidemment, j'ajoute en t'observant avec insistance. Les règles sont simples. Porte ce qu'on te demande de porter, obéis au photographe. Ce n'est pas un travail compliqué. En apparence, du moins. Le mannequinat a tendance à dissimuler ses mauvais côtés. L'obligation de bienséance, la nécessité d'être parfait en tout point, à tout instant. L'absurdité de demandes parfois étranges, qui vous font tenir des positions abominables pendant plusieurs minutes bien trop longues, parfois plusieurs heures. Si tu as des questions, je suppose que c'est maintenant qu'il faut les poser, j'ajoute en entamant l'ascension des marches.