Poudlard Le Château [En Cours] Templum Maledictum

Sasha Shevchen , Bibliothèque, le 27/09/2124

Avec Mister Brooks, Sasha avait cru s'en tirer à bon compte en terminant avec succès le philtre de paix, sous les directives précautionneuses d'Alison ; mais c'était sans compter sur la fourberie d'un professeur qui savait garder dans ses poches quelques cartes joker. Aussi, quand à la fin du cours la Serpentard s'en était allée, plutôt satisfaite, le Gryffondor s'était éloigné, bougon, avec la promesse d'une retenue supplémentaire.

Car c'était là le cadeau qui lui avait été fait par Mister Brooks : une retenue avec un certain Mister Bartholomew Beckett (avait-on idée d'être affublé d'un tel prénom ?), avec lequel il avait rendez-vous l'après-midi suivant, dans la bibliothèque.

 

 

 

Lieu maudit.

 

Ce fut ce qu'il pensa en premier lieu. Sasha n'avait jamais mis les pieds dans la bibliothèque auparavant.

Ou plutôt : Sasha n'avait jamais mis les pieds dans une bibliothèque, aussi incroyable que cela pusse paraître. Et il avait repoussé le plus longtemps possible l'idée d'entrer dans celle-ci.

 

Il resta planté, d'abord, au milieu de l'entrée de celle-ci. C'était une grande allée intimidante, bordée de tables flanquées chacune d'une lampe à la lueur douce et bleutée. De chaque côté se dressaient de très hautes étagères alignées en rayonnages sombres et surchargés d'ouvrages : des vieux, des récents, flambants de couleurs ou taciturnes. Dans un angle, de grands casiers contenaient une multitude de gros parchemins soigneusement entassés, triés et annotés avec de petites étiquettes qui pendaient au-dessus du bureau de l'entrée comme les mobiles au-dessus d'un berceau. Quelques élèves parcouraient les rayonnages, d'autres grattaient sur un parchemin, assis à une table. Un silence respectueux n'était perturbé que par quelques discussions à voix basse, de temps à autre, tant et si bien que Sasha avait l'impression d'être dans une cathédrale peuplée de meubles venus prier. Une fille pouffa non loin de Sasha, et cela l'arracha à sa contemplation interdite. Sac sur l'épaule, il se décida à se rendre vers le bureau de l'entrée. Déjà, quelques groupes d'élèves commençaient à sortir car l'heure du dîner approchait. Sasha devrait se retenir, à son grand désespoir, d'aller dévorer les beignets de crevette que l'on servirait ce soir.

 

L'homme derrière le bureau avait un visage avenant. Un peu trop pour être innocent du goût de Sasha. De toute façon, un type qui vivait au milieu des livres ne pouvaient qu'être empli d'un savoir dont il ne pouvait qu'abuser, non ? Le Gryffondor tâcha de prendre une inspiration, comme pour chasser ses inquiétudes, et se remémora les recommandations d'Alison.

 

- Bonjour, mister Beckett, il dit soigneusement malgré son accent qui trahissait fortement ses origines slaves. Je suis Sasha Shevchen, sixième année à Gryffondor, sir.

 

Le soin de cette annonce tranchait dlleurs avec son apparence : sa cravate était nouée de travers, le bas de pantalon était tâché de poussière et ses cheveux en bataille comme ses cernes lui donnaient l'air de venir de sortir du lit. Mais avec une assurance rigide, il tendit un morceau de parchemin à l'homme aux cheveux gris.

 

- C'est un mot de Mister Brooks. Il m'a envoyé en retenue, hum...

 

Sasha jeta un coup d'oeil autour de lui, comme s'il avait oublié où il se trouvait et qu'il se rappelait soudain l'étrangeté de cet endroit où tout le monde s'efforçait de faire silence.

 

- ... ici, sir.

 


Bartholomew Beckett , Bibliothèque, le 27/09/2124

Malgré la bonne humeur permanente de Bartholomew Beckett et sa volonté de faire de la bibliothèque de l'école un endroit convivial des plus charmants, il se devait d'instaurer quelques horaires durant lesquels n'étaient acceptés à la bibliothèque que les travailleurs acharnés, afin d'éviter que ces derniers ne se retrouvent entassés dans la zone insonorisées du fond lorsque les examens approchaient. Et c'était l'une de ces heures. Probablement pas les heures les plus passionnantes si on lui demandait son avis, mais il savait s'en contenter, volant en aide à tous les étudiants qui avaient besoin de lui pour trouver des ouvrages bien particuliers ou un petit peu d'aide sur où ils devraient chercher tel ou tel détail précis qu'ils souhaiteraient ajouter à leurs devoirs.

 

Mais l'heure tournait, et bientôt il pourrait ressortir son vieux gramophone magique et laisser les étudiants reprendre leurs aises au mileu des fauteuils et des poufs rangés pour le moment. Ce fut d'ailleurs l'arrivée de Sasha Shevchen qui sonna la fin de cette interminable attente. Avec un sourire pour le garçon, il hocha la tête, récupéra le parchemin de Brooks, et tapa dans ses mains à la cantonade.

 

- Fin de l'heure d'étude ! Ceux qui n'ont pas fini sont invités à rester dans la zone insonorisée, les autres peuvent... Faire ce qu'ils veulent tant que vous respectez les livres. 

 

Et ainsi de nombreux étudiants se mirent à récupérer les fauteuils et les poufs pour les installer autour de tables basses, tandis que Bartholomew attira son gramophone d'un coup de baguette magique.

 

- Brooks m'a prévenu de ta venue. T'inquiète pas, mon garçon, je n'ai pas l'intention de te faire épousseter les bouquins les plus anciens du coin, on a mieux à faire !

 

Un petit brouhaha naissait déjà derrière lui sans qu'il ne s'en préoccupe, bien plus intéressé par le fait de trouver la bonne musique pour sa petite répétition.

 

- J'ai besoin de danseurs pour l'ouverture du bal. T'inquiète pas, Horace et moi gérons le plus gros du boulot, et on a trouvé une bonne petite équipe pour nous aider. Mais il nous manque un garçon. Et c'est là que tu entres en jeu ! J'vais t'apprendre les pas, et tu viendras t'entraîner toutes les semaines avec nous. Je sais, c'est super cool comme punition, tu m'diras merci plus tard. En piste l'artiste !


Sasha Shevchen , Bibliothèque, le 27/09/2124

Au moment exact où le bibliothécaire parla, Sasha sut que ce serait compliqué. Il ne se l'expliquait pas : il voyait juste très bien, dans ce regard bon enfant, ces petites tapes dans ces mains, toutes guillerettes, et ce petit sourire léger, qu'ils n'allaient pas s'entendre. Le Gryffondor retint son souffle, interdit, jetant seulement quelques oeillades autour de lui : subitement la bibliothèque changeait complètement d'atmosphère. D'un endroit austère elle devenait soudain quelque chose de plus convivial, semblable à un grand salon de thé où les murmures des conversations réchauffaient les grandes rangées d'étagères. Le regard de Sasha fut attiré par le gramophone qui lévita vers eux, et il ne put s'empêcher de rentrer légèrement la tête entre les épaules comme si un tel objet lui donnait des frissons. Puis il dévisagea le bibliothécaire.

 

- De... De danseurs ? il répéta comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien compris.

 

Sasha avait un tout petit espoir : des fois, les anglais utilisaient un mot pour un autre. Par exemple, il avait vite entendu que chick ne désignait pas les poussins, mais... les filles. Alors peut-être que par danseur, mister Beckett voulait dire nettoyeur ou quelque chose de ce genre.

Il l'espérait.

Il suppliait intérieurement les Dieux Ukrainiens, anglais, et tous les autres qui pussent exister.

(Pas les Russes. Il fallait quand même pas pousser. Plutôt danser que de supplier un Russe.)

 

Un rire derrière Sasha le tira de son mutisme. 

 

- Heu... Le bal ?

 

Il savait ce qu'était un bal, même s'il n'avait jamais été à un autre bal que celui qui se tenait dans son village, où on chantait des chansons paillardes et où les adultes finissaient complètement ivres. Mais Sasha se doutait bien que le Bal de Poudlard ne ressemblerait pas à ça. Il imaginait quelque chose de très solennel, avec des centaines d'étudiants silencieux qui regardaient un spectacle avant d'avoir le droit de boire un jus de citrouille. La perspective de devoir danser dans ces conditions lui donna envie de se transformer sur le champ et fuir le plus loin possible du château.

Mais à la place, Sasha secoua la tête en un signe négatif, le visage fermé.

 

- Non, je sais pas danser, mister.

 

Devant l'air surpris du bibliothécaire, Sasha fit un pas en arrière, instinctivement. On entendit quelques élèves pouffer non loin d'eux, témoins heureux sûrement de cette scène incongrue où l'Ukrainien casseur de nez avait peur d'un pas de danse. Ce dernier sentait une confusion nerveuse monter en lui, à mesure que ce destin irrémédiable approchait. Il secoua de nouveau la tête, plus frénétiquement.

 

- Moi, dépoussiérer les bouquins anciens, ça me va très bien, affirma-t-il - non sans faire la liste, intérieurement, de toutes les injures dans sa langue d'origine qu'il aurait pu réserver à l'intention de mister Brooks. Je peux laver par terre, aussi. Ré-étiqueter les vieux livres. Nettoyer les joints des murs entre chaque pierre à la brosse à dents. Ou les toilettes. Ca me dérange pas.

 

Bon, Sasha aurait bien évité de se porter volontaire pour ce genre de tâches, mais dans des circonstances si désespérées, récurer les chiottes pendant plusieurs après-midis toutes entières n'était pas une sentence si lourde. Et tout ça pour un pauvre nez cassé ! Poudlard était une école bien plus cruelle qu'il ne s'y était attendu.