En dehors du Château Pré-au-Lard Les Trois Balais [Terminé] Deux Whisky pour une grande Souaffle

Noah Ingram , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Crac !

 

Comme apparu du néant, un homme observait les alentours avec attention. Une main glissée dans sa veste, les muscles de son cou se relâchaient peu à peu tandis que riverains et visiteurs déambulaient librement autour de lui, profitant d'une fin de journée ensoleillée à Pré-au-Lard. Lorsque ses doigts se desserrèrent enfin de sa baguette, Noah poussa un profond soupir et observa un instant le bleu du ciel, sur lequel se découpaient au loin les tours du château tant aimé.

 

Il aurait tout donné pour retourner à l'âge où l'on était librement admis au collège. Pour retrouver les joies de la découverte et de l'apprentissage, les aléas de la vie en communauté et la fougue passée de sa jeunesse. Enfin surtout, il aurait tout donné pour ne plus avoir à supporter ses interminables réunions interdépartementales !

 

Déjà, lorsqu'il s'agissait de réunions propres à son Bureau ou à son Département, Noah faisait tout pour que les choses aillent vite, que les différents éléments soient traités rapidement afin que chacun puisse retourner à ses occupations. Malheureusement, bien que les employés du Département des Jeux et Sports Magiques fussent plutôt cools, ces imbéciles du Département de la Coopération Magique Internationale, eux, étaient plutôt du genre protocolaires.

 

C'est après une énième réunion interminable que nous retrouvions le chef du Bureau des Aurors, à deux pas de sa taverne préférée : les Trois Balais. Entre le ministère et cet endroit, il devait y avoir une bonne demi-douzaine d'autres taverne ouvertes aux sorciers, mais aucune n'égalait les Trois Balais et son ambiance chaleureusement déjantée.

 

La tenancière, Isaya, était une femme d'une trentaine d'années au tempérament aussi lunaire qu'imprévisible ! Ce qui contrastait drastiquement avec l'ambiance des réunions ministérielles. Se dirigeant vers la porte en bois massif de la taverne, il huma l'air quelques instants avant d'entrer dans le bar.

 

Si les rues de Pré-au-Lard sentaient bon la barbe à papa et les glaces parfumées, c'était l'odeur de bière au beurre fraîche qui vous frappait d'abord en entrant dans les Trois Balais. Suivi de près par les effluves de citrouille et de branchiflores qui composaient les jus et autres sodas pour gamins. Un sourire maussade aux lèvres, Noah chercha du regard sa compagne de beuverie avant d'aller s'installer au comptoir.

 

- Un verre d'Ogden's s'il te plait, bien frappé.


Isaya Bergame , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Depuis qu'Isaya a pris son service à seize heures, le bar est resté plutôt calme. Kelly, la jeune employée de dix-huit ans lui a dit qu'il y avait eu un peu de mouvement vers midi mais sans plus. Cette journée semble tranquille. Ce n'est pas pour déplaire à Isaya qui aime parfois s'octroyer quelques heures sans rush, où elle peut simplement flâner dans ce bar qui est devenu comme sa seconde maison.

 

Elle observe l'horloge au-dessus de la porte d'entrée, faisant face au comptoir. Presque dix-huit heures. Kelly va débaucher et Erwan est déjà arrivé pour prendre la relève. Ils sont quatre, sans compter le grand patron, pour faire tourner cet établissement chaleureux. En règle générale, Kelly fait l'ouverture avec Margot, la grosse matrone qui aurait bien aimé gérer le bar mais qui a un trop mauvais caractère pour que Michael, le patron, lui laisse la gestion et la mission de représenter les Trois Balais. Isaya arrive dans l'après-midi, s'octroie deux bonnes heures pour s'occuper de tout le côté gestion avant de prendre son service derrière le bar, rapidement rejointe par Erwan, un jeune homme de vingt-six ans, dynamique et plein d'humour.

 

Quelques habitués commencent à arriver lorsque Kelly quitte le bar, lançant un joyeux "passez une bonne soirée !". Isaya la salue de la main alors qu'Erwan est déjà tout affairé à prendre les commandes et débattre de la qualité actuelle des steak de dragon.

La porte s'ouvre à nouveau et Isaya reconnaît celui qui vient d'entrer. Noah, le type qui travaille au ministère et qu'elle imagine volontiers croulant sous des dossiers divers et variés, passant ses soirées au bureau et ayant même aménagé un coin dodo au fond de la pièce. Les fois où elle pense à lui, elle se dit qu'il doit avoir un niveau de stress élevé -elle imagine toutes les personnes bossant au ministère comme ayant un niveau de stress élevé. Peut-être qu'un jour, elle devrait lui offrir cette tisane dont sa mère lui fait sans cesse la promotion et qu'elle vend soit-disant beaucoup à Ste-Mangouste pour les familles trop inquiètes du sort de leurs proches.

 

Noah la reconnaît également et va vers elle. 

Elle l'accueille de son éternel sourire chaleureux. Lui, n'a pas l'air d'être au meilleur de sa forme. L'imagination d'Isaya s'active, s'affole, fait des soubresauts et des cabrioles. Il y a un énorme problème politique dont personne à part les hautes sphères n'a entendu parler et Noah est investi d'une mission aussi cruciale que confidentielle pour gérer cette crise. Ou quelqu'un a merdé au ministère ce qui pourrait entraîner de sérieux soucis diplomatiques et Noah doit rattraper la bourde de son collègue par tous les moyens. Ou encore c'est lui qui, en croyant bien faire, a mis les pieds là où il fallait pas et il est sur la sellette, à deux doigts de perdre son job et perdre son âme dans l'alcool. Ou bien...

Il lui demande un verre un verre d'Ogden's et elle se dit que ça y est, c'est le début de la fin, le premier verre qui va en amener un autre qui va en amener un autre et un autre... jusqu'à vider la cave des Trois Balais.

 

-Eh ben, ça n'a pas l'air d'aller fort, commente-t-elle en ramenant une mèche de cheveux derrière son oreille. Je te prépare ton verre.

 

Elle se retourne, attrape une bouteille, dose consciencieusement le niveau d'alcool dans le verre, y ajoute quelques glaçons. Puis elle revient vers Noah. Commence à tendre le verre au sorcier avant de suspendre son geste.

 

-Tu bois pour oublier ? Ou dans l'espoir que ça te remettra les idées au clair ? Si c'est ça, je te préviens, c'est rarement la solution.

 

Isaya ne connaît pas bien Noah. Pourtant, elle a l'impression de le connaître assez pour se permettre cette familiarité. Il a ses habitudes aux Trois Balais. C'est comme ça qu'ils ont commencé à échanger quelques mots devenus au fil du temps de petites discussions. Souvent superficielles, ni l'un ni l'autre n'est beaucoup entré dans les détails de sa vie personnelle. La preuve : elle ne sait pas exactement ce qu'il fait au ministère. 

Isaya aime bien Noah. Il n'est jamais méchant avec elle, il remplit les caisses des Trois Balais avec sa fidélité et il est un bon compagnon de blabla de bar.

Elle lui fait un petit sourire qui semble dire : "quoi qu'il se passe, t'inquiète pas, ça finira par se résoudre". Mais pas avec l'alcool.

 

-Oh, tu sais quoi ? reprend-elle, en posant finalement le verre devant son client. Je vais boire avec toi.

 

Elle se retourne pour se préparer un verre.

Pour sûr, si la grosse Margot était là, elle ronchonnerait et dirait que voilà, c'est pour ça que Michael aurait dû la choisir elle et pas Isaya comme gérante parce qu'elle, au moins, elle ne boit pas pendant le service ! Et gna gna gna et gna gna gna. Si seulement elle pouvait se lasser de ce boulot et se barrer, cette madame-mauvais-caractère !

 

-Allez, dis-moi tout, lance la gérante en reprenant sa place face à Noah.


Noah Ingram , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

D'un sourire habituel, Isaya accueillait Noah, comme elle le faisait toujours. Pourtant, cette fois-ci, une vague d'inquiétude sembla la traverser l'espace d'un instant. Quelles folles théories son imagination débordante avait-elle encore pu faire naître en elle ? Elle était un peu l'élément perturbateur de cet endroit, et il n'était pas rare que sa seule présence suffise à changer l'ambiance de toute la salle. Que ce soit par sa façon de servir, de prendre les commandes ou même simplement de se déplacer, elle détonnait dans le paysage. Une personne comme elle permettait d'oublier facilement une journée passée avec des bureaucrates coincés.

 

Noah avait alors pris la parole, d'un ton quelque peu las :

 

Disons que je traverse une période de réunions aussi longues qu'ennuyeuses... Comme quoi les promotions n'ont pas que du bon.

 

Pendant qu'Isaya préparait son verre, Noah s'efforça de se souvenir d'un détail qui soudainement lui échappait. Est-ce qu'Isaya savait exactement où il travaillait ? Elle savait de manière certaine qu'il œuvrait au ministère, mais lui avait-il déjà donné des détails plus précis à ce sujet ? Isaya lui tendis un verre puis sembla retenir son geste l'espace d'un instant. Elle lui posa deux rapides questions, puis enchaina avec une mise en garde qui arracha un sourire à l'homme. Deux verres s'entrechoquèrent, et elle finit par lui poser une nouvelle question, une question qui pourrait en amener tellement d'autres...

 

Pour commencer, est-ce que tu sais exactement ce que je fais au ministère de la Magie ?

 

Noah était réputé pour avoir une mémoire extraordinaire, mais à cet instant, il ne parvenait pas à se remémorer ce qu'il avait pu lui dire au sujet de ses activités au ministère. Il se jura intérieurement de faire plus attention aux informations qu'il pouvait donner... avant de décider que cela n'avait finalement pas une si grande importance. Après tout, Isaya n'était pas le genre de femme qu'il imaginait glisser un poison dans son verre ou lui tendre une embuscade au détour d'une ruelle. Ou alors, si elle le faisait, ce serait pour le soir d'Halloween et le seul préjudice qu'elle lui causerait serait certainement un très moment de solitude pour peu qu'il y ait des témoins.

 

Il finit par déclarer :

 

Je travaille au Bureau des Aurors. Pour être plus exact, j'en ai même récemment pris la tête.

 

N'attendant pas qu'elle réagisse à cette annonce, il poursuivit en expliquant l'origine de son trouble :

 

Tu n'es pas sans savoir que la Coupe du Monde de Quidditch se tiendra prochainement dans la région de Devon. Pour te la faire courte, l'organisation d'un événement de ce genre demande beaucoup - beaucoup de réunions avec beaucoup - beaucoup de bureaucrates et, très franchement, ce n'est pas ma tasse de thé.

 

Il leva son verre un instant, plongea son regard dans celui d'Isaya, et but une gorgée de ce breuvage savamment préparé.


Isaya Bergame , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Isaya n'a pu s'empêcher d'afficher une discrète moue lorsque Noah évoque une période de réunions aussi longues qu'ennuyeuses. Ce n'est pas du tout comme ça qu'elle imaginait son boulot ! Bon, d'accord, elle a conscience qu'il doit avoir une tonne de paperasses à traiter, l'administratif, vous connaissez... Mais quand même. Elle pensait qu'il y avait plus de trucs palpitants dans sa vie professionnelle. Avouez, c'est pas très sexy de dire qu'on traite de la paperasse et qu'on organise des réunions barbantes tout au long de la journée. Ca l'est beaucoup plus quand on dit qu'on est un genre d'agent qui est sur une mission top secrète pour sauver le pays.

 

La légère moue d'Isaya s'efface bien vite avant d'être remplacée par un sourire brillant lorsque son interlocuteur lui révèle être aujourd'hui à la tête du bureau des Aurors. Ah ! Elle le savait ! Il ne peut pas faire que traiter de la paperasse ! Il doit aussi poursuivre des gens louches, des gens malintentionnés, qui cherchent parfois dans les tréfonds des archives des sorts de magie noire oubliés juste pour le kiffe de dire je connais des trucs que les autres ne connaissent pas ! 

C'est sûr, Noah doit être sur le terrain parfois. Les réunions barbantes, ça peut pas être que ça son boulot d'Auror. C'est absolument pas la représentation qu'elle en a. 

Puis l'homme enchaîne sur la coupe du monde de Quidditch. Ah ça, pour en entendre parler... en tant que gérante d'un bar, Isaya croise beaucoup de monde tout au long de la journée. Et dans tout ce monde, il y en a forcément un certain nombre qui s'extasient sur cette coupe du monde à venir. En ce qui la concerne, elle n'en a pas grand-chose à faire. Elle n'a jamais été particulièrement passionnée de Quidditch. Ses parents non plus d'ailleurs. Ils n'ont donc pas eu l'occasion de lui transmettre la passion que certains parents transmettent à leurs enfants.

En tout cas, ce qu'Isaya retient, c'est que cette foutue coupe du monde demande beaucoup de réunions et de pourparlers et que Noah est obligé d'y participer mais n'apprécie pas outre-mesure cette mission.

 

-Je ne peux que te comprendre, répond la gérante. Ca a l'air gravement barbant ton truc. 

 

Un verre levé, une gorgée avalée.

L'alcool se propage doucement dans son corps, petite chaleur.

 

-Mais c'est quand même pas que ça, le boulot de chef des Aurors ? C'est pas des réunions à dormir debout toute la journée, tous les jours que Merlin fait ?

 

On sent dans sa voix une pointe de déception en imaginant Noah lui avouer que oui, c'est quand même beaucoup ça le boulot de chef des Aurors.

 

-Franchement, reprend-elle, je pourrais pas faire ça. C'est peut-être bien payé, mais ma santé mentale en prendrait un coup. Si j'étais Auror, je serais là pour... pour du terrain, de l'action, faire régner l'ordre et la justice ! Pas pour organiser des réunions avec des gens qui blablatent des heures pour ne rien dire ou presque. 

 

Puis, se rendant compte de ses propos, elle affiche une mine d'excuse :

 

-Oh pardon, je voulais pas dire ça... enfin c'est super le boulot que tu fais, surtout si ça te plaît. Je ne dénigre pas ça.

 

Elle regarde le fond de son verre qu'elle tient toujours en main. Petit mouvement de poignet : le liquide s'agite, les glaçons s'entrechoquent.

 

-C'est juste que je comprends totalement que ça ne soit pas ta tassé de thé. Je suppose que tu n'as pas choisi ce métier pour ce côté-là de la profession.


Noah Ingram , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Elle avait semblé comprendre, et le simple fait de se sentir compris avait fait chaud au cœur de l’homme. S’il avait su ce qui l’attendait en signant pour prendre du galon, il n’aurait peut-être pas été au bout des choses et se serait contenté de son poste de terrain. C’était là qu’il se sentait à sa place, là qu’il se sentait utile, là qu’il se sentait vivant. Alors bien sûr, comme elle l’avait si bien souligné, le boulot de Chef du Bureau des Aurors ne se cantonnait pas aux réunions barbantes et à l’infinie pile de paperasse qui semblait se régénérer jour après jour sur le bureau de Noah. Il s’était parfois dit que c’était la période qui voulait ça, que les évènements en cours au niveau international prenaient le pas sur les conflits locaux et que c’était ce qui provoquait cet afflux massif de travail. Mais quelle qu’en soit la cause, il ne pouvait qu’approuver…

 

Oh, tu sais, ça joue sur ma santé mentale, avait-il confié.

 

Il avait lâché un petit rire et repris une gorgée. Le liquide lui avait brûlé la gorge, et il l’avait senti couler le long de son œsophage avant de se perdre dans son estomac. Il avait toujours aimé le goût du Whisky Pur-Feu et, il fallait bien l’avouer, la boisson d’Ogden's valait bien son prix. Elle avait cette légère touche sucrée en arrière-bouche et une attaque du palais plus douce, mais il savait bien qu’il ne fallait pas s’y laisser prendre. Si la boisson se laissait avaler comme du petit lait, on pouvait rapidement se retrouver à quatre pattes, incapable de retrouver son adresse avant de comprendre ce qui s’était passé.

 

C’est pour ça que je suis venu, d’ailleurs. J'avais besoin de me vider la tête après cette journée de merde. Le pire dans l’histoire, c’est que des journées comme celle-là, je vais en bouffer au moins jusqu’à la fin du mois. Ce n’est qu’une fois cette fichue Coupe du Monde terminée que je pourrai reprendre mes activités habituelles…

 

Il savait bien sûr que les activités habituelles dont il parlait comportaient elles aussi leur part de réunions barbantes. Mais leur fréquence était bien moindre, et l’ennui qu’elles provoquaient bien plus gérable. Déjà, il n’aurait plus à supporter les types des autres départements. Rien que ça, mine de rien, c’était une sacrée amélioration ! Neuf mois de coopération inter-départements avaient suffi à convaincre Noah que le dicton « Chacun chez soi et les niffleurs seront bien gardés » avait pris ses lettres de noblesse chez un employé du ministère.

 

Comme tu le dis… c’est pas pour ça que j’ai signé ! avait-il soupiré, son regard se perdant dans le vague, au-dessus de l’épaule de la barmaid.

 

Puis il avait demandé :

 

Tu sais pourquoi j’ai choisi ce boulot ?

 

Certains avaient rejoint le Bureau des Aurors par passion irraisonnée, d’autres pour le prestige de la plaque ou pour la liberté relative procurée par l’exercice. Quelques-uns avaient choisi ce boulot pour faire le bien autour d’eux et se sentir utiles à la société. Ce n’était pas le cas de Noah. Lui avait des motivations plus… exotiques. Après tout, le Bureau des Aurors n’avait pas pour vocation de devenir une succursale de la Brigade de Police Magique.

 

La chasse. Je ne m’intéresse pas aux affaires les plus banales, elles m’ennuient. Ce qui me chauffe, c’est la chasse des mages les plus retors et les plus dangereux. C’est ça, le vrai sens du boulot d’Auror : des chasseurs de mages noirs… Seulement aujourd’hui, les mages de cet acabit, faut bien dire que ça ne court plus les rues.

 

Il avait plongé son regard dans le fond de son verre, réfléchissant au sens de ses propres mots. Que ferait-il si demain les affaires de ce genre disparaissaient complètement du tableau ? Il ne se voyait pas offrir son aide aux pays voisins ; la coopération entre départements était déjà compliquée, alors entre ministères différents : non merci ! Plutôt se jeter en pâture aux dragons. Non… il quitterait sans doute le Ministère de la Magie pour se lancer dans l’étude de magies complexes et la recherche de sorciers ayant poussé leurs recherches trop loin.

 

Ne te méprends pas, avait-il ajouté, c’est plutôt une bonne chose pour le pays ! Mais pour quelqu’un comme moi, le monde est fade sans un peu d’opposition.

 

Il laissa planer un petit silence avant d'ajouter :

 

Tu dois me prendre pour un fou, non ?


Isaya Bergame , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Isaya hoche vigoureusement la tête : elle comprend, le besoin d'un verre dans une ambiance chaleureuse pour laisser derrière une journée particulièrement barbante et pas du tout à la hauteur de ce qu'on attendait. Elle aussi, est passée par cette phase-là à quelques reprises. Notamment sur les derniers mois ayant précédé l'officialisation de sa rupture avec Roy. L'idée de rentrer chez elle et de le trouver potentiellement installé dans le canapé lui foutait l'angoisse. Ca l'ennuyait rien que d'y penser. Ce qu'il pouvait être devenu mou et sans intérêt au fil des années ! D'un barbant à préférer faire un câlin au saule cogneur. Alors elle avait allongé le plus possible ses journées de boulot. Profitant comme elle pouvait de la douce ambiance des Trois Balais et partageant parfois (souvent) quelques coups avec son patron Michael (sous le regard sévère et désapprobateur de Margot qui, de toutes façons, n'était jamais contente de rien).

 

Elle écoute avec attention Noah qui déroule les motivations réelles qui l'ont poussé vers ce travail. Il dit ne pas vouloir se contenter des affaires banales qui l'ennuient. Et préférer plus d'action, se confrontant à de vrais mages noirs aux buts tout aussi sombres. Les chasser, les traquer, les arrêter. Ce sentiment d'avoir rendu un fier service à la population en la protégeant d'un individu plus que dangereux.

Mais comme il le dit lui-même, il y en a de moins en moins.

D'un côté, c'est un bon signe : la paix perdure et les dangers s'éloignent. Ce n'est pas plus mal pour le commun des mortels.

Mais elle peut comprendre sa frustration. Confronter son idéal à la réalité du terrain, c'est parfois compliqué.

 

Elle secoue doucement la tête lorsqu'il lui demande si elle le prend pour un fou.

 

-Tu ne dois pas être le seul à avoir choisi la voie des Aurors pour ces raisons. Après tout, ce sont les modèles qu'on en a, ces grands sorciers qui ont combattu les mages noirs du temps de Voldemort et ont fondé la résistance dont tout le monde parle encore. Et parfois, la réalité est terriblement décevante. C'est difficile à accepter.

 

Elle tapote son verre du bout de l'ongle.

 

-Et lui, c'est un très cher ami qui donne un petit coup de pouce pour accepter cette réalité et accepter que nos idéaux ne restent parfois que des idéaux.

 

Elle pousse un petit soupir, s'étire et s'accoude contre le comptoir. 

 

-Moi, j'ai grandi avec l'idéal des bons festins et du prince charmant. Pas de souci pour les premiers. Mais le second... j'ai mis du temps avant de m'avouer et accepter que Rory -mon ex- était loin d'être le prince idéal que j'avais imaginé au départ. Les Trois Balais et quelques verres m'ont beaucoup aidée à me détacher de cette utopie que je m'étais faite pour m'incliner devant ce qui était la réalité. A savoir qu'il est juste un type mou, persuadé d'avoir du talent alors qu'il n'en a pas.

 

Elle roule des yeux en se remémorant ces événements. Puis, se remettant face à Noah, elle ajoute :

 

-Franchement, aucune maison d'édition n'a voulu de ses bouquins, il s'est retrouvé à devoir s'auto-publier ! Et on va pas dire qu'il ait eu un franc succès, j'suis sûre tu le connais même pas. C'est un signe, quand même, non ? Bah il veut rien voir, rien entendre. Voilà le parfait exemple du type qui plane encore très haut dans ses idéaux et ne s'est absolument pas confronté à la réalité.

 

Sur ces paroles, elle vide son verre d'un seul trait. Le repose brutalement sur le comptoir puis hausse les épaules l'air de dire : parfois, y'a des cas désespérés


Noah Ingram , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Noah esquissa un sourire amusé en écoutant Isaya évoquer sa relation passée. La description qu'elle en faisait le fit sourire intérieurement, mais il s'abstint de tout commentaire. Il n'était pas là pour juger, et il semblait qu'Isaya était passée à autre chose ou, du moins, faisait de son mieux pour laisser cette relation derrière elle. Au lieu de ça, il se concentra sur ce qu'elle venait de dire à propos des idéaux et de la réalité.

 

Je suppose qu’on a tous nos illusions, lança-t-il après un instant. Certaines plus coriaces que d'autres. Mais c’est bien de réussir à s’en détacher. C’est même nécessaire parfois. Sinon, on finit comme... Rory, sans vouloir l'offenser. Dans une bulle qui flotte au-dessus du reste du monde.

 

Il fit tourner lentement son verre entre ses doigts, le regardant pensivement avant d’ajouter :

 

J’imagine que c’est pareil pour moi, finalement. Je me suis aussi construit un idéal quand j’ai décidé de devenir Auror. Une image romantique du chasseur de mages noirs, de l’homme de l’ombre qui veille sur le monde en secret. Et au fond, c’est ce que j’aime le plus dans ce boulot... mais comme toi avec ton compagnon, j'ai dû accepter que la réalité est souvent bien différente. C’est pas tous les jours qu’on a une chasse excitante. La plupart du temps, c'est de la paperasse et des réunions interminables. Je ne vais pas te mentir, ça me frustre parfois... beaucoup même.

 

Noah prit une gorgée de son whisky, laissant la chaleur du liquide apaiser ses pensées.

 

Mais t’as raison, continua-t-il en croisant son regard, ce verre aide à avaler la pilule. C’est un peu ma façon d'accepter que mes journées ne se déroulent pas toujours comme je l’espérais. Ce que je dois me rappeler, c'est que même si je ne suis pas en traque tous les jours, le boulot que je fais reste important, d’une certaine manière... Même les trucs chiants.

 

Il posa doucement son verre sur le comptoir et haussa les épaules, son regard se perdant un instant dans le fond de la salle. L'ambiance des Trois Balais, à cette heure de la soirée, était fidèle à sa réputation : animée mais chaleureuse, teintée d'une familiarité que seuls les habitués pouvaient comprendre. Autour de lui, les conversations s’entremêlaient dans un doux brouhaha, ponctué par les rires éclatants des sorciers de passage et les bavardages plus tranquilles des clients réguliers.

 

Noah appréciait cette atmosphère. Même après une journée exaspérante, il trouvait toujours une certaine paix à observer la vie qui se déroulait autour de lui. Ici, dans cet espace où les soucis du monde semblaient suspendus, il se sentait capable de laisser derrière lui les frustrations du Ministère, ne serait-ce que pour un moment. Une petite bulle hors du temps, où chacun semblait pouvoir être lui-même sans masque ni artifice.

 

Et puis, faut bien que quelqu’un fasse ce boulot-là, non ? Si c'est pas moi, ce sera quelqu'un d'autre... probablement quelqu’un de beaucoup plus mauvais pour ça.

 

Il laissa échapper un petit rire avant de se tourner de nouveau vers Isaya.

 

Quant à ton Rory... Eh bien, s’il est heureux dans son illusion, tant mieux pour lui. Mais toi, tu mérites mieux que ça. Quelqu’un qui t’offre plus qu’une bulle vide.

 

Il leva son verre une dernière fois avant de le vider d’un trait.

 

Et puis, au moins toi, tu sais quand il est temps de redescendre sur terre.


Isaya Bergame , Comptoir des Trois Balais, le 01/08/2124

Isaya regarde Noah lever son verre avant de le vider d'un trait. Elle songe que des illusions, on en a tous. Après tout, c'est bien comme ça qu'on parvient à affronter le monde, dans toute sa splendeur et son horreur. Si on ne se berçait pas, ne serait-ce qu'un peu, d'illusions, on ne parviendrait sans doute pas à faire un pas après l'autre tellement on verrait le monde dans sa réalité la plus crue. 

 

A son tour, elle boit. Une petite gorgée. Pense aux illusions d'avant, aux illusions brisées, à celles qui se reconstruisent et celles qui apparaissent.

 

-Ecoute, t'as raison, commence-t-elle, si Rory est heureux comme ça et qu'il ne fait de mal à personne, qui suis-je pour lui dire comment vivre ? Quant à toi, je pense qu'une petite dose d'illusions et d'espoirs est nécessaire pour faire ton boulot. Croire en des jours plus fastes, plus palpitants est utile pour tenir le cap. Jusqu'à ce que ces fameux jours arrivent. Et tu te féliciteras d'avoir tenu bon. 

 

Son regard quitte Noah pour se perdre quelque part au-dessus de son épaule.

La porte du bar s'ouvre et se ferme, laissant entrer ou sortir des silhouettes parfois familières, parfois non. Les voix enveloppent la pièce, les rires résonnent et les plats défilent. Isaya se fait la réflexion que pendant qu'elle papote, Erwan assure tout, tout seul. Mais il n'a pas l'air de s'en plaindre, le gaillard. C'est qu'il est robuste et courageux. Elle le cherche néanmoins des yeux, afin de sonder un éventuel appel à l'aide silencieux.

Le serveur est en grande conversation animée avec Rosa, une vieille dame qui vient tous les soirs sauf le jeudi et qui discute très souvent avec Erwan de la qualité du jour des steaks de dragon. Isaya s'est toujours demandé comment le jeune homme pouvait tenir la conversation avec cette vieille pipelette dont l'unique obsession est d'avoir chaque soir un excellent steak dans son assiette. A priori, le jeune serveur s'acquitte de cette tâche avec joie et bonne humeur : il doit y trouver un quelconque intérêt.

Isaya reporte à nouveau son attention sur Noah. Reprenant la bouteille de whisky, elle en versa de nouveau dans le verre du directeur du bureau des Aurors et dans le sien.

 

-Aux illusions qui nous permettent de continuer notre bonhomme de chemin ! On n'aime jamais toutes les parties d'un boulot, même si c'est le poste dont on rêvait. Je suis sûre que viendra le jour où tu feras enfin ce pour quoi tu avais choisi cette voie. Et que tu ne laisseras pas la place à quelqu'un de plus mauvais que toi pour le rôle, ajouta-t-elle d'un ton taquin. 

 

Elle eut un rire avant de lever à nouveau son verre et boire une énième gorgée.

A ce rythme-là, elle ne finirait pas la soirée et ça ne ferait pas très professionnel devant Erwan !