En dehors du Château Pré-au-Lard La Tête de Sanglier [Terminé] Regroupement nocturne

Karl Mitch , Tête de Sanglier, le 02/06/2124

Dans un profond soupir, Karl Mitch laissa tomber sa vieille carcasse sur une chaise et glissa ses pieds fripés dans une bassine d'eau froide. Il poussa un deuxième soupir proche de l'extase alors que la sensation de froid grimpait le long de ses chevilles et de ses jambes. Il n'était jamais aussi bien que dans ces moments. Après une dure journée, il pouvait enfin se poser.

L'horloge accrochée au mur de la taverne indiquait vingt-trois heures trente. La nuit était tombée à l'extérieur et les derniers clients avaient été mis dehors à coup de balai (deux ivrognes habitués de la Tête de Sanglier que Karl avait appris à congédier durement s'il ne voulait pas se retrouver à fermer à deux heures du matin. Ce n'était plus de son âge les veillées tardives !)

 

Récupérant son exemplaire de La Gazette du Sorcier posée sur la table à côté, il entreprit de feuilleter les premières pages. Il parcourait toujours les gros titres et les photos de la première à la dernière page. Puis il reprenait tout depuis le début afin de lire plus attentivement chaque article, grommelant des commentaires à sa propre intention et répétant dans sa barbe que, tout de même, le journalisme, ce n'est plus ce que c'était !

 

Alors qu'il était plongé dans sa lecture, il entendit la porte de la taverne s'ouvrir dans son dos.

 

-C'est fermé ! lança-t-il d'une voix rude.

-Pas pour tout le monde, répondit une voix masculine d'un ton enjouée.

Reconnaissant son comparse, le vieux Karl Mitch se leva -un peu trop rapidement à son goût car il laissa échapper une grimace en se tenant le dos- et, délaissant chaise, bassine et gazette, alla donner une accolade au nouveau venu.

-Dieter, tu es en avance !

-Je m'étais dit que ce serait la bonne occasion pour papoter un peu avec mon ami Karl.

Ami était un grand mot. Karl n'avait pas réellement d'amis. Juste des connaissances, des collègues, des comparses, des gens qu'il appréciait mais rien qui pût se rapprocher d'un ami au sens de personne proche et confidente. 

Le dénommé Dieter prit une chaise et s'installa en face du propriétaire de la taverne.

 

Il était en effet prévu qu'une réunion se tienne à partir de minuit dans l'arrière-salle de la Tête de Sanglier. Réunion mensuelle. Regroupant des personnes aux idées communes qui voulaient discuter, débattre et s'organiser.

Depuis plusieurs années, certaines volontés politiques tendaient en faveur d'un dialogue de plus en plus ouvert avec les Moldus et certains parlaient d'un potentiel abandon du code du secret magique. On n'en était pas là, mais des gens comme Karl Mitch voyaient plus loin que le bout de leur nez et aimaient anticiper.

Des discussions avaient été entamées il y avait plus de dix ans entre le Premier Ministre Moldu de l'époque et certains politiciens favorables à un assouplissement des frontières entre les deux mondes. Ces discussions n'avaient débouché sur rien de concret mais étaient régulièrement relancées.

Ces volontés britanniques étaient scrutées de très près par les autres gouvernements magiques. Si les sorciers britanniques cessaient de se cacher, qu'en serait-il des autres ? Il était illusoire de croire que les Moldus britanniques garderaient ça pour eux, ne dévoilant l'existence d'un monde magique et parallèle à personne en dehors de leurs frontières politiques. Les réseaux sociaux s'emballeraient, les vidéos et commentaires fuseraient et en moins de temps qu'il n'en faudrait pour dire ouf, tout le monde serait au courant.

Ainsi, il était peut-être utopique d'imaginer un abolissement complet du code du secret magique tant les répercussions seraient grandes et les enjeux importants. Cependant, Karl répétait toujours qu'il ne fallait jamais dire jamais. Et il se préparait au pire.

 

Karl n'était pas un vieux con.

Il avait juste peur du progrès et de l'inconnu.

Peur que la disparition du code du secret magique signifie le retour des vieilles chasses aux sorcières ainsi que des bûchers. Il se sentait bien dans son invisibilité aux yeux des Moldus. Il se sentait protégé. Et n'avait pas envie que ça change.

 

Depuis près de deux ans, Karl avait établi au sein de sa taverne une sorte de lieu de regroupement mensuel pour les personnes partageant ses craintes et ses inquiétudes. Ils gardaient un oeil attentif sur les évolutions politiques tant côté sorcier que moldu et discutaient chaque mois des dernières nouvelles. Parfois, ils préparaient des campagnes de lettres et flyers pour sensibiliser le grand public à ces évolutions qu'ils jugeaient inquiétantes, tentant de rallier du monde à leur cause.

Evidemment, toutes les personnes s'opposant à une suppression du code du secret magique ne se réunissaient pas dans l'établissement de Karl Mitch. Le vieil homme les choisissaient soigneusement. Les personnes partageant leurs craintes par haine pure et simple des Moldus n'avaient rien à faire ici. Les autres, les inquiets du changement, les dubitatifs, les sceptiques étaient les bienvenus.

 

C'est pourquoi en ce soir d'été, Dieter se retrouvait à discuter joyeusement avec Karl en attendant que minuit et le reste du groupe arrive.