En dehors du Château Pré-au-Lard La Tête de Sanglier [En Cours] Rassemblement sous radar

Karl Mitch , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Karl s'appuya sur son bar en bois massif tout en poussant un profond soupir. Il était quinze heures bien entamées. L'heure du déjeuner était passée et même les plus tardifs mangeurs avaient fini par repartir vaquer à leurs occupations. Le calme était quelque peu revenu dans l'auberge.

Plus il vieillissait, moins Karl appréciait les vagues massives de clients. Même si ça faisait son chiffre d'affaire. Après, fallait tout de même se rappeler qu'on se trouvait là à la Tête de Sanglier. Il y avait objectivement moins de passage qu'aux Trois Balais par exemple. Il n'empêche, c'était, à un moment, toujours trop pour le vieux Karl. Surtout quand la majorité était des étudiants arrogants qui ne pouvaient pas boire d'alcool en dehors de la bièraubeurre parce que mineurs et "maman, papa n'aimerait pas que j'en boive". Même pas capables de contourner un tout petit peu les règles pour un verre !

A leur âge, Karl était sûr qu'il n'en avait rien à faire de telles normes.

En même temps, il ne se rappelait pas précisément ce qu'il faisait à leur âge. Et même s'il s'en rappelait réellement, il n'en dirait rien ou très peu. Il avait toujours gardé son passé flou. D'autant plus depuis que les dernières personnes l'ayant connu jeune étaient décédées.

 

Attrapant d'un bras fébrile un tabouret, il laissa lourdement tomber ses fesses sur le siège et s'accouda au comptoir.

Dans un coin de la salle, deux sorciers vieux et ridés partageaient une chope en jouant aux échecs sorcier. Une dame rondelette et visiblement éméchée était assise à la droite de la porte d'entrée. Elle se balançait sur sa chaise tout en regardant le plafond et marmonnant des propos pour elle-même. Karl se demandait dans combien de temps elle finirait par perdre l'équilibre avant de s'écraser au sol. Enfin, trois étudiants étaient attablés autour d'un table ronde. Ils devaient être en cinquième ou sixième année. Karl ne connaissait pas leurs noms mais il reconnaissait leurs visages. Ils venaient de temps à autres, sans doute quand ils en avaient marre de l'affluence des Trois Balais ou cherchaient un lieu plus intimiste.

 

Karl aimait ces moments de calme.

Lewis, son jeune serveur de vingt-cinq ans, était parti se reposer dans son appartement de Pré-au-lard. Il reviendrait en fin d'après-midi, lorsque la taverne se mettrait de nouveau à s'agiter à l'approche de l'heure du dîner. Pour le moment, il n'y avait pas besoin d'être deux pour gérer les quelques énergumènes acceptant de poser leur séant à la Tête de Sanglier. 

Karl se surprit à se demander ce qu'il pouvait bien se passer d'extraordinaire en ce jour parfaitement calme et banal. A dire vrai, le vieil homme n'était pas tellement un partisan de l'extraordinaire. Il aimait la routine. Les choses qui se déroulent dans le bon ordre. Et sécurisent le quotidien. Il n'aimait pas les explosions d'incongruité qui viennent bousculer l'idée préconçue qu'on se fait de ses journées.


Kaelen Rowle , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Encore une journée durant laquelle Kaelen n'avait pas agi en faveur de sa réputation.

 

Il avait, autant qu'il l'avait pu, retardé le moment fatidique où il devait aller poser des questions au vieux Mitch. Connaissant un peu l'énergumène, il savait d'avance que le bougre allait s'offusquer – manquer de faire une attaque – bougonner pendant des heures – menacer de lui botter le cul, et tout cela pas forcément dans cet ordre, entendons-nous. Pour peu qu'il y ait encore quelques clients dans l'établissement, et Kaelen serait l'objet de toutes les discussions à venir pour les trois prochains jours.

 

Poussant la vieille porte en bois massif de l'établissement, il était entré sans prêter grande attention à la vieille femme qui avait sursauté à son approche – ni aux autres clients, qui avaient à peine daigné lever le nez de leur chope pour observer le nouvel arrivant. Toute son attention était portée sur l'homme qui se trouvait à sa place habituelle : derrière le bar, confortablement installé sur un tabouret branlant... sans doute pour ne pas s'endormir ou pour rester toujours à l'affût... ou alors, c'était simplement une excuse comme une autre pour émettre une plainte.

 

Kaelen arborait un sourire que certains auraient pu trouver narquois, mais il n'en était rien. Il était crispé.

 

Son domaine, c'était l'enquête discrète, la filature, et l'infiltration ! Il ne se débrouillait pas trop mal lorsque les choses tournaient mal et qu'il fallait utiliser la magie, mais interroger quelqu'un de front – surtout quelqu'un qu'il appréciait – sur ses activités, cela ne le mettait vraiment pas à l'aise.

 

Salut Karl, tu me sers un verre ?


Karl Mitch , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Karl se redressa lorsque la porte s'ouvrit. Il ne s'attendait pas à une nouvelle venue surtout à cette heure. Normalement, les gens travaillent ou font leur sieste. Ils ne viennent pas à la Tête de Sanglier.

Il se releva d'autant plus lorsqu'il reconnut le visage de l'arrivant. 

Kaelen Rowle était Auror de sa profession et c'était dans ce cadre-là qu'ils s'étaient connus. De petites conversations en petits services, Karl avait accepté d'être parfois indic, surveillant quelques clients potentiellement louches qui venaient parfois tenir conciliabule dans sa taverne. A noter qu'il n'acceptait pas tout et n'importe quoi comme demande. Il fallait motiver sa demande et le convaincre que l'individu était potentiellement réellement dangereux. Karl aimait l'ordre établi et honnissait les fauteurs de trouble, d'autant plus lorsque ceux-ci pouvaient mettre en danger la vie d'autrui. Mais il refusait d'être les yeux et les oreilles du Ministère à tout instant, sans plus jamais dire non. Imaginez que le personnel le composant perde son éthique et commence à contrôler l'ensemble de ses citoyens pour un oui et pour un non. Karl refusait d'être complice d'un tel système.

Jusque-là, les soupçons ayant conduit Kaelen à requérir son aide étaient assez étayés pour que le vieil homme accepte de l'aider. Ils n'étaient pas toujours fondés mais le tavernier avait confiance en la conscience professionnelle de l'Auror pour ne pas poursuivre un honnête sorcier outre-mesure si ses soupçons premiers s'avéraient faux.

 

Karl aimait bien Kaelen. Il trouvait qu'il était un bon Auror. Et en plus, ils partageaient de temps à autre un petit verre ensemble, ce qui n'était pas déplaisant. De toutes les façons, Karl avait tendance à estimer davantage ceux qui l'invitaient à boire un verre que les autres.

Aussi, lorsque Kaelen lui passa commande, Karl ne fit même pas attention au sourire quelque peu crispé de son interlocuteur et s'exclama : 

 

-Bien sûr ! Et tu sais quoi, j'vais même m'en servir un aussi.

 

Il n'allait pas laisser passer cette occasion. Heureusement que Lewis n'était pas là. Il l'aurait sermonné sur sa consommation d'alcool et son foi. Son organe était en bonne santé, merci bien ! Il n'avait jamais eu de problème et avait toujours su maîtriser sa consommation. Puis, d'abord, il n'avait pas de leçon à recevoir d'un garnement de vingt-cinq ans, aussi attachant soit-il.

Sans demander à son interlocuteur ce qu'il souhaitait boire, Karl déboucha une bouteille d'hydromel, sortit deux verres de dessous le comptoir et entreprit de verser le liquide.

Il en poussa un vers Kaelen et leva le sien :

 

-A quoi on trinque ? demanda-t-il, tout sourire, les yeux brillants de contentement face à sa boisson.


Kaelen Rowle , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Le sourire du jeune homme se fit encore plus crispé - si c'était seulement possible. Le vieil homme avait l'air de fort bonne humeur et il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir par avance de venir ainsi lui couper les jambes. Sa culpabilité s'accrut lorsque le tavernier sortit deux verres qu'il remplit d'hydromel avant de lui en tendre un. Levant son verre en tentant d'être le plus naturel possible, il l'avala cul-sec dans une veine tentative pour trouver l'inspiration - l'angle d'attaque - qui lui permettrait de faire passer la pilule le plus agréablement possible pour les deux hommes.

 

- Je viens pour affaire mon pauvre Karl ... je t'assure que j'ai essayé ! 

 

Tapotant deux fois son verre sur le bar, Kaelen demanda silencieusement à l'homme de le resservir - ce qu'il fit sans émettre le moindre commentaire. Il ne toucha pas non plus à son verre ceci-dit. Comme s'il pressentait que la suite de la conversation n'allait pas lui plaire. Kaelen inspira longuement par le nez... souffla doucement par la bouche... avala d'un trait son second verre d'hydromel et se lança sans plus attendre dans un monologue qui lui parut durer des heures.

 

- J'vais te faire la version courte. Mes supérieurs s'inquiètent de te voir tenir des réunions qui vont à l'encontre de leurs projets. Non pas que se réunir soit interdit ou même punissable de quelque manière que ce soit hein. Simplement le sujet de vos réunions est plutôt sensible. Comprends que la chute du secret magique est un projet qui mobilise bon nombre d'employés du ministère et qu'il permettrait de lever - selon leurs dires en tous cas - bon nombres de difficultés aujourd'hui rencontrés par les sorciers. Alors oui - d'accord - il permettra l'émergence d'autres problèmes d'autres sortes, mais dans l'idée ce ne sera plus le problème de la seule communauté magique. Les moldus pourront et devront apporter leur aide à la résolution des problèmes rencontrés. Il prit un instant pour reprendre son souffle. Un instant trop court toutefois pour que le vieil homme puisse l'interrompre. Toujours est-il que des réunions qui prônent la séparation de nos deux peuples - c'est mal vu. Ou plutôt devrais-je dire que ça créé un sentiment de malaise. Le dernier groupe à s'être opposé aux moldus ... disons que leurs méthodes ont laissés des séquelles. Alors oui, je sais que ce n'est pas du tout l'objet de vos réunions et que tu n'es pas de ceux là. C'est sur ça que j'ai essayé de baser mon argumentaire, mais les pontes veulent que les choses soient faites correctement et que tout doute soit levé. Tu comprends ?

 

Lorsque sa voix se tut, il sentit une goute de sueur venir perler sur son front. Impact dans 3, 2, 1...


Karl Mitch , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Surpris, Karl regarda son interlocuteur avaler son verre cul-sec et en redemander un en suivant. Il n'avait pas l'habitude de voir Kaelen comme ça. Habituellement, ils sirotaient ensemble leur verre en papotant ou parlant affaire. Et a priori, c'était pour cette dernière chose que l'Auror était venu. Mais même dans ce contexte, son comportement était inhabituel. D'accord, ce n'était pas toujours les choses les plus excitantes et les plus agréables mais il ne s'était jamais la rate au court-bouillon comme ça semblait être le cas.

Kaelen prit une longue inspiration avant de se lancer, débitant son discours d'un ton et d'un rythme qui ne souffrait aucune interruption.

 

Alors qu'il déroulait son monologue, le visage de Karl passa de l'air dubitatif, à choqué, agacé puis carrément en colère.

Son visage prit peu à peu une couleur rougeâtre alors que ses lèvres se pinçaient.

Bien loin était l'idée de boire un verre ou deux en rigolant de la pluie et du beau temps. 

Il prit sur lui pour ne pas interrompre le jeune Auror qui ne semblait pas plus à l'aise alors qu'il annonçait la réelle raison de sa venue. 

Lorsque Kaelen eût terminé d'annoncer ce qu'il avait à annoncer, le vieil homme prit à son tour une longue inspiration, davantage pour contenir sa colère que pour trouver le courage de se lancer.

 

-Dois-je comprendre, commença-t-il d'une voix lente et calme mais dans laquelle vibrait la rage qui l'animait, que tes supérieurs me comparent... nous comparent à des Mangemorts pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas d'accord avec eux ? Ont-ils seulement réellement connu ce qu'étaient les Mangemorts pour oser cette comparaison ?

 

Question rhétorique. Car même Karl, malgré l'âge avancé qu'il disait avoir, n'avait jamais connu ces sombres années.

 

-Dois-je comprendre, continua-t-il sur le même ton, que, parce qu'on est dubitatif envers la politique menée, ils nous soupçonnent d'être dans l'illégalité ? Alors quoi, c'est l'amorce d'une bonne dictature où tout ce qui sort de la pensée communément accepté est chassé et persécuté ?

 

Le niveau de colère monta d'un cran lorsqu'il poursuivit : 

 

-Dois-je aussi comprendre que tes supérieurs sont si peu cultivés qu'ils ont oubliés les siècles derniers où la peur des Moldus a conduit à des persécutions terribles de tout ce qui est différent ? Et je ne parle pas que des sorciers ! Ils sont aussi très forts pour se persécuter entre eux. Alors que la science d'aujourd'hui rappelle sans cesse qu'il n'existe aucune différence fondamentale. Imagine avec nous ! 

 

Il se redressa, décollant ses fesses de son tabouret. Posa les deux mains à plat sur la surface du comptoir comme pour prendre appui dessus.

 

-Ils croient pouvoir faire la leçon à un vieil homme comme moi ? Ils veulent tellement se persuader que leurs idées sont bonnes qu'ils foncent tête baissée sans voir plus loin que leur égo sacré ! Qu'ils fassent leurs expérimentations tous seuls et se brûlent les ailes ! Mais qu'ils n'entraînent pas tout un peuple dans leur perte ! Je refuse de me laisser guider à l'abattoir sans rien faire !

 

Son ton avait monté sur les dernières phrases et son poing ridé frappa le comptoir. Les deux hommes suspendirent leur partie d'échec pour river leur attention sur le duo tandis que les étudiants relevaient leur tête de leur bièraubeurre. La dame éméchée continuait de déblatérer dans sa barbe sans se préoccuper de ce qu'il se passait. 

 

-Et toi, tu donnes du crédit à cette bande d'incultes qui croient pouvoir faire taire tous ceux qui ne sont pas d'accord avec eux ?!


Kaelen Rowle , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Kaelen soutint le regard enflammé de Karl, conscient qu’il ne pouvait pas simplement esquiver cette confrontation. Le poids des paroles de l’aubergiste résonnait en lui, et même s’il comprenait la colère de Karl, il ne pouvait ignorer les obligations qui pesaient sur ses épaules en tant qu’Auror.

Il inspira profondément, essayant de conserver son calme, puis répondit d’une voix mesurée, teintée d’une sincérité non feinte :

 

Karl… tu sais bien que je te respecte, et que jamais je ne te comparerais à un Mangemort. Ni moi, ni même mes supérieurs, je crois. Ce n’est pas une accusation directe, loin de là. C’est juste que… la situation est délicate. Le ministère est sur les nerfs. Ils voient des ennemis potentiels partout, et toute forme de dissidence, même modérée, éveille leur méfiance. Ça ne veut pas dire que c’est juste ou intelligent, mais c’est la réalité dans laquelle on évolue.

 

Kaelen baissa un instant les yeux sur son verre, hésitant à reprendre une gorgée pour masquer son malaise, mais il se ravisa. Il devait affronter cette conversation de front.

 

Je comprends tes inquiétudes. Franchement, je les partage. Tout ce projet de chute du secret magique… ça me semble précipité, dangereux, et je suis loin d’être convaincu que ce soit la meilleure voie. Mais je ne décide pas. J’ai un rôle à jouer, et parfois, ça signifie poser des questions qui me déplaisent autant qu’à toi.

 

Il jeta un rapide coup d'œil autour d’eux, notant que certains des clients avaient suspendu leurs activités pour écouter l'échange. Il s’efforça de garder un ton bas et plus calme pour éviter d’attirer davantage l’attention.

 

Je ne suis pas là pour te fliquer, encore moins pour t’accuser de quoi que ce soit. Mais, les pontes là-haut veulent juste être sûrs qu’il n’y a pas de danger. Je leur ai dit que tu étais clean, que ces réunions sont loin d’être un complot ou je ne sais quoi. Mais dans leur logique… ils ont besoin d’être rassurés. C’est stupide, je sais. Mais le climat actuel est tendu, et ils craignent que des groupes plus radicaux ne se servent de gens comme toi pour alimenter des idées dangereuses.

 

Il reposa son verre, le visage fermé mais sans animosité, juste une lassitude.

 

Je te demande pas d’accepter leur politique, loin de là. Mais si tu pouvais… je sais pas, juste lever un peu le pied sur ces réunions ou au moins sur leur fréquence, ça me permettrait d’étouffer cette histoire avant qu’elle prenne des proportions que personne ne souhaite. Parce que, crois-moi, la dernière chose que je veux, c’est que ça t’attire des ennuis… et encore moins que je sois celui qui en soit responsable.

 

Kaelen croisa les bras, essayant de capter le regard de Karl avec une sincérité désarmante.

 

T’es pas un ennemi, Karl. Et je ne veux pas que ça change. Mais je suis coincé entre deux feux. Alors aide-moi à éviter que ça dégénère, d’accord ?


Kaelen se tut et laissa le silence s’installer, mais son esprit bouillonnait. Il se demandait ce qu’il avait vraiment espéré en venant ici. Une approbation ? Une compréhension tacite ? Peut-être un soulagement que Karl se range de son côté sans résistance. Mais, au fond de lui, il savait que la situation ne serait jamais aussi simple. Il avait espéré trouver un compromis, une issue qui éviterait les tensions avec ses supérieurs, tout en respectant l’intégrité de Karl. Maintenant, il n’était plus sûr de rien. L’angoisse montait en lui tandis qu’il attendait la réponse du vieil homme, une réponse qui pourrait déterminer bien plus que le simple avenir de leurs réunions : elle déciderait de la nature même de leur relation, de leur confiance mutuelle.


Karl Mitch , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Avec une moue sur le visage, Karl écouta Kaelen débiter son discours visant à apaiser sa colère et faire mieux comprendre à la fois la position du jeune Auror et les motivations de ses supérieurs. 

Le ton résolument calme et posé de l'Auror eut tendance à dépeindre sur Karl qui se rassit sur son tabouret branlant. Il était content d'entendre son interlocuteur dire partager une partie de ses craintes concernant une potentielle chute du secret magique. Même si ce n'était peut-être que des paroles visant à l'apaiser, dénuées de toute sincérité, ça faisait plaisir au vieil homme de l'entendre.

Alors que Kaelen poursuivait, le tavernier avala d'un trait le contenu de son verre. Puis, tout en laissant son compagnon de bar poursuivre, il se pencha en grognant sous son comptoir pour en sortir une bouteille de whisky pur feu. Avec tout ça, il avait besoin de quelque chose d'un peu plus fort.

 

-Qu'on se serve de moi, qu'on se serve de moi, grommela-t-il dans sa barbe tout en se versant un nouveau verre. Mais on ne se sert jamais de Karl Mitch !

 

Il but à nouveau sa boisson cul-sec, chancela sur son tabouret, se rattrapa, marmonna encore quelque chose dans sa barbe.

Ses yeux se rivèrent dans ceux de Kaelen lorsque celui-ci chercha à capter son regard. Le jeune homme semblait sincèrement désolé de se retrouver dans cette position et d'imposer cela à Karl. 

 

-D'accord, concéda le tavernier en le pointant du doigt, t'as le cul entre deux chaises et t'as rien demandé. Mais tes supérieurs sont des cons.

 

Détachant son regard de l'Auror, il entreprit de se verser un nouveau verre. Comme s'il n'avait pas assez bu comme ça. Puis il agita la bouteille en direction de son interlocuteur avant de remarquer que celui-ci n'avait pas encore terminé sa deuxième rasade d'hydromel.

 

-Et je tiens à souligner qu'on ne fait qu'une réunion par mois. S'ils ont l'impression que c'est un rythme déjà trop effréné, c'est qu'ils en branlent pas une en temps normal. 

 

Il eut une moue et ne toucha pas à son verre à nouveau rempli. Au lieu de ça, il croisa les bras sur sa poitrine et se pencha légèrement en arrière, faisant décoller deux pieds de son tabouret. On aurait pu s'attendre à ce qu'il se casse la figure au même titre que la sorcière avinée qui continuait de se balancer près de la porte d'entrée. Mais Karl connaissait par coeur son tabouret, cela faisait près de trente ans qu'il venait y poser son séant lorsqu'il attendait derrière le comptoir -son prédécesseur avait fini au beau milieu d'un feu lorsqu'il s'était avéré qu'il était complètement mangé par des termites, après trente-huit ans de bons et loyaux services. Aussi il savait parfaitement doser le poids de balancement nécessaire pour ne pas tomber.

 

-Et puis que tes supérieurs trouvent une seule bonne raison d'accuser l'un des membres participant à mes réunions de quoi que ce soit. Nous ne faisons de mal à personne. Franchement, ajouta-t-il en grommelant, je pensais qu'on aurait un peu plus de reconnaissance pour un héros de la nation.

 

Captant une vague d'incompréhension dans le regard de Kaelen, Karl développa :

 

-Le mois dernier, j'ai quand même sauvé les miches de beaucoup de gens lors de la finale de la coupe du monde de Quidditch ! J'ai réussi à maîtriser le Feudeymon !

 

Evidemment, il ne développa pas sur le fait qu'il n'était pas seul et que d'autres s'étaient joints, au même titre que lui, à l'effort commun.

 

-Vous, les Aurors, vous étiez trop débordés avec ces saletés de mages noirs, il a bien fallu que quelqu'un prenne le relais sur le reste. Et voilà comment on me remercie ! Manque plus qu'on me dise que j'étais en réalité complice de ces mages noirs ! Quelle absurdité !

 

Et il grommela à nouveau tel le vieux bougon qu'il pouvait être -surtout lorsqu'il se plaignait que, franchement, la jeunesse, ce n'est plus ce que c'était. D'ailleurs, c'était bien là son point :

 

-Plus de respect et de reconnaissance envers ses aînés !


Kaelen Rowle , La Tête de Sanglier, le 25/09/2124

Sans broncher ni piper mot, Kaelen écouta les paroles du vieux Karl et ne peut s'empêcher de sourire lorsque le tavernier affirma avec vigueur que On ne se sert jamais de Karl Mitch ! Si la fierté était monnayable, les murs de cette taverne seraient de marbre. Son sourire s'élargit encore lorsque le vieil homme déclara haut et haut que Tes supérieurs sont des cons ! Là pour le coup - il ne pouvait pas lui donner totalement tord. Venir foutre en l'air une relation de longue date qui avait permis d'avancer sur de nombreux dossiers pour de simples réunions (publiques qui plus est) était une absurdité sans nom à ses yeux. Mais les ordres sont ce qu'ils sont...

 

Il dut se retenir, se retenir très fort même : de ne pas soupirer ou lever les yeux au ciel lorsque Karl aborde les évènements de la coupe du monde de Quidditch. Un épisode peu glorieux pour les forces de l'ordre qui ont vu trois directeurs de département perdre la vie sans qu'ils ne puissent rien y faire. Pourtant on ne peut pas dire qu'ils avaient trainer à réagir... ils n'avaient simplement pas pensé un seul instant qu'une attaque pourrait survenir du côté du campement des spectateurs alors que celui-ci était vide. Quant à cette histoire de héros de la nation, Kaelen décida de le croire sur parole. Pas question de vexer Karl plus qu'il ne l'était déjà.

 

Le vieux Mitch avait parfaitement résumé la situation : il avait le cul entre deux chaises.

 

Écoute Karl, tu sais comme moi que si je ne leur apporte pas ce qu'ils veulent, ils enverront quelqu'un d'autre et ce jusqu'à être sûrs qu'ils n'ont rien à craindre de ces regroupements. Il inspira un grand coup puis demanda : au moins, me laisseras-tu assister à quelques une de ces réunions ?