



16 ans Sang-Pur Suédoise Notoriété
Elle n’a pas entendu les premiers mots. Ou alors si. Mais c’est pareil. Elle est trop occupée à se retenir d’exister. Elle sent juste sa présence maintenant. Là, à quelques pas. Elle voudrait rétrécir jusqu’à se glisser sous la chaise, sous le sol, entre les fibres du bois. Il parle, oui. Il parle doucement, avec cette voix de ceux qui croient encore qu’on peut sauver les autres à coups de mots bien choisis. Elle n’écoute pas vraiment. Pas les phrases. Juste le rythme. Une syllabe après l’autre, comme des gouttes sur un plafond qui fuit. Ça martèle. C’est constant. Trop stable pour elle. Elle, elle tremble. Elle brûle. Elle se tient recroquevillée comme un insecte blessé et elle sait que ça se voit. Que cette couleur sur sa peau, ce violet criard qui l’envahit jusque sous les ongles, jusque dans les jointures, ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un caprice. C’est un cri. C’est elle, projetée en dehors de sa propre chair. C’est tout ce qu’elle n’a pas dit, pas montré, pas pleuré, qui déborde.
Et lui, il est là. À quelques mètres. Peut-être moins. Trop près, en tout cas. Elle le sent dans l’air. Dans le poids du silence qu’il ne remplit pas vraiment. Il suppose que ce n'est pas la première fois. Elle ferme les yeux. Bien sûr. Évidemment. Comme si elle ne s’en souvenait pas. Comme si chaque fois n’était pas restée accrochée à ses os. Mais jamais comme ça. Jamais avec autant de force. Jamais aussi laid. Jamais aussi incontrôlable.
Elle serre les genoux contre elle. Elle sent les coutures du pantalon contre ses tibias, comme si ça pouvait la maintenir en un seul morceau. Il dit qu’il peut potentiellement l’aider. Rien n’est irrémédiable. Et elle voudrait hurler. Mais l’aider ? Mais aider quoi, exactement ? Elle n’est pas cassée. Elle est trop pleine. Elle déborde. C’est ça le problème. Il n’y a pas de sort pour ça. Il n’y a pas de remède. Il n’y a qu’elle. Trop vivante. Trop exposée. Elle enfouit un peu plus son visage dans son col roulé, jusqu’à ce que la laine lui râpe la bouche, jusqu’à ce que le tissu la griffe presque. Elle préfère ça. Elle préfère la brûlure à l’idée de croiser un regard.
Il lui demande de le regarder. Elle ne veut pas. Elle veut s’enfoncer dans le sol. Elle veut mourir pour de faux, juste quelques minutes, juste assez pour que le monde passe. Mais elle le fait quand même. Lentement. Par automatisme. Par usure. Ses yeux remontent, cherchent un point qui ne soit pas un visage. Qui ne soit pas elle. Qui ne soit rien. Et elle parle. Sa voix est basse, sèche, pareille à un fil tendu au bord de la rupture. Si vous me regardez trop longtemps, je vous jure que je risque de disparaître dans le néant.
Elle ne sait pas d’où ça vient. C’est sorti comme ça. Pas pour faire peur. Pas pour manipuler. Juste pour dire quelque chose. Pour poser une barrière entre eux. Une vraie. Quelque chose qu’il ne pourra pas franchir avec des phrases ou des sorts. Parce que c’est la seule magie qu’elle maîtrise encore : celle de se replier. De devenir si floue que plus personne ne la voit. Ce n'est pas une métaphore. C’est son corps qui le fait, pour de vrai. Et c’est ce qui lui fait le plus peur.