Le 23 juin 2125, l’aube glissait à peine sur les vitraux de la Grande Salle, diffusant sur les longues tables un éclat pâle, presque argenté. L’air avait cette fraîcheur particulière des matinées d’été écossaises, où la pierre garde encore un peu du froid de la nuit. Quelques silhouettes isolées occupaient les tables : un préfet de Poufsouffle penché sur un parchemin, deux élèves de Serdaigle chuchotant autour d’une théière fumante, et une poignée de Serpentard qui picoraient distraitement leur assiette.

Tyra entra sans un bruit, ses pas résonnant à peine sur le sol poli. Ses cheveux blonds cendrés retombaient en mèches libres sur ses épaules, encore un peu ébouriffés par le sommeil. Elle avait choisi la table des Serpentard, comme toujours, et s’y installa à mi longueur, loin des rares bavardages. Un bol de porridge, quelques fruits rouges, et une tasse de thé noir vinrent se placer devant elle.

Elle resta un moment immobile, les mains entourant la tasse chaude, laissant la vapeur brouiller sa vue. L’année défilait dans sa tête par éclats : le frisson des matchs de Quidditch, l’odeur rassurante des serres de botanique, les potions qui frémissaient doucement sous sa baguette, les couloirs froids et secrets qu’elle arpentait parfois seule. Il y avait eu des rires, des amitiés qui se tissaient dans le silence complice, et aussi ces soirs où la solitude se faisait plus dense, presque tangible.

Aujourd’hui, elle allait quitter tout cela pour quelques semaines. Une part d’elle brûlait d’impatience à l’idée de retrouver la Norvège, les fjords, les forêts qui sentaient la résine, et surtout son petit frère. 

Dans le calme de la Grande Salle, elle laissa son regard dériver vers les grandes portes. La prochaine fois qu’elle franchirait ces portes, ce sera pour sa cinquième année. Mais cette fois-là, elle ne serait pas seule. Elle voyait déjà son frère, un peu raide dans sa robe de sorcier toute neuve, les yeux grands ouverts, tentant de tout regarder en même temps, les chandeliers flottants, les drapeaux suspendus, le murmure dense des conversations. Elle l’imaginait sous le regard scrutateur du Choixpeau.

Si le vieux chapeau sentait en lui la vivacité d’esprit et la curiosité insatiable qu’il montrait déjà enfant, peut-être l’enverrait il à Serdaigle. S’il percevait son humour direct et sa loyauté sans faille, Poufsouffle serait une évidence. Quant à Gryffondor… elle pouvait presque le voir sourire, téméraire, prêt à se lancer dans l’aventure juste pour le plaisir du défi. Et si, comme elle, il possédait cette ambition tranquille et cette volonté de tracer sa propre route, alors Serpentard serait son refuge.

Ces images se superposaient dans son esprit, formant un tourbillon doux-amer. 

Elle se revit alors, elle, bien des années plus tôt, passant pour la toute première fois la porte de la grande salle, à la suite de quelques camarades. 

Elle se souvenait encore du bruit de ses pas sur le sol de pierre, absorbé par le brouhaha de centaines de voix. Les chandeliers scintillaient au-dessus d’elle, déversant une lumière dorée sur les tables interminables. Les regards, curieux ou distraits, glissaient sur la file des nouveaux élèves. Elle savait qu’elle allait bientôt s’asseoir sous le Choixpeau, et l’idée l’intriguait plus qu’elle ne l’inquiétait.

Quand son nom avait résonné dans la salle, elle s'était avancée d’un pas sûr, le dos droit, les yeux fixés sur le tabouret. Le vieux chapeau, une fois posé sur sa tête, avait plongé son esprit dans un espace intime et feutré. La voix grave s’était invitée en elle, fouillant ses pensées, commentant ses traits comme un vieil ami qui la connaissait depuis des lustres.
- Alors… curieuse… patiente… ambitieuse aussi, mais sans éclat inutile…

Il avait hésité longuement, évoquant Serdaigle pour son goût du savoir, mais cela n'avait pas duré bien longtemps. Ensuite Poufsouffle pour sa loyauté constante, et bien sûr Serpentard, où cette ambition calme et cette volonté d’indépendance trouveraient à s’épanouir.

- Tu pourrais briller partout, avait-il murmuré. Mais… tu sais déjà où tu veux aller, n’est-ce pas ?

Et elle, sans bouger les lèvres, avait simplement pensé : Oui.

La sentence avait été donnée : Serpentard.