Avec Jackson

Karl se fendit d'une dernière caresse sur la tête de Kawa avant de se diriger vers la porte. Le vieux matou n'ouvrit qu'un oeil plein de sommeil, poussa un petit miaulement étouffé avant de s'étirer et retrouver une position favorable au dodo sur son coussin.

En refermant la porte derrière lui, Karl veilla à ne pas la claquer pour ne pas perturber davantage le sommeil de son fidèle compagnon. Il descendit l'escalier qui reliait son appartement à l'arrière-salle de la Tête de Sanglier, pesta contre ses genoux qui grinçait et fit irruption, tout feu tout flamme, dans la salle principale. Il était dix heures trente et en ce mardi matin, il n'y avait personne. A part Lewis, le fidèle serveur, qui feuilletait la Gazette du Sorcier derrière le comptoir.

Le tavernier le salua d'une main, indiquant partir pour quelques courses et revenir pour le déjeuner.

Avant de sortir, il ajusta sa cape rouge sur ses épaules, coiffa d'un geste de la main ses cheveux blancs qui commençaient depuis de nombreuses années à se clairsemer. 

Les rues de Pré-au-lard étaient calmes. La rentrée se faisait sentir : finies les longues balades estivales, les journées qui s'étirent pleines de vacances. Tout le monde avait dû réintégrer ses pénates et ses occupations. Emplois, études. Bientôt, les week-end verraient de nouveau plein d'étudiants grouiller dans les rues du paisible village.

Karl ne s'attarda cependant pas car il avait à faire, et pas ici.

D'un CRAC sonore, il transplana.

Il réapparut sur le Chemin de Traverse et dû prendre quelques secondes avant de se remettre en route. C'est qu'avec l'âge, il avait l'impression de supporter de moins en moins bien les effets secondaires du transplanage. Une sensation, rapidement effacée, de vertige et des articulations ankylosées. Merlin, que c'était mal conseillé de vieillir ! 

Alors qu'il se remettait en route, il entendait, dans un coin de sa tête, la voix de Lewi assurer que pour un vieux, il se portait quand même super bien. Bientôt supplantée par celle d'Anémone qui, de son ton rocailleux, déclarait qu'au vu de son âge, c'était bientôt la tombe.

Ah ça non !

Le monde ne se débarrasserait pas comme ça de Karl Mitch, par Merlin ! 

Rasséréné par cette pensée, il accéléra le pas, bomba le torse, direction la Ménagerie Magique.

Kawa allait bientôt manquer de croquettes. Et il était hors de question de le nourrir de croquettes de pacotilles ! Pour son vieux compagnon, la tavernier était prêt à tout. Il fréquentait la Ménagerie Magique depuis maintenant plusieurs dizaines d'années. Il avait les employés aller et venir. Il avait appris à connaître leurs produits et savaient qu'ils vendaient de très bonnes croquettes et autres compléments pour chouchouter votre félin. Alors, chaque fois qu'il lui fallait acheter quoi que ce soit pour Kawa, il s'y rendait.

Bientôt, il poussa la porte de la boutique, d'un geste vif et enthousiaste. 

-Messieurs dames, bien le bonjour ! clama-t-il en s'engouffrant dans le commerce. Karl Mitch vous salue et non, je ne signe pas d'autographes aujourd'hui.

Bien que personne ne lui eût demandé un quelconque autographe.

Mais pour lui, évidemment que quelqu'un allait en vouloir. Après tout, n'était-il pas célèbre ? Non ? Bon, il était vrai que les événements de la Coupe du Monde où il avait vaillamment et brillamment combattu un Feudeymon était maintenant bien loin -plus d'un an. Mais l'arrestation, avec Kaelen, de trafiquants de Kiwicot ? A bien y réfléchir, personne ne l'avait vraiment félicité de cet événement... à croire que Kaelen n'avait jamais dit que c'était quand même grâce aux informations et au courage de son vieil ami que cette mission avait été une réussite. Et puis, il était vrai que cela remontait à neuf mois... Il devait vraiment se trouver un nouveau fait d'arme. Ou il serait oublié de tous ! 

Agenouillé face à l'une des étagères de la boutique, mes petites lunettes rectangle sur le nez, je note les produits manquant sur mon carnet. Cela fait quelques mois que je suis un employé de la Ménagerie Magique, je me plais énormément ici et j'espère qu'un jour je monterais en grade. 

Pour l'instant je fais mes preuves et je montre à mes patrons que je suis un bon employé connaissant ses produits, les animaux et les clients. Alors quand la porte s'ouvre sur une voix non familière, je me lève afin de voir qui est ce client qui vient d'entrer. Je ne reconnais pas la personne mais son nom ne m'est point inconnu. Je décide donc de m'approcher de ce vieil homme en mettant mes lunettes sur mon front.

- Monsieur Karl Mitch, ravie de vous accueillir au sein de la Ménagerie Magique.

Souriant au client, je mets mon carnet sous le bras et lui tends la main de façon respectueuse.

- Je suis Jackson Emerenziana, employé de la boutique. Il me semble avoir déjà entendu votre nom quelque part... Peut-être pourriez vous rétablir ma mémoire ? 

Mon sourire s'agrandis, montrant clairement la cicatrice bec de lièvre que j'ai aux lèvres. 

Karl n'eut pas à attendre bien longtemps et n'eut donc pas le temps de s'apitoyer davantage sur le manque de hauts faits à son actif ces derniers mois.

Un vendeur qu'il n'avait jamais vu venait à sa rencontre. Un homme d'un certain âge -une bonne cinquantaine, sans doute- dont les poils commençaient à devenir grisonnants fit son apparition. Il chaussa ses lunettes dans un geste que Karl trouve à la fois élégant et comique.

Imperceptiblement, il bomba le torse lorsque le vendeur répéta son nom tout en lui souhaitant la bienvenue à la Ménagerie Magique. Ah, ça lui faisait du bien de s'entendre appelé ainsi ! C'était presque comme une forme de reconnaissance. Bien que l'employé ne semblât pas tellement savoir qui il était. Au moins, il ne fit pas semblant et demanda poliment au vieil homme quelques indices pour l'aider à une quelconque remembrance. 

Grandiloquent, Karl déploya sa cape rouge avant de la rabattre sur ses épaules, fit une petite courbette dans un protocole feint avant de déclarer, de sa plus belle voix : 

-Vous vous trouvez devant Karl Mitch, bienheureux patron et propriétaire de la Tête de Sanglier sur Pré-au-lard, accessoirement héros de la nation bien malheureusement peu reconnu.

Puis, se penchant un peu vers le vendeur, il murmura à son intention :

-J'ai quand même arrêté un Feudeymon à moi tout seul, lors de la Coupe du Monde de Quidditch !

C'était évidemment mentir. Un peu. Il n'avait pas fait ça tout seul. Pas complètement. Mais il avait quand même bien participé, sacré nom de Merlin !

-Et puis, continua-t-il sur le même ton, j'ai participé à l'arrestation de malandrins qui faisaient du trafic de kiwicot, ce qui a fourni un sacré coup de main aux Aurors ! 

Se redressant subitement, il reprit, d'une voix forte -finies les confidences :

-Jackson Emerenziana -puisque c'était apparemment son nom- je n'ai pas le plaisir de vous connaître, je crois ? Etes-vous nouveau ici, à la Ménagerie Magique ?

Continuant à sourire alors que le vieil homme me salut, je me mets à rire intérieurement - en effet, jamais je ne me moquerais publiquement d'un client - dû à sa façon de se présenter. Cela me donne la puce à l'oreille concernant son âge qui semble bien avancée pour se comporter comme cela. Ou bien il fut très bien élevé par une famille riche... Mais peu m'importe. 

Par contre... Ses petites confidences me font encore plus sourire. Est-ce la vieillesse qui lui font perdre la tête ou alors c'est la vérité ? Après tout, je n'ai jamais entendu parler. Mais par politesse, je me penche vers lui afin de l'écouter attentivement.

- Avez-vous des articles de journaux parlant de vos exploits ? Ou même une autobiographie ? Je serais très intéressé d'en savoir plus.

Lorsque Monsieur Mitch continue de parler de ses exploits, je fronce les sourcils.

- Heureusement que vous étiez là face à ses trafiquants. Je suis totalement contre le trafic d'animaux !

Redevenant calme et professionnel, je souris à nouveau lorsque le vieil homme se redresse.

- En effet Monsieur Mitch, je suis nouveau au sein de cette boutique. Je suis revenu d'un tour du monde, il était temps pour moi de poser mes valises. Mais j'ai une belle expérience avec la Magizoologie qui est la voie que j'ai choisi. Donc je suis totalement qualifié pour m'occuper de vos demandes.

Souriant à nouveau, j'attends patiemment sa demande.