Poudlard L'extérieur [Terminé] Les choux mordeurs de Chine
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Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Un instant, pendant qu'Alison maintenait le poignet de Sasha, ce dernier fut parcouru d'une bouffée de chaleur et il se tendit, luttant contre lui-même pour ne pas s'arracher à la prise de la jeune femme. Il lui semblait soudain qu'elle aurait pu lancer sur sa paume déjà meurtrie n'importe quel sortilège, par pure méchanceté : lui couper les doigts, ou bien les transformer en pierre ou en branches de cactus, ou bien lui sceller la main sur la table. Qu'est-ce qui lui prenait de demander un tel service à une inconnue comme elle ?!

 

Mais non. Elle incanta un simple Episkey, qui eut l'effet attendu. Les picotements qui rongeaient sa paume disparurent aussitôt.

 

En guise de merci, Sasha arracha sa main dès qu'il le pût pour se hâter de la faire disparaître dans son pull, la tête honteusement enfoncée dans ses épaules.

 

- Chhhut, il siffla sèchement.

 

Mais les autres élèves ne leur prêtaient guère plus trop d'attention, occupés qu'ils étaient à devoir rempoter leurs propres choux, avec plus ou moins de succès. Ils étaient prudents, se tenant éloignés des légumes maintenant qu'ils avaient vu un échantillon de ce qui pouvait leur arriver au contact des choux mordeurs.

Sasha, lui, se hâta de se détourner. Il récupéra son balai pour nettoyer le sol autour d'Alison, et revenait de temps à autre mettre de la terre sur les choux qu'elle avait réussi à transvaser, et le reste de l'opération se poursuivit tant bien que mal.

 

 

Après la partie pratique, ils avaient eu droit à de longs rappels sur les propriétés des choux mordeurs et leurs conditions de culture - sol neutre et bien drainé, sortilèges de Bulles de Tiédeur à dispenser régulièrement pour leur éviter le gel, sans oublier quelques gouttes de Dégluetouffe pour dissuader toute créature de venir les croquer pendant la nuit - rappels que Sasha n'avait écouté que d'une oreille.

 

Fort malheureusement pour lui qui était pressé d'en finir, la professeure n'avait pas oublié qu'elle avait rendez-vous à la fin du cours avec le binôme original qui s'était fait remarquer pendant le rempotage. Elle les attendait les bras croisés à la sortie de la serre. La pluie avait fini par cesser, mais l'air à l'extérieur était saturé d'humidité - une atmosphère qui semblait moins la déranger que l'allure un peu traînante avec laquelle Sasha avait décidé de s'acheminer, à la suite d'Alison et après tous les élèves de la classe, pressés de rentrer au château.

 

- Miss Carter, Monsieur Shevchen, claironna-t-elle en guise d'introduction une fois qu'ils ne furent plus que tous les trois devant la porte vitrée. Il ne m'a pas échappé que vous aviez attiré l'attention de vos camarades au point d'un peu trop les déconcentrer de leur tâche. Que s'est-il passé ?

 

Sasha entrouvrit la bouche avec un air offensé.

 

- Ils ont qu'à mettre leurs yeux là où ça les regarde, gronda-t-il avec son accent qui rendait les expressions anglaises étrangement exotiques.

- Ce n'est pas ma question, monsieur Shevchen.

 

La professeur de botanique était certes catégorique, mais elle était patiente. Elle attendit que les deux se reprissent.

 

- On vous l'a dit, fit Sasha en tâchant de faire un effort pour parler calmement. Alison a glissé, et elle est tombée. Il y avait de la terre par terre à cause que j'avais déjà commencé à rempoter. Et les autres je sais pas pourquoi ça les intéressait autant.

 

La professeur plissa les yeux, comme pour les sonder tour à tour, l'air de demander silencieusement à Alison s'il n'y avait pas là une autre facette de la vérité que la jeune fille voulait apporter, mais elle ne trouva pas son bonheur et fut obligée de faire une moue d'assentiment, non sans un certain dépit.

 

- Bon, j'espère que cela ne se reproduira plus. Nous garderons les mêmes binômes le reste du semestre et...

- Quoi ?!

 

Sasha n'avait pu s'empêcher, les sourcils haussés, d'intervenir.

 

- Plaît-il ?

 

Le Gryffondor bégaya en silence quelques instants.

 

- J'ai... Je suis en sixième année, je vais faire tous les cours de botanique des cinquième ?

- E-xac-te-ment, approuva la professeur, les poings sur les hanches. Ce premier cours était pour voir votre niveau, et clairement vous n'avez pas l'habileté nécessaire en botanique pour exécuter les tâches des 6ème année où nous manipulons des plantes plus rares et plus sophistiquées, comme le Sopophore et le Snargalouf. Je ne peux pas prendre le risque que vous les massacriez, monsieur Shevchen.

 

Sasha se renferma, reculant d'un pas. Il resta prostré dans son mutisme le reste de la conversation, pendant laquelle la professeure égrenait le contenu des prochaines séances - étude de la Tentacula vénéneuse, rempotage des mandragores adultes, extraction de pus de Bubobulb...

Il ne savait plus très bien ce qu'elle avait dit ensuite. Elle avait fini par conclure, fermer et verrouiller la porte de la serre et s'éloigner d'un pas vif, car elle devait accueillir une autre classe. Sasha avait l'impression d'être dans un drôle de brouillard - il avait comme oublié même d'être en colère - quand il tourna la tête vers Alison, qui n'avait pas encore décampé. Qu'est-ce qu'elle foutait là ?

 

- Tu veux que je regarde ton crâne ?

 

Il avait demandé abruptement.


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

La mèche arrachée forme un épi grossier sur le crâne d'Alison qui passe le reste du cours à l'aplatir régulièrement, visiblement agacée d'être aussi ridicule devant la classe entière. Vous pourrez lui répéter trente fois que les gens s'en fichent de ses cheveux hirsutes, elle reste persuadée d'avoir l'air bête comme ça mais continue de lever le menton, trop fière pour l'avouer. Trop fière aussi pour questionner Sasha à propos des cicatrices qui lui déforment les mains et dont l'image revient dans son esprit plusieurs fois jusqu'à la fin du cours. Studieuse, elle n'a toutefois pas manqué de noter les informations données par sa professeure sur le Chou mordeur de Chine afin de pouvoir réviser avant leur prochain examen.

 

Ses Derbies vernies évitent la boue formée aux abords des serres de botanique tandis qu'elle lisse sa chevelure détachée et soumise au vent écossais. La façon dont Sasha soutient son mensonge devant l'enseignante satisfait Alison. Elle acquiesce encore, les lèvres soudain pincées alors que tombe leur sanction pour l'année à venir : être ensemble dans chaque atelier. Adieu l'excellence avec un Gryffondor aussi rustre en binôme ! L'adolescente soupire mais comprend qu'elle ne pourra rien négocier aujourd'hui, et pas aux côtés du Russe. Miss Aisling parviendra sûrement à convaincre la professeure si elle lui explique les manières brutales de Sasha. Silencieuse jusqu'au départ de l'enseignante, elle se tourne vers le réfugié en replaçant sa frange d'un geste précis.

 

— Nan tu serais capable de m'arracher la tête. Personne n'a oublié la scène du garçon massacrant naturellement les choux pour les faire taire. Alison lui sert une moue maniérée, l'anse de son sac au creux du coude. Elle le dévisage allégrement. T'as pas l'air très doux comme gars. Y'a plein de petits cons au chateau qui ont déjà compris comment s'adresser aux filles. Pas lui. Elle humidifie ses lèvres gonflées d'insolence et fixe l'élève des pieds à ses mèches cuivrées en se rappelant d'une fiction pour adolescentes qu'elle a dévoré pendant l'été. 

 

— Tu veux qu'j't'apprenne ? J'peux t'apprendre à te comporter bien s'tu veux. Elle jauge sa réaction, un demi-sourire en coin de bouche, amusée d'imaginer Sasha devenir son petit chien, ou presque. C'est super commun de comparer les Gryffondor à des animaux domestiques vaguement nerveux chez Serpentard. Faudra juste faire c'que j'dis. Peut-être qu'elle aurait pas besoin de réclamer pour changer de binôme en botanique s'il devenait plus docile. Alison jubile intérieurement et prend des couleurs, les pommettes rouges d'avoir osé formuler une telle proposition. 


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Sasha était resté coi, à la fixer bêtement. Bientôt il scella ses lèvres et serra les dents, faisant saillir les angles de sa mâchoire comme il détournait le regard, ses yeux se perdant vers la forêt interdite pour mieux éviter de continuer à la fusiller du regard.

 

Suka. (Chienne.)

 

Il ne l'aurait pas dit à haute voix, ne serait-ce que parce qu'il avait cet instinct : les pestes pouvaient vous en faire baver pendant de longs mois, c'était bien connu, alors autant ne pas commencer à se créer des problèmes inutilement. Et puis, des méchancetés, il en avait encaissé suffisamment et d'une autre trempe pour pouvoir simplement balayer l'insulte qu'elle lui faisait dans sa réponse.

Mais la proposition suivante d'Alison lui arracha immédiatement un rictus et finalement, il la fustigea bel et bien du regard.

 

- Tu m'as pris pour un chien à dresser ou quoi ? il grogna, certes, comme un molosse menacé.

 

Il la scruta un moment, le visage exprimant la défiance. Avec son petit sac plié au coude, ses petites chaussures vernies, ses cheveux parfaitement lisses et son langage ampoulé, il était clair qu'elle représentait le summum de la société distinguée quand il était... un garçon avec des cheveux en bataille, les mains sales - qu'il n'avait pas nettoyé de la terre par un sortilège, comme les autres - et abimées, des vêtements de récupération qu'on avait bien voulu lui offrir et qu'il portait froissés. En d'autres termes, un rustre.

 

Sasha gonfla la poitrine, comme pour se rappeler à lui-même lequel des deux ici était le plus fort, qui pouvait dans l'instant ne faire qu'une bouchée de l'autre. Il émit soudain un sifflement méprisant en guise d'au revoir. Il fit volte-face pour s'éloigner d'un pas vif.

 

 

 

 

Pas assez doux. N'importe quoi. Et puis de là à arracher une tête, cette pauvre fille n'avait sûrement jamais vu une tête arrachée. Il aurait juste regardé, lui aussi savait lancer un Episkey !

 

 

 

 

Un pas, deux pas, trois pas, quatre pas.

 

Demi-tour.

 

Un, deux, trois et quatre pas sur le chemin du retour.

 

Sasha s'était planté de nouveau devant Alison et vissa devant elle un index qui avait tout d'une accusation.

 

- Tu m'apprends que pendant les cours, pour que je peux retourner en sixième année le plus vite possible. Je dois aussi faire les Potions et la Divination avec les cinquième. Tu me dis quand je fais pas bien, tu le dis pas fort, tu le dis doucement, pas devant tout le monde, et tu me montres comment on fait.

 

Il avait les joues qui s'étaient embrasées au point d'être plus rouges que ses lèvres, et cette inflammation s'étendait jusqu'à son cou qui disparaissait dans son col maladroitement serré par la cravate des Gryffondors qui n'était pas nouée correctement. Son index resta suspendu un moment entre eux, puis il décida de le baisser subitement pour le cacher dans sa poche, comme s'il s'était souvenu de l'inélégance de sa main et de la façon dont Alison avait regardé ses cicatrices un peu plus tôt. Il déglutit, une moue de dépit sur le visage.

 

- Tu veux quoi en échange ? gronda-t-il, un peu à la manière d'un aboiement autoritaire.


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

Fruit d'une énième réconciliation entre Owen et Kate Carter, Alison est née entourée de deux parents aimants et d'une sœur assez âgée pour s'occuper d'elle. C'était la nouvelle petite princesse du foyer, choyée même après la naissance de Charlie 3 ans plus tard, alors que Freya faisait son entrée à Poudlard. Elle se rappelle d'une enfance sous le signe de la réussite d'Owen Carter Quidditch, d'avoir été couverte de cadeaux quand le couple battait de l'aile, et couverte de cadeaux encore tandis que son père voulait éloigner ses deux plus jeunes filles du drame familial que représentait la disparition de Kate. À 6 ans, tout s'effondre pour Alison.

 

Les Carter n'ont jamais étés des bourgeois, même riches, mais la jeune fille s'est inventé un monde avec une place dans la haute société. Aucun de ses deux parents ne vient d'une lignée importante, alors Alison deviendra cette personne importante elle-même, et sourcille à peine quand Sasha grogne puis s'en va. Il reviendra plus tard, ils se reverront en cours de botanique et elle pourra lui montrer les avantages d'apprendre à se comporter correctement en société. Celui d'éveiller moins le soupçon des professeurs, pour commencer.

 

La sorcière sort un tube de gloss de son sac, incapable de traverser Poudlard sans d'abord une retouche de maquillage. Mais à peine mélange-t-elle le liquide brillant que Sasha fait demi-tour, grognon. Elle le fixe, étire un léger sourire à ses premiers mots, et l'écoute en sentant une certaine excitation grésiller dans son corps. Elle avait terriblement aimé prendre le dessus sur l'élève bourru de sixième année alors qu'il avait eu besoin d'elle. Ses yeux dissèquent le Russe jusqu'à ce qu'il range sa main en posant LA question. Que voulait Alison en échange ? Comme Miss Aisling s'en amuse parfois, l'adolescente laisse un silence peser entre eux.

 

Elle donne deux ou trois allers-retours vigoureux dans le tube de gloss avec l'embout puis pose la mousse sur ses lèvres qu'elle recouvre lentement de maquillage brillant. Mh, c'est facile. Glamoured Gazer publie régulièrement les meilleures façons d'attirer le sorcier de ses rêves à coup sûr. Alison revisse le bouchon du maquillage et papillonne légèrement des paupières en secouant sa main devant ses lèvres entrouvertes  pour sécher le produit. T'auras qu'à faire semblant de sortir avec moi. Tu pourras même dire aux gens qu'on a couché ensemble si tu veux. Sans mesurer son aplomb déstabilisant, elle range le tube de gloss, et referme sa bouche qui se rouvre aussitôt qu'elle regarde Sasha à travers sa frange. Quoi ?! Ses prunelles marron roulent dans leurs orbites, exaspérées par l'incompréhension du garçon. Alison allait devoir tout expliquer.

 

— Tu viens me voir dans la Grande Salle ou dans les couloirs, on s'embrasse, vite fait hein, pas b'soin de mettre la langue et tout. Si les gars te demandent bah tu dis qu'on se voit des fois. C'est pas la lune nom d'un chaudron. Glamoured Gazer est catégorique : avoir un prétendant en attire 10 autres. Bientôt, Alison aurait le choix parmi les plus âgés et pourrait sélectionner le parti idéal afin de rejoindre les hautes sphères de la société sorcière. Et si ça implique de coller sa bouche délicate contre celle d'une brute, tant pis, c'est pas si cher payé. Ça t'aidera peut-être même à trouver des filles. Ajoute-elle comme une dernière carte bonus sortie de sa manche, avant d'enjamber une flaque d'eau pour se diriger vers le chateau. La rousse rejette ses cheveux en arrière puis ramène deux mèches devant ses épaules et deux plus petites autour de son visage. Elle se tourne vers Sasha. 

 

— Bon. Deal ou pas ?


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Ifjzoiejzfpei fziejf epscdslf ?

 

C'était probablement que ce qu'Alison avait pu lire dans les yeux de Sasha si elle avait décidé de le regarder à l'instant où elle faisait sa demande. Il resta longuement ahuri, les yeux ronds, à essayer de mettre bout à bout ses connaissances sur les expressions anglaises et sa compréhension du genre féminin.

Tout d'abord, il crut tout simplement que son niveau de langue n'était pas très bon et qu'il ne comprenait pas l'expression "sortir avec moi". Peut-être qu'elle voulait dire par exemple, qu'elle avait peur d'aller dehors la nuit toute seule et qu'elle avait besoin d'être accompagnée. A une telle demande, il aurait dit oui sans hésiter : c'était une mission facile et compréhensible.

Malheureusement, Alison donna des détails et il comprit qu'il s'agissait réellement de jouer la comédie.

 

Sasha eut un mouvement de recul. Par automatisme, il jeta un regard par-dessus son épaule, comme si quelqu'un avait pu être caché dans un buisson, à proximité, pour les épier pendant qu'ils avaient cette discussion saugrenue, mais ils étaient bien sûr parfaitement seuls et quand il se retourna vers elle, Sasha ne trouvait toujours pas ce qu'il devait dire.

 

Il pesait intérieurement le pour et le contre. Il y avait mille petits contres pour un seul pour : personne d'autre ne lui apprendrait les manières attendues ici. Mais avait-il pour autant besoin de se ridiculiser, d'autant plus si elle voulait même pas coucher pour de vrai ? (Parce que ça aussi, ç'aurait été une mission facile et compréhensible, mais elle, elle parlait de bisous sur la bouche dans les couloirs comme des enfants de maternelle.)

Il finit par secouer la tête, dans une expression entre la consternation et la stupéfaction.

 

- Deaaal... prononça-t-il lentement comme si quelqu'un avait forcé hors de sa bouche un mot qui ne voulait vraiment pas sortir.

 

Mais qu'avait-il à perdre, après tout ? Sa réputation ? Il était déjà regardé comme un animal de foire. Autant que ça leur fisse les pieds, à toutes ces marionettes anglaises et leurs manières, que les filles de Poudlard eussent l'air de se presser pour coucher avec lui. (En apparence, tout du moins.)

 

- Mais tu m'aides pour de vrai pendant les cours, il précisa en articulant lentement, comme si elle avait été capable de ne pas comprendre son anglais, subitement. Sinon j'arrête ton truc de Roméo et Juliette et je dis que t'étais pas un bon coup. Ok ?

 

Nouveau regard en arrière, pour vérifier que personne ne l'avait vu passer ce deal odieux. Mais comme ils étaient toujours seuls, le vent glacé d'automne faisant son office pour enfermer tous les élèves à l'intérieur, Sasha se retourna de nouveau vers la jeune fille. Il cracha dans sa main droite et la lui tendit.

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