A l'autre bout de la salle, avec un air morne, Sasha renversa le petit flacon de poudre bleue dans le chaudron, qui se mit à fumer doucement, l'eau bouillonnant. Une odeur âcre s'en échappait, qui n'avait pas l'air d'incommoder le Gryffondor qui renfonça aussitôt ses mains dans ses poches, tout à ses ruminations intérieures.
Comment ça, les hommes avaient toujours quelque chose à se faire pardonner ? Il n'avait rien répondu à la leçon n°2 (de toutes façons, quelle était la leçon n°1, il ne savait déjà plus) et encore moins aux questions en lien avec ses finances. Il s'était contenté de se concentrer sur sa feuille effaçable, le teint légèrement rouge de nouveau.
Maintenant que la partie pratique avait commencé, la classe ressemblait plus ou moins à un essaim d'abeilles qui flânaient ça et là, allant chercher des ingrédients d'un côté, papotant de l'autre. Certaines élèves se pressaient près du professeur pour lui poser des questions, tandis que des groupes d'amis se réunissaient pour chuchoter à voix basse. Un groupe de trois serpentards, qui occupaient la paillasse devant celle d'Alison et Sasha, se rabattirent vers le Gryffondor.
- Vas-y, pourquoi tu t'laisses faire comme ça ? demanda l'un d'eux.
- Huh ? répondit d'abord Sasha, étonné qu'on lui adressât la parole malgré tous ses efforts pour paraître le plus dissuasif possible. Quoi ?
- Pourquoi tu la laisses faire, Alison, tu fais tout c'qu'elle dit mec !
Sasha décocha un regard vers la fille en question, qui continuait de cancaner à voix basse avec l'une de ses copines. Merde. Tout le monde s'en rendait compte ? Il haussa les épaules en reportant ses yeux courroucés vers les Serpentards.
- Ben j'la saute, vous croyez quoi ? Qu'c'est pour le plaisir de faire le bon toutou ?
Les Serpentards échangèrent des regards entre eux. Ils tâchèrent de rester neutres, mais ils voyaient bien qu'ils étaient vaguement impressionnés. Curieux, même. Ils s'approchèrent en essayant tous de rester nonchalants, si bien qu'ils avaient l'air de trois rapaces posés sur la même branche qui feraient mine de ne pas se connaître vraiment.
- Genre. Souvent ? ne put s'empêcher de demander le plus petit des trois.
Il avait des cheveux frisés et une bouille de garçon de 8 ans, comme si l'adolescence peinait à trouver chez lui le chemin que les autres avaient déjà débuté. Sasha prit le temps de réfléchir à la réponse. Crédible. Rester crédible. Et en même temps, Alison aurait dû être discrète, comme il l'avait demandé, et elle ne l'était pas du tout. Il se mordit la langue.
- Allez raconte, fit l'un des Serpentards en lui donnant un léger coup d'épaule à épaule, comme s'ils étaient amis.
Sasha lui décocha un regard circonspect.
- Ben ouais, souvent, grommela-t-il.
Puis, comme ils avaient l'air avide d'en savoir plus, il se sentit obligé d'élaborer.
- Elle en demande tout l'temps. Dès qu'on a un moment, un p'tit coup dans les toilettes, dans un placard à balai, peu importe, elle est trop chaude c'est fou.
Cette fois, les yeux des garçons s'agrandirent, ronds comme des billes. Ils auraient presque bavé d'envie, avec leurs hormones en pleine explosion, de pouvoir avoir l'aisance de se taper tous les jours une fille bien rangée comme Alison. Sasha se dit qu'il en avait peut-être fait un peu trop, mais au moins, il sentait que les trois Serpentards ne le regardaient plus comme le pauvre réfugié, soudain.
- Alors moi, ajouter de la poudre bleue ou lui tenir sa chaise hein, ça m'va.
- Ah ouais.
- Ouais...
- Carrément.
- Qu'est-ce que vous glandez là-bas ? Elles vont pas se touiller toutes seules ces potions !
La voix du professeur les dispersa rapidement, et Sasha se retrouva de nouveau seul avec leur chaudron. Alison revenait avec le sirop d'ellébore, de sa démarche empruntée, et le Gryffondor préféra ne pas trop la regarder quand il se rendit compte que son mensonge collait parfaitement avec les apparences qu'Alison avait l'air de vouloir afficher : sa jupette courte, sa bouche travaillée dans une moue aguicheuse, n'avait-elle pas l'air de vouloir se faire remarquer ?
Il s'occupa en saisissant la spatule et se mit à faire tournoyer le liquide. Il fumait étrangement plus que les autres chaudrons, des volutes bleues épaisses s'échappant devant eux.
- Ca fume trop, c'est trop chaud non ?
En effet, les flammes sous leurs chaudrons avaient grandi. Avec vivacité, Sasha sortit sa baguette de sa poche.
- Fría, marmonna-t-il à voix basse, en espérant ne pas être entendu du professeur.
De la baguette de Sasha s'échappa un trait lumineux, vert vif, qui vint réduire assez brusquement les flammes. Des crépitements se firent entendre, qui attirèrent l'attention du professeur. Mais comme la fumée se régulait tranquillement, il finit par acquiescer, non sans une oeillade d'avertissement à leur encontre.
Sasha soupira.