Avec lenteur, Lyle redressa la tête et referma le livre. Cette fois-ci, sans retenir la page d'un index impatient.
- Mh-mh, avait-il seulement émis.
Il croisa les bras sur sa poitrine pour se laisser aller contre le dossier de sa chaise, ses yeux gris épiant avec plus d'intérêt la jeune femme devant lui. Il avait une envie subite d'envoyer un courrier à Oswald, de lui demander si la maison Valcourt était si importante que cela à soigner dans ses relations - il le ferait peut-être, un peu plus tard. Il y avait tout de même de fortes chances qu'elle bluffât : les Serpentards étaient bien connus pour cela. Il l'écouta tout de même attentivement. Elle avait l'air de savoir parfaitement ce qu'elle faisait et pour son âge, ce qui l'impressionnait.
Puis il s'installa un silence. Lyle posa doucement les yeux sur la couverture du livre ("Incendia Sempiterna : L'Essence des Feudeymons et des Feux Envoûtés" par Margaret Drockfuss, deuxième édition) avant de revenir à son observation de la jeune femme. Il laissait à dessein le temps s'écouler, installer entre eux un malaise palpable - mais qu'ils étaient bien capables de tous les deux supporter, ce qui en disait long sur leurs caractères respectifs : deux prédateurs, prêts à patienter longuement pour saisir l'instant précis.
Un sourire en coin éclaira discrètement le visage de Lyle.
- C'est un livre pour lequel il faut une autorisation spéciale, expliqua-t-il d'une voix calme. J'ai accès à la réserve grâce à la lettre de recommandation de mon directeur de maison - un privilège que lui enviait un certain nombre de ses camarades aux écharpes bleues et bronzes.
Pourtant, il ne montra pas signe d'une fierté quelconque ; comme s'il n'en avait pas besoin. Tout parlait déjà pour lui : sa tenue, cet accès, ses plans pour le futur, sa tranquillité d'esprit.
- J'ai très bien vu ce que tu viens de faire, finit-il par ajouter dans ce silence qui s'étirait entre les rangées d'étagères comme un serpent silencieux, inquiétant. Il va falloir revoir tes techniques pour être un peu plus élégamment manipulatrice : évidemment que rencontrer Lord Oldmore m'intéresse.
Gary Oldmore n'était nul autre que l'Ambassadeur de la Magie Britannique à Paris. Lyle connaissait les noms de la plupart des ambassadeurs, en tout cas dans les grands pays qui comptaient. Souvent issus de familles nobles - et Oldmore ne faisait pas exception - il était particulièrement difficile de se rapprocher de leurs cercles privés : généralement, cela se faisait soit par le sang, soit par de hautes fonctions administratives. Les Sorensen n'étaient pas exactement de l'aristocratie britannique, à cause de leurs origines nordiques, mais ils avaient bâti une réputation - ou plutôt, Oswald avait bâti cette réputation à partir de sa carrière brillante, qui rejaillissait sur Lyle. Mais serait-ce suffisant pour atteindre Oldmore ; Lyle en doutait.
Il s'humecta délicatement les lèvres, avant de croiser les mains sur le livre qui avait attiré l'attention de Viviane : inutile qu'elle continuât à s'intéresser à cette couverture.
- Tu as toute mon attention. Quel service puis-je te rendre pour être introduit auprès de... Gary, comme tu l'appelles si familièrement ? Si ça te fait plaisir que je porte un costume, pourquoi pas. Mais réfléchis bien ; je ne suis pas sûr que ce soit à cet endroit que je te serai le plus utile. Mais si c'est ça que tu veux...
Il avait parlé avec la bienveillance de celui qui joue aux échecs contre quelqu'un de moins expérimenté.