Poudlard Le Château [Terminé] Le chat et la souris [ft. Lyle Sørensen]

Viviane Valcourt , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

D'aucun disent que tu n'es jamais sortie avec la moindre fille, comme cela ne pouvait guère t'intéresser. Permet moi d'en douter. Tu joues l'inaccessible, voilà tout. N'ai-je pas déjà longuement révélé combien j'exige l'inaccessible ? C'est ta dernière rentrée, après cela je n'aurais plus la moindre chance, ou cela n'aura simplement plus la moindre importance. Dans le micro-univers de Poudlard, ce qui peut bien se passer au dehors n'a pas de signification. L'essentiel se déploie dans le long cheminement de rumeurs qui courent les couloirs et les classes, jusque s'endormir dans la pseudo-intimité des dortoirs. Le pouvoir appartient à celui qui la fait naître, tu ne le savais pas ?

 

Mon regard se perd sur les contours de ton profil, alors que tu te perds dans le cœur d'un livre qui semble si prenant que tu ne t'en es pas détourné une seule depuis plus de quinze minutes. Une plume immaculée m'effleure les lèvres à un rythme régulier tandis que je songe éveillé à la meilleure façon de faire ployer celui qui n'est connu que pour garder ses distances. Je suppose que tu m'as toujours un peu attiré, avec ton élégance naturelle. Dommage que tu ne sois qu'un sang-mêlé, car j'aurais pu m'imaginer plus avec toi qu'une simple rumeur jetée au milieu des couloirs. Aisément. Cependant, ta famille se résumé a bien peu de choses face à la mienne, et je devrais me contenter d'un petit jeu de chat et de souris. Ne te fais pas d'illusion. Malgré tes airs assurés de prédateur, c'est bien toi, la souris.

 

D'un seul mouvement, je fais claquer le manuel de métamorphose qui n'occupe que la table faute de mon attention, avant de me redresser de mon siège. Beckett n'est nulle part en vue, et je compte bien profiter de notre solitude récemment acquise. Tu n'as pas même remarqué le départ du reste de ton groupe d'études. Tu remarqueras mon arrivée, c'est certain. Elle est soignée. Une mèche blonde repassée derrière une oreille, mon uniforme parfaitement ajustée bercée d'un côté et d'un autre, mes souliers qui claquent avec une détermination dont tu n'oserais même pas rêver. Lorsque je vais quelque part, je n'hésite jamais.

 

- Lyle Sørensen. Tu es le petit-fils de Oswald Sørensen, c'est bien ça ?

 

Je n'en ai pas le moindre doute, évidemment, mais la courtoisie est dépeinte sur mon visage tandis que je viens siéger à ta table sans attendre ton invitation.

 

- Viviane Valcourt. Mais tu le sais déjà, je présume. Mon grand-père a travaillé avec le tien. Comprenez qu'il l'a vêtu, non qu'il a joué les renifleurs de mages noirs. Il m'a fait comprendre que je devrais me présenter avant que tu ne quitte Poudlard. Alors je me présente.

 

Une main est tendue, rigide et sûre, mon sourire minaudeur appuyé sur une joue, une nouvelle mèche ramenée derrière l'oreille. Tu as perdu ton ami, récemment. Je le sais, comme je sais beaucoup d'autres choses sur toi. Je suis préparée à cet entretien. Ce challenge. Tu ne l'es probablement pas.


Lyle Sørensen , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

Les recherches de Lyle ne se déroulaient pas comme il le souhaitait. Lui qui avait toujours pris son avenir à la légère, ou plutôt ne s'était concentré à être un bon élève que pour faire plaisir à son grand-père, se trouvait soudain un intérêt particulier pour obtenir les meilleures notes possibles à Poudlard. Il n'avait jamais été le meilleur, la concurrence étant particulièrement rude parmi les Serdaigles, mais il avait été très bon élève. Maintenant, il fallait être, effectivement, le meilleur. Et mener parallèlement ses recherches, ce qui n'était pas une mince affaire. Sa vie consistait depuis septembre à optimiser son temps pour étudier efficacement le plus vite possible et se libérer du temps pour aller fureter là où il le devait.

 

Aussi ne relevait-il même pas la tête quand on le dérangeait.

 

- Rudement bien renseignée, constata-t-il, d'une voix distante, le nez  à peine relevé de son ouvrage. Surtout pour ton âge, ajouta-t-il en haussant brièvement les sourcils, avant de se replonger sur les lignes étroites du livre d'arithmancie.

 

Lyle était vêtu de sa robe académique, d'une chemise blanche impeccablement repassée et son col en était noué de la cravate bleue et blanche qui lui donnait vaguement l'allure d'un fonctionnaire du ministère particulièrement jeune. Il se sentit forcé de détacher son regard de la page qu'il lisait pour vérifier qui lui avait adressé la parole : Viviane Valcourt, effectivement. Valcourt, il connaissait ce nom. Un nom qu'avait en effet prononcé son grand-père : les robes Valcourt, les cravates Valcourt, les costumes Valcourt. Lyle acquiesça.

Il s'efforça de relever de nouveau le regard, pour poser sur elle un regard neutre, un peu vide. Avec froideur, il avait saisi la main pour la serrer brièvement.

 

- Hé bien voilà, tu t'es présentée. Autre chose ?

 

Lyle eut une drôle de mimique à l'égard de la jeune femme - quelque chose à mi-chemin entre l'encouragement et la défiance, mais d'une façon polie.

 

- Pourquoi est-ce que ton grand-père t'a demandé ça, tu vas reprendre sa boutique ?

 

Il n'était pas sûr d'être intéressé. Les Aurors de l'époque de son grand-père accordaient aux apparences une importance qu'il n'était pas sûr de vouloir investir, même si Lyle était lui-même très propre sur lui. Pour lui faire comprendre qu'il ne faisait la conversation que par pure politesse, il se replongea de nouveau dans son ouvrage. Aux lignes étroites suivaient des séries de chiffres et il saisit sa plume pour gratter un calcul sur un coin de parchemin.

 

 


Viviane Valcourt , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

Un sourire torve et mesurée me coulisse sur les lèvres, car bien sûr que tu ne relève pas la tête immédiatement. Je ne fais ni cas de la froideur de ton accueil, ni de cette réplique absurde sur mon âge. Seuls les vieux s'inquiètent de ce genre de banalité, tu dois passer bien trop de temps avec Oswald, darling. Une jambe passe par dessus l'autre, mes mains se joignes délicatement sur le bois de la table tandis que je t'observe. Mon regard finit par se détourner, comme profondément ennuyé.

 

- Sa boutique

 

La Maison Valcourt habille les plus grands, crois-tu sincèrement qu'une seule et unique enseigne se dresse dans le monde entier pour répondre aux demandes de ses clients fortunés ? Oh, c'est un test. Je vois. Tu ne peux pas ignorer mon vaste héritage d'un business qui fleurit depuis plus de dix générations, n'est-ce pas ? Tu es Serdaigle, tu ne peux guère être si ignare. Je ne te ferais pas l'injure de répondre à cette question pathétique.

 

- C'est en vue d'une collaboration, bien sûr. Il m'a dit avoir écrit à Oswald à cet effet. Valcourt recherche un visage pour sa jeune collection, que je ai aidé à designer. Je serai l'image des vêtements féminins, mais il est évident que je ne pourrais pas présenter les autres pièces. Tu as clairement le profil idéal.

 

Mes mains se sont décrochées, et mes bras sont venus se croiser sous ma poitrine pour mieux t'observer, comme te jauger. Tes traits sont si aristocratiques. D'une élégance certaine. C'est moi qui ai proposé ton nom, tu sais ? Papa m'a immédiatement demandé de t'approcher. Il me laisse prendre de plus en plus de décisions pour la marque. Il a confiance en moi. Tu devrais avoir confiance aussi. Je peux représenter un tremplin non négligeable de ta dernière année, Lyle. Je m'attends à ton refus, tu sais. C'est pourquoi je me suis permise de faire contacter ton grand-père par le mien. L'on est jamais mieux conseillé que par ses proches tu ne crois pas ?

Enfin, si l'on omet ma sœur.

 

- C'est un travail rémunéré, j'enchaine avec le ton d'une véritable entrepreneuse. Bien rémunéré, ça va sans dire - mais je tiens à le souligner malgré tout. Une journée seulement, au cœur de Paris, et le trajet est offert par la maison. Qu'en dis-tu ?

J'ai coulissé mon regard sur mes ongles parfaitement manucurés, comme pour vérifier l'état, avant de papillonner des cils dans ta direction. Mon chronomètre interne s'est déjà mis en route.


Lyle Sørensen , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

Lyle poussa un soupir, se résignant à reposer sa plume et même à fermer le livre qu'il avait devant lui. Enfin, pas tout à fait : il avait glissé un index entre les deux pages qu'il étudiant jusqu'ici, histoire de pouvoir reprendre rapidement, une fois que ce petit interlude serait terminé. Impassible, il écouta l'intégralité des explications de Viviane sans l'interrompre.

 

Puis un silence s'écoula. A l'intérieur de la bibliothèque, il ne subsistait toujours que quelques sons feutrés, comme si le reste du château n'existait pas ; et probablement était-ce ce qui faisait le charme de l'endroit aux yeux d'un bon nombre de Serdaigle, y compris Lyle.

Ce dernier finit par incliner la tête de côté, légèrement, comme pour signifier l'évidence de ce qu'il allait dire.

 

- Si tu connaissais si bien tes informations, tu saurais que je n'ai nullement besoin d'argent, articula-t-il avec lenteur - un peu comme s'il faisait la leçon à la jeune fille.

 

Et c'était probablement ce qui était en train de se produire. Lyle secoua la tête. Déjà il était prêt à rouvrir son livre.

 

- Ravi d'être au goût des membres de ta famille, mais je ne me destine pas au mannequinat, désolé.

 

Un tel projet serait même incompatible avec sa carrière future. S'il prenait autant soin de lui, ce n'était pas pour séduire ; du moins pas au sens où on l'entendait habituellement. S'il voulait paraître tiré à quatre épingles, au-delà de l'habitude de son éducation, c'était tout simplement pour paraître le candidat le plus compétent. Son grand-père lui avait appris que le fond n'était rien sans la forme - et vice-versa, d'ailleurs.

Il eut un bref soupir, et cette fois-ci, rouvrit le livre pour bon. Pourtant, il continua à parler en baissant les yeux sur les pages.

 

- La seule chose qui pourrait m'intéresser à Paris serait l'Ambassade Magique britannique et éventuellement leur Centre de Documentation et de Recherche pour essayer d'y décrocher un stage pour l'été prochain. Alors, à moins que ton grand-père habille des gens dans ce genre d'endroit...

 

Lyle releva légèrement le regard et haussa les sourcils, l'expression un peu trop neutre pour être parfaitement innocente. Est-ce qu'elle serait suffisamment bien renseignée, cette fois ? Ses yeux gris comme de la pierre de Lune défièrent ceux, tout aussi froids, de Viviane. Bénéficiait-elle vraiment du statut social de sa famille au point de pouvoir obtenir des renseignements si précis.

 

Il sourit ; à demi-encourageant, à demi-narquois.


Viviane Valcourt , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

Est-ce un mensonge que tu raconte à qui veut bien l'entendre ou à toi-même, Lyle ? Tout le monde a besoin d'argent. C'est l'un des moteurs essentiels de ce monde. Mais, évidemment, j'ai bien conscience qu'il ne s'agisse pas là de ta priorité. J'en suis informée. Je réprime le sourire qui manque me tordre les lèvres à ta réponse évidente. Ton véritable intérêt se tient ailleurs. N'est-ce-pas ? Trois, deux, un. Mon regard n'a pas quitté ton faciès déjà replongé entre les lignes de ton livre alors que tu renchéris, en véritable joueur de poker. Précisément ce que j'attendais. Je me plais à rester t'observer alors que la question reste en suspens entre-nous, l'air parfaitement innocente.

 

- Lyle, la maison Valcourt habille les plus éminents, j'énonce comme une leçon que je tiens à te faire apprendre, retenant le darling qui m'aurait naturellement coulé d'entre les lèvres. J'ai l'intime conviction que ce genre de surnom ne passerait pas chez toi. Tout de même. Le réseau de ma famille s'étend bien au-delà de tes espérances. Cette opportunité n'inclue pas seulement de jolis gallions, elle implique certaines rencontres. Cela va sans dire, darling

 

Déjà je me redresse, prête à plier bagage et me rendre là où ma présence sera mieux tolérée. Déjà je semble abandonner l'idée de te voir porter l'image de Valcourt à mon côté, car tu es si aisément remplaçable, Sørensen, certains tueraient pour se trouver à ta place.

 

- La vérité c'est que je ne me tourne vers toi qu'en raison de l'historique entre nos familles, mais je comprends que tu n'aies pas forcément envie de suivre le mouvement. C'est tout à fait naturel.

 

Raven n'était-elle pas, après tout, l'exemple le plus concret de ce genre de détournement ? Jamais elle ne s'était sentie impliquée ni de près ni de loin dans les affaires dont elles devaient hériter toutes les deux. Au contraire, sa cracmol de sœur cherchait plutôt à en briser l'image à tout instant, se pressant à fricoter en terrible compagnie, affublé de tenues qui n'avaient jamais rien d'élégant.

 

- Je suis persuadée que Gary saura trouver son chemin vers un sorcier aussi brillant que toi sans que nous n'ayons besoin de vous présenter, j'ajoute avec un sourire bienveillant. Pardon de t'avoir fait perdre ton temps.

 

Le nom jeté avec nonchalance n'est autre que celui de l'ambassadeur lui-même, client régulier de son paternel, détenteur d'un faible pourcentage de parts même de la noble maison. Satisfaite de mon petit effet, je replace quelques mèches derrière mon oreille avant de prétendre trouver un intérêt sur le livre que tu semble vouloir dévorer du regard davantage que ma silhouette parfaitement apprêtée. Cela fait en vérité plusieurs minutes que j'ai noté ce que tu t'appliquais à décortiquer avec tant d'attention. Un sifflement m'échappe.

 

- Les Feudeymons ? Waw. Nous n'en sommes qu'aux révisions contre les attaques de manticore. Je comprends que tu sois si fasciné.


Lyle Sørensen , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

Avec lenteur, Lyle redressa la tête et referma le livre. Cette fois-ci, sans retenir la page d'un index impatient.

 

- Mh-mh, avait-il seulement émis.

 

Il croisa les bras sur sa poitrine pour se laisser aller contre le dossier de sa chaise, ses yeux gris épiant avec plus d'intérêt la jeune femme devant lui. Il avait une envie subite d'envoyer un courrier à Oswald, de lui demander si la maison Valcourt était si importante que cela à soigner dans ses relations - il le ferait peut-être, un peu plus tard. Il y avait tout de même de fortes chances qu'elle bluffât : les Serpentards étaient bien connus pour cela. Il l'écouta tout de même attentivement. Elle avait l'air de savoir parfaitement ce qu'elle faisait et pour son âge, ce qui l'impressionnait.

 

Puis il s'installa un silence. Lyle posa doucement les yeux sur la couverture du livre ("Incendia Sempiterna : L'Essence des Feudeymons et des Feux Envoûtés" par Margaret Drockfuss, deuxième édition) avant de revenir à son observation de la jeune femme. Il laissait à dessein le temps s'écouler, installer entre eux un malaise palpable - mais qu'ils étaient bien capables de tous les deux supporter, ce qui en disait long sur leurs caractères respectifs : deux prédateurs, prêts à patienter longuement pour saisir l'instant précis.

Un sourire en coin éclaira discrètement le visage de Lyle.

 

- C'est un livre pour lequel il faut une autorisation spéciale, expliqua-t-il d'une voix calme. J'ai accès à la réserve grâce à la lettre de recommandation de mon directeur de maison - un privilège que lui enviait un certain nombre de ses camarades aux écharpes bleues et bronzes.

 

Pourtant, il ne montra pas signe d'une fierté quelconque ; comme s'il n'en avait pas besoin. Tout parlait déjà pour lui : sa tenue, cet accès, ses plans pour le futur, sa tranquillité d'esprit.

 

- J'ai très bien vu ce que tu viens de faire, finit-il par ajouter dans ce silence qui s'étirait entre les rangées d'étagères comme un serpent silencieux, inquiétant. Il va falloir revoir tes techniques pour être un peu plus élégamment manipulatrice : évidemment que rencontrer Lord Oldmore m'intéresse.

 

Gary Oldmore n'était nul autre que l'Ambassadeur de la Magie Britannique à Paris. Lyle connaissait les noms de la plupart des ambassadeurs, en tout cas dans les grands pays qui comptaient. Souvent issus de familles nobles - et Oldmore ne faisait pas exception - il était particulièrement difficile de se rapprocher de leurs cercles privés : généralement, cela se faisait soit par le sang, soit par de hautes fonctions administratives. Les Sorensen n'étaient pas exactement de l'aristocratie britannique, à cause de leurs origines nordiques, mais ils avaient bâti une réputation - ou plutôt, Oswald avait bâti cette réputation à partir de sa carrière brillante, qui rejaillissait sur Lyle. Mais serait-ce suffisant pour atteindre Oldmore ; Lyle en doutait.

Il s'humecta délicatement les lèvres, avant de croiser les mains sur le livre qui avait attiré l'attention de Viviane : inutile qu'elle continuât à s'intéresser à cette couverture.

 

- Tu as toute mon attention. Quel service puis-je te rendre pour être introduit auprès de... Gary, comme tu l'appelles si familièrement ? Si ça te fait plaisir que je porte un costume, pourquoi pas. Mais réfléchis bien ; je ne suis pas sûr que ce soit à cet endroit que je te serai le plus utile. Mais si c'est ça que tu veux... 

 

Il avait parlé avec la bienveillance de celui qui joue aux échecs contre quelqu'un de moins expérimenté.


Viviane Valcourt , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

- Évidemment.

C'est à peine si je l'ai sifflé entre mes dents. Il ne faut pas s'appeler Dumbledore pour savoir que l'on ne se renseigne pas sur les Feudeymons sans autorisation spéciale. Ce n'est pas pour rien que la magie noire n'a jamais été au programme de Poudlard. J'imagine sans peine que ton intérêt a tout à voir avec la carrière dans laquelle tu te projette. Ce n'est pas pour rien non plus que j'ai mis l'emphase sur cet aspect précis de tes recherches. Ton implication ne sous-entend qu'une chose, à mes yeux. Ma proposition n'est guère quelque chose que tu peux te permettre de refuser. Une raison simple à la grossierté de mes manipulations. Que cela te plaise ou non, Lyle, il n'y avait nul besoin de subtilité dans un cas de figure tracé si brutalement, à la craie grasse.

 

La subtilité m'aurait montré sous mon vrai jour, or je préfère que tu m'imagine aisée à contrecarrer, vois-tu. La leçon numéro une lorsqu'il s'agit d'hameçonner quelqu'un n'est pas de lui faire croire monts et merveilles. C'est de lui faire croire qu'on lui apporte quelque chose de bien précis, sans qu'il réalise qu'il ne pourra plus ensuite se passer du reste - invisible sur le talon du contrat. Je prétends la gêne, alors, décroisant et recroisant mes jambes comme si tu venais de lire en moi comme dans un livre ouvert, laissant mes joues s'empourprer d'une chaleur que je ne ressens guère. C'est une comédie que j'ai appris à jouer très jeune, et dont Raven a fait les frais de nombreuses fois. Papa n'a jamais su faire autre chose que de prendre mon partie, car ma jumelle n'a jamais eu mon sens aiguisé du contrôle.

 

- C'est tout ce que je veux, j'assure en réponse à l'attention que tu me porte soudain plus intensément que dans les minutes précédentes. Ton image pour Valcourt, et en retour Valcourt pour ton image. C'est un deal équitable. L'assurance me fait relever le menton, alors que je m'avance sur mon siège pour croiser mes bras sur la table et agiter mes doigts pour y dessiner un planning imaginaire. Comme je te l'ai dit, cela ne prendra qu'une journée. Le shooting se déroule le premier weekend d'octobre, nous partirions samedi matin par portoloin, nous serions de retour samedi soir. Ton image sera utilisé pour le lancement de la nouvelle collection qui se tiendra début novembre. Gary devrait d'ailleurs être présent ce jour là, puisque tout se déroule à l'intérieur de l'ambassade. Le décor y est particulièrement saisissant, comme tu peux t'en douter. Je délaisse la table pour affuter un sourire bref avant de clôturer mon joli discours. Ce sera l'occasion pour toi de le saluer, et de négocier un entretien privé. C'est un homme occupé, mais il ne sait vraisemblablement pas dire non à un dîner en bonne compagnie. Le nom Sørensen associé à celui de Valcourt ne pourra que lui donner l'envie d'en apprendre plus sur toi et tes objectifs de carrière. Gagnant, gagnant.

 

J'ai déjà la représentation en tête de nos deux silhouettes braquant un regard noble sur le monde. Aux yeux de tous, nous serons une entité. Gagnant, gagnant, Lyle. 

- Des questions ?


Lyle Sørensen , Bibliothèque de Poudlard, le 15/09/2124

 

Tout en l'écoutant, Lyle détaillait le visage de la jeune femme. Il n'arrivait pas à se décider pour savoir s'il la trouvait ou non jolie : d'un côté elle avait les traits fins et élégants de bonne famille : une bouche parfaitement dessinée, des yeux maquillés avec discrétion mais délicatesse, des cheveux dociles. D'une certaine manière, elle renvoyait le même genre d'image que lui : soigné, appartenant à une classe sociale élevée. Mais d'un autre côté, quelque chose chez elle lui semblait désagréable : ce nez fin lui donnait une attitude hautaine, les mimiques qui agitaient le sourire de la jeune fille trahissaient des cachotteries qu'il ne parvenait à déchiffrer : était-elle seulement embarrassée ou bien jouait-elle un autre jeu ?

Si le trouble se lut un instant dans les yeux gris habituellement sans vie de Lyle, il se reprit rapidement en croisant les bras sur sa poitrine, se laissant aller sur son dossier de nouveau, comme s'il se laissait le temps de la réflexion. Alors même que c'était tout décidé : il ne pouvait laisser passer une opportunité de cette ampleur.

Il finit par acquiescer avec lenteur.

 

- Ca m'a l'air d'un deal équitable, en effet.

 

Pourquoi une gamine comme elle cacherait-elle quoique ce fut de dangereux pour lui ? Il ne lui servirait à rien d'être paranoïaque avant l'heure. Ce n'était qu'une enfant qui faisait un caprice auprès de sa famille pour être prise en photo avec le beau garçon de l'école. Lyle n'ignorait certainement pas les regards qui pesaient sur lui depuis la sixième année, quand il avait subitement grandi et qu'on se visage était devenu si angulaire. En quelques mois à peine, même sa voix avait changé, ce à quoi il n'avait guère prêté attention - au départ en tout cas. Car bien vite, ses yeux n'avaient plus cessé de surprendre des regards féminins. Quelques unes de ses amies de Serdaigle avaient commencé à bafouiller à son contact et progressivement, s'étaient éloignées de lui. Un bien étrange phénomène ; et comment pouvait-on en vouloir à Viviane Valcourt d'y succomber elle aussi ?

En d'autres circonstances, il l'aurait méprisée pour un tel enfantillage de gosse trop gâtée, mais on ne pouvait mépriser une famille qui lui proposait de déjeuner avec Lord Oldmore - il ne pouvait pas se décider, dans sa tête, à l'appeler lui aussi Gary, c'était beaucoup trop familier - et il n'avait eu aucun problème de conscience à mettre de côté ses jugements habituels pour accorder cette faveur pour être dans les bonnes grâces de l'Ambassade britannique, à Paris.

 

- Tout me paraît limpide, annonça-t-il avec tranquillité ; même si ce n'était pas tout à fait vrai.

 

Il avait une chose qui le chiffonnait : était-il possible que le lieu du shooting soit une pure coïncidence, ou bien bluffait-elle dans l'espoir de le faire venir. Un instant les yeux de Lyle se durcirent et ses sourcils blonds se froncèrent, vaguement menaçants.

 

- Je veux être informé de tout changement de programme avant notre départ, afin de pouvoir me rétracter si les conditions de notre deal ne sont pas respectées.

 

Lyle ajouta rapidement un sourire qui adoucit son visage, à dessein.

 

- Mais je dis ça juste au cas où, je te fais confiance, bien sûr.

 

C'était bien connu : on pouvait toujours se fier, de façon aveugle, aux Serpentards.