- Tu fuis.
Daphné avait fait des yeux ronds à son ami. Elle lui avait donné rendez-vous dans un petit bar moldu, perdu dans la campagne écossaise. C'était pour lui dire au revoir, avant son départ. Elle ne connaissait pas Franck depuis très longtemps, en fait il ne s'agissait que d'une rencontre passagère. Daphné était un peu comme ça, depuis sa sortie à Poudlard : une passante.
De passage dans de nombreuses villes anglaises, la jeune sorcière voyageait tellement qu'on aurait pu croire à une cavale. Elle n'avait pourtant personne à éviter, plutôt une soif insatiable de découvertes, une quête d'esquive de l'ennui. Elle ne restait jamais assez longtemps pour se sentir chez elle, créer des liens affectifs robustes, ou se construire une expérience. Elle avait toujours une bonne raison de partir, tel job, tel ami, tel beau village, tel fait divers... Sans cap ou idée d'aboutissement pour ces voyages, elle se laissait porter par la vie simplement pour voler, ailleurs.
Élevée seulement par sa mère née-moldue, Daphné avait très tôt été une habituée des déménagements, une spectatrice des petits boulots, une témoin des amants à qui l'on dit au revoir sur le pas de la porte. La jeune femme avait accusé difficilement le coup de la disparition de sa mère, survenu durant ses dernières années d'école. Elle avait pourtant réussi à passer ses ASPICS avec ce qui lui restait de force.
La jeune femme soupira doucement. Mais c'est ce qui me soulagerait, là, maintenant. Elle bu la dernière gorgée de son verre. Et puis, j'arrêterai peut-être de fuir le jour où je n'aurais plus nulle part où rester. Elle souri de sa phrase alambiquée. Frank marquait un point : elle fuyait. Mais qu'avait-elle à fuir ? Encore une question à laquelle elle préférait se dérober.
Le jeune homme fronça les sourcils. Il était rare de voir Daphné vulnérable, la jeune femme abordait la plupart du temps un visage froid et attentif. Elle prenait son temps pour choisir ses mots, pour être sûre qu'ils soient justes. Elle articulait de manière éloquente, parfois avec un peu trop de fierté. En cercle restreint, cette dureté se transformait en sarcasme ou humour un peu décalé. Il n'y avait pas de demie mesure, elle était soit celle qui plaisantait et prenait tout à la légère, soit la sorcière silencieuse et distante, avec un sourire mystérieux et des yeux grands ouverts, pourtant insaisissables. Très clairement, il était difficile d'obtenir quoi que ce soit de Daphné qu'elle n'ait pas d'abord consciemment décidé de donner. Pourtant, dans cette petite auberge au cœur de l’Écosse, elle semblait presque fatiguée de courir.
Franck ne répondit pas tout de suite. Il était persuadé que, si Daphné ne s'était jamais vraiment attachée à quoi que ce soit, c'était parce qu'elle s’était convaincue que rien ne pouvait durer, qu'elle n’essayait même pas de s’accrocher. Alors, qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-il enfin, brisant le silence.
Elle haussa les épaules, comme si la réponse n'avait pas d'importance. Passer à Londres, m'y arrêter si je trouve un nouveau travail décent... Franck savait qu’il ne pourrait pas retenir son amie, pas maintenant. Si jamais tu changes d’avis, tu sais où me trouver. Elle hocha lentement la tête, sans pour autant faire de promesse, elle avait fait trop de promesses qu'elle n'avait jamais réussi à tenir. Merci, Franck. Elle se leva, prête à partir, avec le sentiment étranges qu'elle ne reverrait jamais Franck. Une certitude qui lui serra la gorge brusquement. Enfilant un visage neutre, elle se tourna une dernière fois vers le sorcier. Prends soin de toi.
Elle couvrit ses cheveux roux de sa cape beige avant de disparaître dans la nuit, sans se retourner. Bientôt, le son de ses talons tapant les pavés du village s'évanouirent. Comme une ombre emportée par le vent, elle partait une fois de plus en quête de quelque chose qu’elle ne savait pas nommer.