En dehors du Château Londres Ministère de la Magie [Terminé] L'initiative [ft. Noah Ingram]

Leo Bloodworth , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

VLAM.

 

Le dos de la porte vient épouser le mur en un claquement assourdissant, dévoilant la silhouette longiligne de Leo Bloodworth lui-même. Derrière, l'aperçu d'une secrétaire agitée qui semble vouloir empêcher l'inévitable. L'air est réjouit, la démarche vibrante d'un enthousiasme débordant. Un éclat dans l'œil, les lèvres étirées en toute fierté, il ne tarde pas à beugler la raison de sa présence - l'indice principal se trouvant enchâssé sous son bras, paquetage d'une cinquantaine de centimètre carrés enveloppé dans une couverture violacée.

 

- CHEF INGRAM ! J'AI SÉCURISÉ LA RÉSERVE !

 

Plusieurs papelards s'envolent sous la violence du courant d'air qui s'imisce à l'intérieur de la pièce, et Leo les ignore entièrement. Il s'avance d'un pas certain pour poser sur le bureau son précieux colis, qu'il dévoile d'un geste auguste, véritable prestidigitateur de ces dames. Ou, en l'occurence, d'un certain Noah Ingram. Noah Ingram c'est le patron, voyez, et c'est important de lui en mettre plein les yeux parce que... et bien c'est le patron ! Alors pour sûr que quand on lui avait donné pour mission la surveillance de la réserve d'artefacts, Leo l'avait pris à cœur.

 

C'était foutrement plus intéressant que d'accompagner la navigation des notes volantes dans tout le département. Une responsabilité comme aucune autre. On ne lui faisait plus guère faire le café, non mais - certes depuis qu'il avait inondé les bureaux sous les gerbes cahotantes d'une machine ensorcelée pour ce qu'il avait appelé une efficacité double, et qui s'était - par mégarde cette unique fois précisons le - d'un échec. Il n'empêche que la surveillance d'une porte aussi importante que celle des artefacts ? Ça présageait d'une montée en grade. C'était certain.

 

- Tadaaaaa.

 

Le coffre n'est pas inconnu au chef Ingram, voyez. C'est un coffre important. Couvert de runes anciennes dont Leo ne connait guère la traduction. Ce qu'il connait en revanche, c'est le nom de ce coffre. Le coffre incartable. Rien à voir avec un coffre qu'on foutrait sur son dos pour aller au primaire, suivez un peu. Non, le coffre incartable c'est un coffre qu'on ne peut situer sur aucune carte. Rien que ça. Alors fatalement que ça en fait l'un des objets les plus importants de la réserve.

 

- J'ai eu une idée d'génie. Non mais vous allez comprendre. Parce que y avait un type qui rodait, voyez. Le vieux à la serpillère là. Bill. Si, le concierge. Trois fois qu'il est passé d'vant la réserve, il a cru que j'voyais pas son manège mais moi j'vois tout. Alors bon. Ni une ni deux, j'suis allé à l'intérieur pour lui tendre un piège au cas où il lui viendrait à l'idée d'entrer quand il verrait que j'suis pas devant en train de faire ma filature.

 

Si, on peut faire une filature sur une porte. Il en a fait une de neuf heure à onze heure trente, merci bien. Croyez bien que ça file pas bien loin.

 

- J'ai vu l'coffre, et là l'idée d'génie hein ! Il se frappe la tempe. Si on met tout dedans et qu'on l'planque là où seul le chef Ingram il sait où on l'a planqué, ben y aura plus besoin d'filer la porte ! Parce que tout s'ra bien planqué à un endroit que personne aura besoin de filer. Ou même pourra filer. Parce qu'on peut pas filer un coffre incartable hein ?! Leo est tout agité, tout fier. Alors j'ai pris l'initiative et j'vous ai tout mis d'dans. J'espère qu'vous êtes content.

 

Franchement il fait gagner du temps et de l'argent à tout le département. D'un geste. Auguste. Génie on vous dit. Si seulement il avait pas confondu le coffre incartable et le coffre à disparition.


Noah Ingram , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

Avant la coupe du monde de Quidditch, Noah se maudissait d'avoir accepté le poste de chef du bureau des aurors, un poste qui le tenait un peu trop éloigné du terrain à son goût. Les rares fois où il pouvait se permettre d'intervenir en personne, c'était lorsque l'enquête laissait penser qu'il s'agissait d'un réseau bien ficelé ou qu'un groupe projetait une action d'éclat. Autrement dit : il ne quittait presque jamais son bureau. Maintenant que la coupe du monde de Quidditch était terminée et qu'il avait dû endosser le rôle de directeur du département de la justice par intérim, il regrettait amèrement le temps où il n'était "que" le chef du bureau des aurors. Voilà presque un mois que son quotidien se résumait à des réunions de crise et à des crises de nerfs.

 

Un mois que les journaux faisaient leurs choux gras des événements récents, et un mois qu'il devait supporter ce qui semblait être le pire abruti du monde magique anglo-saxon : Leo Bloodworth. Leo Bloodworth, qui n'avait pas été fichu de préparer un café sans inonder le parquet du département. Leo Bloodworth, qui, par sa simple présence, avait exaspéré l'ensemble du personnel de l'étage lorsqu'il avait été assigné à la surveillance des notes volantes. Leo Bloodworth, fils du directeur du département des transports magiques. Leo Bloodworth, qui venait vraisemblablement de faire disparaître les preuves de plusieurs mois d'enquêtes diverses et variées.

 

Noah fit rouler sa plume entre ses doigts sans dire un mot, observant avec attention le visage radieux du jeune homme en face de lui. Plusieurs questions lui vinrent à l'esprit, ainsi que plusieurs hypothèses, toutes plus farfelues les unes que les autres. "Si ça se trouve, il travaille pour l'ennemi..." pensa-t-il, tandis que son regard devenait plus perçant — du moins autant que possible, car il n'y avait peut-être rien à percer. Finalement, il en vint à une conclusion simple : "...non, je crois qu'il est juste con." Posant sa plume, il tenta de contenir les tremblements qui agitaient sa voix.

 

J'imagine que vous avez laissé le coffre incartable à la réserve, n'est-ce pas ? Non, parce que ce que vous tenez entre les mains, c'est un coffre à disparition, pauvre crétin.

 

Noah voyait déjà les visages tantôt rieurs, tantôt stupéfaits, mais globalement sidérés des forces de l'ordre et des magistrats auxquels il allait devoir expliquer que, par erreur, un stagiaire avait fait disparaître l'ensemble des preuves et des pièces à conviction des affaires encore en attente de jugement. Tout était de sa faute... il aurait dû savoir que même la surveillance d'une porte n'aurait pas été une tâche suffisamment simple pour un crétin de cette envergure.

 

Je t'en supplie, Leo... dis-moi que c'est une horrible farce, que nous n'avons pas à jeter six à huit mois de travail à la poubelle. Que tu n'as touché à rien et que tout ce qui était stocké dans la salle des artefacts y est encore. S'il te plaît...

 

Le ton était presque suppliant, mais un mot de trop de la part du jeune homme, et Noah Ingram allait déclencher sa septième crise de nerfs de la semaine... et nous n'étions encore que jeudi.


Leo Bloodworth , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

Aux applaudissements, aux félicitations, se substituent la réplique cinglante d'un chef Ingram paraissant plutôt mécontent de la prise d'initiative de son brillant stagiaire. L'incompréhension se dépeint sur les traits de Leo, lui donnant plus que jamais l'air juvénile qu'il ne semble que rarement quitter malgré une vingt-cinquième année dépassée. D'abord les yeux qui s'écarquille pour former deux billes d'une confusion certaine. Les lèvres qui s'écartent tandis que la mâchoire s'en vient pendre lamentablement, brutalement se refermer, puis se rouvrir, à la manière d'une boîte à laquelle il manquerait un vérin. Les oreilles qui s'avancent et se recule alors que l'animal cherche ses mots. Pauvre crétin. Il y va fort, le chef Ingram. Ce sont des consonnes qui s'échappent de manière sporadique alors que la pensée, elle, peine à se former sous le crâne. 

 

- D... M... Ah... Qu... ?

 

La tête s'affaisse pour mieux porter le regard sur le coffre, fameux, sa belle armature de bois, ses jolies runes qui ne font que gigoter de part et d'autre de ses quatres faces, en mouvance discrète mais latente, gravée dans des teintes si sombres qu'on pourrait presque les manquer.

 

- C'est heu...

 

Un coffre. À disparition. Non mais ça lui revient. Les runes. C'est ça la différence majeure entre les deux coffres, voyez. L'un en porte, l'autre non. Pour sa défense, c'est la seule. L'unique. Les runes sombres ornant les bordures des quatre faces, en frise constante parfaitement indélébile. Leo redresse la tête, la rabaisse de nouveau. Le chef a raison. C'est évident. C'est-à-dire que le chef a souvent raison, pour ne pas dire toujours. On n'dit jamais toujours, disait maman, parce qu'on ne sait pas ce qui peut nous arriver du jour aux Landes Mains. Bon. Il a jamais visité l'endroit mais il est à peu près sûr que ça expliquerait tout. Notamment qu'on dit jamais toujours, ni qu'on dit jamais jamais. Ça fait que quand maman est partie, Leo s'est dit que ce serait bien, un jour d'aller visiter les Landes. Sur un malentendu... elle y est en train d'les attendre voyez. Enfin bref, le chef a quand même vachement souvent raison, pis là plus que jamais. Enfin plus qu'un jour où il aurait pas raison en tous cas.

 

Ses yeux se relèvent pour faire face aux pupilles noires de Monsieur Ingram. Le chef il a des pupilles noires comme du charbon. Les pupilles c'est toujours sacrément noires, mais celles du patron c'est les pires. Elles vous matent avec une telle intensité parfois qu'on se voudrait assez petit pour se ranger dans un tiroir. Ou dans un coffre à disparition. Alors Leo il sait pas bien quoi dire d'autre que c'que le chef Ingram il voudrait bien qu'il dise. Il est quand même gentil le chef Ingram, parce qu'il donne de gros indices sur ce qui pourrait bien empêcher qu'il s'énerve pour de bon. Pas que quiconque puisse vraiment s'énerver pour de bon. Enfin quand on s'énerve c'est généralement pour du mauvais. Ou alors c'est qu'on a un grain. Pas tout à fait comme le sel ou le café, quoi qu'on se met presque à fumer par les oreilles comme une grosses bouilloire parfois, et... bref. Le chef Ingram il a pas l'air énervé pour du bon ni pour du mauvais, alors Leo il a toute ses chances.

 

- C'est une horrible farce M'sieur Ingram ! J'ai vraiment touché à rien, tout est encore là-bas et tout faut pas vous en faire. HAHAHA ! Il le joue super bien. Donnez lui un oscar. Six à huit mois de travail, et puis quoi ? J'vous ai bien eu hein ? Il en rajoute, parce que c'est un maître en matière d'improvisation d'accord ? Il a fait deux ans de théâtre pendant son collège quand même. Il se permet même un clin d'œil, avec un sourire confiant.

En vrai ça peut bien rester entre eux. C'est des artefacts super méga dangereux dont on parle quand même. Ça vaut probablement mieux que ce soit porté disparu à jamais plutôt que de tomber entre de mauvaises mains. Leo a le regard qui fuit quand même sur la fin, et le coffre est resserré entre ses bras tandis que tout son corps annonce chercher la sortie.

 

- Bon bah c'est pas l'tout...


Noah Ingram , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

Noah resta un moment silencieux, fixant Leo avec une intensité qui aurait pu faire fondre la glace. Sa mâchoire se contracta imperceptiblement, signe infime mais révélateur de l'immense effort qu'il déployait pour ne pas exploser. Il laissa échapper un soupir lent, comme s’il essayait de libérer, goutte à goutte, la frustration qui bouillonnait en lui.

 

Une farce, donc.

 

La phrase tomba comme une enclume dans le bureau. Pas une question, pas même une supposition. Une déclaration plate, dénuée d'émotion, pourtant chargée d'un mépris glacé. Noah savait pertinemment que Leo était tout sauf un maître de la tromperie ou de la subtilité. Ce clin d'œil, ce sourire confiant, cette tentative désespérée de camoufler une catastrophe sous une couche ridicule d'humour... Tout cela confirmait une seule chose : Leo Bloodworth était en train de s'enfoncer, et il le faisait avec l'enthousiasme d'un homme qui ne sait même pas qu'il se noie.

 

Noah se redressa légèrement sur sa chaise, ses doigts tambourinant distraitement sur le bord du bureau. 

 

Bien joué, Leo. Vraiment. Il hocha la tête, son ton était exagérément calme. Tu as réussi à... me surprendre. Pas dans le bon sens, évidemment, mais surpris quand même. Six à huit mois de travail, des preuves vitales, des artefacts dangereux, tout ça dans un coffre à disparition.

 

Il laissa la phrase en suspens, permettant à chaque mot de s'incruster dans le crâne du jeune homme, comme des piques acérées.

 

Et tu penses que ça va rester entre nous ?

 

Noah se pencha en avant, les coudes sur le bureau, son regard plus perçant que jamais. Tu penses vraiment qu'on peut juste balayer tout ça sous le tapis ? Qu'on peut dire "Oups, désolé, on a fait disparaître des preuves critiques, mais tout va bien, c'était pour le bien du Département" ?

Il inspira profondément, cherchant à garder son calme alors qu'il sentait la pression lui monter à la tête. Ce n'était plus une question d'incompétence. C'était... un désastre.

 

Leo. Sa voix était plus basse maintenant, mais chaque syllabe vibrait d'une tension palpable. Je vais être très clair avec toi. Tu vas sortir d'ici, tu vas retourner dans cette réserve, et tu vas te creuser ce qui te sert de cervelle pour me trouver une raison plausible expliquant la disparition de tout ces éléments. Il se redressa, croisant les bras, ses yeux toujours rivés sur Leo. Et si tu n'y arrives pas... Je te conseille de trouver une autre carrière. Peut-être que la confection de théières ensorcelées est encore un domaine ouvert à recrutement.


Leo Bloodworth , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

La silhouette se fige dans l'embrasure de la porte. Leo, retourné dans la direction du chef Ingram, n'en mène pas franchement large. C'est-à-dire que le chef Ingram a pas l'air content content. Pour pas dire qu'il fait bien la gueule. La tentative de sourire s'estompe à mesure que s'étire le silence. S'il le pouvait, il s'enfoncerait dans le sol. Malheureusement ce n'est pas un art qu'il maîtrise. Alors il demeure là, stupidement ancré à moins de cinquante centimètres de la sortie, son coffre sous le bras, le regard fixé sur le bout de ses chaussures impeccablement vernies - il prend le temps de les astiquer chaque matin, car comme Summer le dit toujours, la première impression, faut pas que ça colle à la semelle. Ou quelque chose comme ça.

 

- Mhmh ?

 

Regain d'espoir, dans le fond des pupilles soudainement dressées vers le chef Ingram. Ça pourrait non ? Rester entre eux. Bon. Le problème c'est que parfois y a des questions comme ça, qu'attendent pas de réponse. Papa lui en colle souvent. Les questions rhétoriques. Cent fois qu'il a du l'écrire ce mot, pour apprendre à plus y répondre avec un solance. Pas qu'il ait bien compris ce qu'était un solance. Dans le doute, il répond plus dès qu'il a un doute que la question soit pas rhétorique. Ou alors comme ça, vaguement, d'un mhmh bien placé. Ça passe partout, ce genre de réponse, ça se mouille pas, ou alors juste un gros orteil qu'on peut sortir direct s'il fait trop froid.

 

Pas que Leo soit bien frileux. Il a gagné un concours d'apnée dans la Manche, tout de même.

 

Son prénom jeté là dans la pièce étrangement plus étroite que dans les vingt minutes précédentes le fait cesser ses tergiversations mentales, et son regard braqué sur le visage du patron se crispe un peu. C'est pas bon, quand le chef Ingram l'appelle Leo comme ça. Pas bon du tout. Mais finalement ? Finalement ça va, non ? La bouche s'ouvre en ovale de surprise, et la tête se secoue de haut en bas avec affirmation. Sûr qu'il peut faire ça. C'est dans ses cordes. Faut dire, c'est du génie un peu : retourner sur les lieux de la disparition, c'est le B.A. BA de toute bonne enquête. Ça fait aucun doute que ça lui donnera une idée fulgurante. Pas qu'il soit pas intéressé par la confection de théières ensorcelées, m'enfin il l'aime bien son badge de stagiaire au département de la justice magique.

 

Pis la dernière fois qu'il s'est trouvé en présence de telles théières, ça s'était pas fort bien fini, alors.

 

- J'vais creuser chef ! J'vais creuser fort !

 

Trouver une raison plausible, il est pas bien sûr de ce que ça veut dire, mais il est à peu près sûr que ça veut dire ne pas révéler qu'il est la raison de la disparition de tous les artefacts de la réserve dans un coffre à disparition. Probablement que ça ce serait pas plausible. Leo fronce subitement les yeux en réalisant ce que, au juste, ça signifie. Le chef Ingram lui demande de mentir. Mentir pour sauver son badge.

 

- Chef... Ça veut dire que ça va rester entre nous hein ? C'était pas une question rhétorique !

 

Il est content, quand il utilise ce mot là, parce que ça fait toujours son petit effet. Comme si d'un coup on le considérait en tant que tel, quoi.

 

- J'vous décevrai pas, il annonce finalement en prenant la tangente sans demander son reste.

 

Parce qu'on sait jamais, le chef Ingram pourrait brutalement changer d'avis pour trouver que Leo est une raison tout à fait plausible à la disparition de l'ensemble des artefacts du niveau II, en plus que ce soit une raison tout à fait plausible à lui retirer son badge. Si on lui demande, le vieux au balai est tout autant une raison plausible que lui. Le coffre sous le bras, Leo se presse en direction de la réserve, qui se trouve grande ouverte. L'idée, lumineuse, lui vient alors qu'il aperçoit la queue d'une cape bleu sombre au détour du couloir - toujours Bill, le concierge, et il s'imprègne du rôle de sa vie en beuglant brutalement :

 

- ALERTE, INFRACTION AU NIVEAU DEUX, ON A VOLÉ TOUS LES ARTEFACTS DE LA RÉSERVE ! ALERTE ! CHEF INGRAM !


Noah Ingram , Département de la Justice Magique, bureau du chef des aurors, le 28/09/2124

Noah Ingram resta un instant assis, figé dans un mélange de désespoir et de lassitude. Son regard se perdit sur la porte qui venait de se refermer derrière Leo, comme s’il espérait secrètement qu’elle se rouvre pour qu’il puisse corriger la bévue sur-le-champ. Mais la réalité le rattrapa, avec le chaos imminent et les conséquences d’une telle erreur.

 

Il se redressa, frotta ses tempes d’un geste épuisé, puis appuya sur l’interphone.

 

Anne… pourriez-vous me passer le dossier Bloodworth ?

 

Il marqua une pause, choisissant soigneusement ses mots. La voix de la secrétaire résonna doucement, teintée d’une résignation presque complice, un soupir audible de l’autre côté.

 

Bien sûr, Monsieur Ingram. Je suppose que je prépare également les formulaires de sanctions disciplinaires ?

 

Noah se pinça l’arête du nez, esquissant un rire sec, sans véritable trace d’humour.

 

Oh, mais cela va bien au-delà d’un formulaire… Prévenez également l’équipe de récupération des artefacts. Son ton devint plus grave. Nous devons lancer une intervention immédiate pour sécuriser la réserve. Monsieur Bloodworth junior a "emprunté" un coffre à disparition en pensant qu’il s’agissait du coffre incartable.

 

Un long silence se fit entendre à l’autre bout de la ligne, comme si Anne avait besoin d'un moment pour digérer ce qu’elle venait d’entendre. Ou alors, elle se retenait purement et simplement d'éclater de rire devant cette énième bavure du fils Bloodworth. Finalement, elle répondit avec une pointe d’hésitation.

 

Le… le coffre à disparition, Monsieur ? Celui qui… fait disparaître définitivement ce qu’on y place ?

 

Exactement celui-là, répondit Noah, sentant le poids de chaque mot, comme si énoncer l’ampleur du désastre rendait la situation encore plus réelle. J’aurais dû me méfier. Le concept de coffre “incartable” semblait probablement trop subtil pour lui…

 

Il laissa échapper un soupir encore plus lourd, son regard se posant sur la pile de dossiers s’amoncelant sur son bureau.

 

Anne, nous aurons aussi besoin de contacter Monsieur Bloodworth père. Il serait sans doute avisé de lui suggérer une réorientation pour son fils. Peut-être une affectation plus… “inoffensive” ? Si nous devons continuer à l'héberger au sein du département, pourquoi ne pas l’envoyer aux archives des chapeaux enchantés ? Ou dans l’inventaire des bottes à lévitation ?

 

Monsieur Ingram, vous pensez sérieusement que ce serait une sanction adaptée ?

 

Oh, croyez-moi, Anne, je ne suis pas dans un esprit de sanction. Plutôt de survie. Il reprit d’un ton légèrement plus assuré, comme s’il trouvait enfin un semblant de solution au milieu de ce chaos. En réalité, je pense qu’il serait en parfaite sécurité, à distance raisonnable des artefacts à haut risque. Les bottes et les chapeaux n’ont jamais causé la moindre alerte de sécurité.

 

Puis, se redressant sur son fauteuil et observant le bureau encore en désordre, il conclut avec une note plus douce.

 

Rassurez-moi, Anne, vous avez bien demandé à l’équipe de sécurité de remplacer les serrures de la réserve, n’est-ce pas ?

 

Absolument, Monsieur. D’ici la fin de la journée, le jeune Bloodworth ne pourra même plus ouvrir une boîte de plumes sans autorisation. D'ailleurs à ce propos il serait bon de ...

 

La voix de la secrétaire se perdit dans le brouhaha, une voix que Noah n'eut aucun mal à reconnaître résonnait dans tout l'étage.

 

ALERTE, INFRACTION AU NIVEAU DEUX, ON A VOLÉ TOUS LES ARTEFACTS DE LA RÉSERVE ! ALERTE ! CHEF INGRAM !

 

Noah se prit la tête dans les mains et prit une longue - très longue - inspiration. Le stock de chapeaux : ce sera parfait.