Malgré son échec, Basil tente un brin d'humour timide, rebondissant sur le fait que, cette fois-ci, il n'y a pas de corne.

Puis il se lance de nouveau.

Amanda se dit que ça ne doit pas être facile de rester motivé après deux échec. Mais ils ont l'habitude de travailler ensemble. Aussi, elle espère qu'il lui fait confiance et que cette confiance l'aidera à canaliser sa magie et réussir son sortilège.

L'espoir est de courte durée. La jeune fille sent un flux magique la parcourir alors que le sortilège l'atteint. Mais elle n'a pas la sensation qu'elle aurait pu imaginer pour des branchies. Elle se fait la remarque qu'elle parvient toujours à respirer à l'air libre et qu'une drôle d'odeur commence à atteindre ses narines. Dubitative, elle tâtonne, ses doigts glissent sur son cou et rencontrent une texture un peu visqueuse. Moelleuse. Elle retient un petit cri de surprise, ne réalisant pas de suite ce qui vient de pousser sur sa peau. Puis elle comprend : des algues. Et leur lot d'odeur marine. Des algues qui s'agitent doucement, comme des tentacules végétaux. 

Basil a un air mi-désespéré mi-gêné, affirmant qu'il ne va jamais y arriver.

Des yeux, Amanda cherche le professeur Pope. Il doit commencer à se demander s'ils le font exprès... le groupe de ce matin n'est pas le plus débrouillard. Entre la corne, les algues et l'agitation folle qui s'est créée autour de Nikolaï -Amanda n'a pas vraiment compris, elle était concentrée à maintenir le sortilège sur Basil, mais ça avait pas l'air d'être anodin. 

Prompt et réactif comme à son habitude, le professeur lui rend bientôt son apparence habituelle.

Et la jeune fille reporte son attention sur son coéquipier.

-Mais si, tu vas y arriver, dit-elle d'un ton très convaincu.

Peut-être qu'une part d'elle commence à douter... mais elle la balaie bien vite. Elle sait que Basil peut le faire ! Il le doit ! Leur duo fonctionne bien habituellement, y'a pas de raison pour que ça change.

Elle fait un pas vers lui et se saisit de sa main -celle qui ne tient pas la baguette. Elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça, un instinct. Elle la serre d'une poigne forte, comme si elle scellait avec lui un quelconque pacte de métamorphose.

-Allez, tu peux le faire ! reprend-elle avec vigueur. On va leur montrer que notre duo fonctionne bien !

Isaya se dit que cette jeune cliente a, en effet, particulièrement contente d'être là. Et, écoutez, la bonne humeur est contagieuse ! La gérante note mentalement que la jeune femme souligne que l'ambiance lui avait manqué. Une ancienne habituée ? Elle ne parvient pas à se rappeler... Il y a pas mal de passage aux Trois Balais. Des va-et-vient dans des ballets sans fins. Les gens qui entrent, qui sortent, les vagues incessantes, les visages que l'on revoit de jour en jour jusqu'au moment où on ne les voit plus -sans doute ont ils pris un autre chemin, lointain.

Isaya hoche doucement la tête, retenant un hydromel pour la dame ! 

-Si vous le voulez chaud, ça peut s'arranger, répond la gérante dans un sourire. C'est encore la période où les boissons chaudes ont la cote ! Et pas de souci pour le repas, si jamais vous changez d'avis, il y aura toujours moyen de vous faire un assiette.

Sur ces paroles, elle s'éloigne vers le comptoir afin de préparer la boisson de la jeune cliente. 

Quelques minutes plus tard, elle revient et dépose un verre devant la jeune fille.

-Vous êtes en avance sur votre rendez-vous, ou ce sont vos acolytes qui sont en retard ? demande-t-elle, curieuse.

Elle ne sait pas trop si l'autre prendra sa question comme une tentative malvenue d'entrer dans sa vie privée. Mais la jeune a l'air de sacrément bonne humeur et Isaya se dit qu'elle ne sera peut-être pas contre un brin de causette en attendant. 

Elle balaie rapidement la salle du regard. Kelly gère la salle comme à son habitude. D'une main de maître. L'afflux s'est quelque peu calmé. Il reste quelques clients à servir ou débarrasser mais la serveuse saura gérer. Alors si jamais la jeune veut causer... Isaya aime bien écouter les gens. S'imaginer leur vie. Leurs histoires. Après tout, on est tous personnage principal de sa propre vie. A quoi doit ressembler cette la jeune femme en face d'elle ?

Amanda n'osera sans doute jamais l'avouer à Basil mais après trois échecs dont deux se sont soldés avec quelques effets indésirables, elle commence à se demander si, vraiment, ils vont y arriver.

Cependant, le rouge-et-or ne se laisse pas abattre. Et ça rassure Amanda. Il a l'air décidé à tenter encore une fois. Une dernière fois, dit-il.

La jeune fille inspire profondément, suspendu au mouvement de baguette de son camarade. La formule prononcée. Magie canalisée. Sortilège lancé.

Et

Elle a l'impression de changer de l'intérieur.

Cette fois-ci, pas d'odeur d'iode, de sensation molle et visqueuse ou de corne venant orner son front.

Non.

Une sensation bien différente. Qu'elle ne saura qualifier. La sensation que son corps n'est plus le même -plus tout à fait humain. Elle a envie de demander à Basil si ça a fonctionné mais se rend soudainement compte qu'elle est bien incapable de prononcer le moindre son. Et, brusquement, prend conscience de sa sensation d'étouffement qui l'habite. Son instinct lui dit qu'il faut qu'elle plonge. Maintenant. Elle félicitera Basil plus tard.

Ni une, ni deux, elle suit l'exemple de ses autres camarades et s'immerge dans l'eau.

Surprise, elle sent le liquide l'envelopper entièrement et se retrouve bientôt à évoluer dans un milieu bleuté, où tous les sons et lueurs sont filtrés. Elle se retrouve tel un poisson dans son milieu naturel.

Elle n'a pas le temps de tergiverser. Ils ont perdu pas mal de temps et elle aimerait bien parvenir au bout de cette épreuve avant que le professeur Pope ne leur demande de cesser leur exercice. Elle ne sait pas si bien si c'est pour prouver quelque chose aux autres ou plutôt à elle-même. Se montrer qu'elle peut faire.

Alors elle se met en mouvement.

Elle n'a jamais été une très bonne nageuse. Mais dans ce contexte, les compétences de natations ne sont pas ce qui est évalué. Elle se contente alors d'une brasse toute simple, avançant mouvement après mouvement.

Elle pense à Basil, à la surface. Elle espère qu'il parviendra à maintenir son sort. Elle l'imagine, concentré sur sa tâche. Comme elle l'a été.

Et elle avance.

Plus vite elle arrivera au bout du bassin, plus vite elle pourra le libérer de cet éreintant exercice. Car lorsqu'on n'y est pas habitué, ce n'est pas si simple de maintenir un sort !

Amanda se dit qu'elle n'avance pas aussi bien ni aussi vite qu'elle l'aurait voulu. Comme dit précédemment : elle n'a jamais été une grande nageuse. Et ça se ressent. Mais elle fait. Comme elle peut. Mouvement après mouvement, dans une brasse maladroite.

Elle a l'impression que le chemin est infini. Elle ne perçoit même pas le bord opposé du bassin. Elle n'a aucune d'idée d'à quelle distance elle se trouve de la ligne d'arrivée. Pour le coup, Basil était beaucoup plus à l'aise qu'elle dans l'eau. 

Tandis qu'elle avance consciencieusement, elle sent soudainement un nouveau changement dans son corps. C'est comme si le voile magique qui l'entourait jusqu'alors venait de se volatiliser d'un seul coup. Elle sent subitement l'eau entrer dans ses narines et suffoque.

Paniquée, elle bat des bras et des jambes pour remonter à la surface.

Ses pensées s'embrouillent et il ne lui faut que quelques mouvements pour crever la surface de l'eau. Mais cela lui paraît être une éternité.

Toussant et reniflant, elle barbote à la recherche d'une rive sur laquelle se hisser. Ce qu'elle fait sans plus tarder. Parvenue sur la terre ferme, elle reste quelques secondes à tousser, les yeux rivés au sol, ses cheveux mouillés cachant son visage comme un rideau. 

Il lui faut quelques minutes pour remettre ses idées en place et se relever. Elle a compris que le pauvre Basil n'est pas parvenu à maintenir son sort. Voilà donc ce qu'il se passe lorsque des branchies artificielles disparaissent d'un seul coup. Elle n'en veut pas à son ami mais espère n'avoir plus jamais à vivre ça ! La sensation de couler et se noyer n'est pas la plus fun des expériences. 

Quelque peu remise de ses émotions, elle titube jusqu'à Basil.

Elle a eu le temps de remettre un peu d'ordre dans ses idées.

Ramenant ses cheveux mouillés en arrière, elle se force à esquisser un petit sourire.

-Je crois qu'on est repartis de zéro, lui dit-elle d'une voix sans amertume.

Elle ne peut pas lui en vouloir. Elle suppose qu'il se flagelle assez lui-même pour ne pas en rajouter une couche.

-Tu... tu te sens de retenter ? Ou ça te désespère trop ?

Ceci dit, elle regarde autour d'elle. Les élèves qui s'activent. Certains ont tout autant de mal qu'eux. Mais un duo semble avoir terminé la course. Elle aimerait bien qu'ils y parviennent eux aussi. 

Basil tient bon. Il ne se laisse pas submerger par le désespoir qu'il serait en droit de ressentir. 

Amanda esquisse un sourire complice lorsqu'il affirme que repartir de zéro, c'est leur spécialité. En particulier aujourd'hui, apparemment.

Elle hoche la tête, de nouveau pleine de vigueur : oui, elle se tient prête à replonger si jamais le sort fonctionne à nouveau. D'un revers de la main, elle essuie quelques gouttelettes qui tracent leur route sur son visage. Et affiche un air déterminé. Tandis que son partenaire d'exercice se concentre à nouveau.

Comme la fois précédente, Amanda ressent un changement opérer peu à peu dans son corps. Mais cette fois-ci, elle ne laisse pas quelques secondes de suspend : elle se tourne vers le bassin et plonge avant même de ressentir la sensation d'étouffement à l'air libre.

Comme la fois précédente, l'eau l'avale. Elle se retrouve dans cette bulle bleutée où tout ce qui vient de l'extérieur est amoindri.

Décidée, elle reprend ses mouvements de brasse.

Elle ne ressent pas la fatigue. L'adrénaline la tient : elle veut terminer cet exercice !

Elle s'applique comme elle peut, tentant de nager plus vite, plus loin, pour épargner à Basil de trop longues minutes de concentration. Parce qu'elle sait à quel point ça peut être compliqué.

Alors elle allonge les mouvements mais n'a aucune notion de la distance réelle parcourue. Elle ne voit pas la ligne d'arrivée. Se contente de tracer tout droit. Elle finira bien par y arriver !

La vie est un éternel recommencement !

Alors qu'Amanda parvient à coordonner plutôt bien ses mouvements pour une brasse plus fluide et plus rapide, elle sent à nouveau l'eau la submerger de l'intérieur et ses poumons crier pour de l'air.

Ses mouvements se refont désordonnés alors qu'elle s'agite pour remonter à la surface.

La lumière de la matinée la cueille à la sortie, elle cligne des yeux encore trop habituée aux teintes bleutées du fond de l'eau. Toussant et crachant, elle revient vers la rive et s'y hisse. Lasse.

Elle renifle, dégage les cheveux mouillés qui lui collent au visage. Elle vient encore de boire la tasse.

Après avoir repris sa respiration et ses esprits, elle parvient à se remettre debout et revenir vers Basil. Elle prend quelques instants pour retrouver son souffle.

-Ce... ce n'est vraiment pas notre jour, marmonne-t-elle lorsqu'elle arrive assez près pour qu'il puisse l'entendre.

Elle se tait quelques secondes, pensive.

Faut-il continuer ? Ou doivent-ils abandonner ? Elle suppose que Basil est aussi fatigué qu'elle. Ce n'est pas parce qu'on échoue qu'on ne fait rien. Cela demande des efforts de canaliser un sort même si celui-ci ne donne rien. Quant à le maintenir... peut-être est-ce justement parce qu'il est trop fatigué qu'il ne parvient pas à le faire ?

-Tu as encore assez d'énergie pour retenter ? Ou on s'allonge dans l'herbe et on attend que ça passe ?

Elle jette un coup d'oeil vers Pope. Il ne pourra pas leur reprocher de ne pas avoir essayé ! Peut-être même sera-t-il compréhensif. 

-Après, ça peut peut-être nous valoir quelques points pour l'obstination, si on retente, ajoute-t-elle, retrouvant un petit sourire. 

Amanda se dit qu'elle aussi, elle pourrait s'endormir dans l'herbe après tant d'efforts. Bon, il lui faudrait un petit coup de séchage avant, histoire de ne pas attraper froid. Mais le plan est tentant.

Malgré la fatigue qui les accompagne tous les deux, Basil est d'accord pour un dernier essai.

-Je viendrais te rendre visite dans la forêt, répond doucement Amanda suite à la déclaration de son ami. On pourra faire une cabane. C'est bien, ça, les cabanes.

Des fragments d'enfance qu'elle n'a pas tellement connu. Mais dont elle a entendu parler. Pour elle, une cabane dans les bois, c'est une enfance heureuse. Elle a souvent envié les enfants qui y avaient droit. Construire un abri avec ses parents. S'y réfugier en riant. Jouer à avoir son propre logement tout en ayant la sécurité du foyer parental. Tant d'occasions envolées dans sa propre enfance.

Une fois le sortilège prononcé, la jeune fille sent à nouveau les branchies prendre place. Fonctionnelles.

Au bout du troisième plongeon, on peut dire qu'elle est rodée. Elle sait ce qu'elle a à faire et elle le fait : sauter dans le bassin, coordonner ses mouvements, évoluer dans l'eau à coup de brasse.

La motivation de Basil à tenter cette dernière fois la rend plus volontaire encore. Elle espère parvenir à progresser rapidement malgré la fatigue. Elle fait tout pour, en tout cas. 

Sans doute à cause des expériences précédentes, Amanda s'attend à tout instant à sentir à nouveau la sensation de suffocation sous l'eau. Mais rien n'arrive. Pour l'instant, du moins.

Elle n'a aucune idée de ce qu'il se passe à la surface. Les rares sons qui lui parviennent sont filtrés, déformés, rien à en tirer. Mais elle décide de faire confiance à son ami et se concentre sur son unique tâche : avancer. Coûte que coûte.

Alors oui, l'idée de piquer un petit somme dans l'herbe et parler de cabane dans les bois est tentante. Elle se demande à quoi ressemblerait sa cabane de rêve. Il y aurait sans doute plein de coussins à l'intérieur. Pour que ce soit confortable. Et des rideaux aux fenêtres. Ca fait toujours bien, des rideaux. Ensuite... elle ne sait pas trop... Basil a-t-il déjà fait des cabanes ? Peut-être qu'un jour elle lui posera la question...

Bref.

L'idée est tentante.

Mais l'esprit combattif d'Amanda veut arriver au bout de cette épreuve. Elle est surprise d'elle-même : elle ne se connaissait pas une telle obstination. Sans doute qu'être deux aide à garder la motivation. Seule, elle aurait peut être abandonné bien plus tôt. A deux, on se remonte le moral l'un l'autre. Et puis il y a ce sentiment de responsabilité qui peut vous faire pousser des ailes : on le fait pour l'autre. Se dépasser dans un but commun.

C'est accrochée à cette idée qu'Amanda continue sa brasse sous-marine. Elle essaie d'aller plus loin. Encore plus loin. Elle a cependant hâte d'apercevoir l'autre bord du bassin et de pouvoir s'y hisser en clamant à Basil qu'enfin, ils l'ont fait !