Amanda hoche la tête : Flora. Elle s’appelle Flora. Elle se dit que c’est un joli prénom, ça. C’est… fleuri. Printanier. Evocateur d’un décor champêtre. Quelque chose comme ça. 

Puis vient le sujet principal : les lettres.

Amanda lui montre les parchemins reçus, soigneusement entreposés dans sa malle. Les courriers signés d’un mystérieux F. 

Flora s’exclame, comprend, dit que c’est bizarre quand même un peu, et qu’une lettre égarée, ça ne se lit pas. Amanda songe qu’elle a peut-être raison. Elle n’y a pas pensé sur le coup. Parce que F. avait l’air gentil. Et qu’elle a bien aimé discuter avec lui, échanger quelques mots à coup de plume sur un parchemin. Mais c’est vrai : ça ne se fait pas.

-Je ne l’ai pas mal pris, répond-elle comme pour défendre F. Il n’aurait peut-être pas dû le faire mais… finalement c’est un mal pour un bien. Il n’a pas l’air méchant, hein ?

Comme pour demander confirmation. Y a-t-il des détails qui lui auraient échappé ? Des indices qu’elle n’aurait pas vus qui pourraient la mettre en alerte ?

Elle regarde Flora, impatiente de savoir ce qu’elle en pense. Elle n’avait jamais songé à parler de cet échange épistolaire à qui que ce soit. Encore moins à une presque inconnue dont elle ignorait le prénom jusqu’à il n’y a pas longtemps. Mais ça lui fait plaisir qu’une autre personne puisse lui donner son avis sur la question.

Puis le verdict tombe.

Flora dit qu’il a l’air gentil.

Les yeux d’Amanda s’éclairent. Brillent d’une satisfaction muette.

-Oui, moi aussi je trouve ! dit-elle avec empressement. Ca me rassure que tu penses ça aussi. Je vais répondre à sa lettre, je vais essayer d’en savoir un peu plus sur lui… Un jour, je découvrirai qui c’est ! Peut-être même que c’est quelqu’un de notre maison. Tu imagines ?

Elle se perd un instant en conjectures.

Son regard erre sur un point au-dessus de l’épaule de Flora. Elle imagine. Et si c’était un jaune-et-noir comme elles ? Et si elles le croisaient au quotidien ? Il faudra qu’elle soit attentive à ses camarades. Mais elle ne sait même pas en quelle année il peut être… Peut-être que c’est un grand… en cinquième ou sixième voire septième année ! Autant dire que ceux-là, ils l’impressionnent tellement qu’elle les regarde peu.

Après une bonne minute de perdition dans les méandres de ses suppositions, Amanda se recentre sur sa camarade. Elle réalise soudainement qu’elle ne se souvient pas d’elle dans la Grande Salle ou dans des cours. Elle n’a, a priori, jamais fait attention à Flora.

-Et toi ? Tu es en quelle année ? T’as des amis ?

La question peut paraître un peu brutale et sans détour. Mais ça intéresse Amanda de savoir un peu mieux qui est Flora, sa camarade jaune-et-noir à laquelle elle n’a jamais fait attention.

J'ai comme qui dirait été aspirée ces dernières semaines par Clair Obscur... qui a relégué au second plan le RP...

Cassée. C'est le seul mot qui vient à l'esprit d'Amanda. Elle se sent cassée, épuisée.

Basil, pourtant, veut retenter. Un nouveau sortilège réussi. La Poufsouffle se demande si, vraiment, elle va avoir la force de replonger. Mais pas le temps de penser davantage, le professeur signe l'arrêt de la première épreuve.

Amanda écoute les consignes, affalée dans l'herbe, reprenant doucement son souffle et ses forces. Elle ferme les yeux quelques secondes, se laissant porter par la voix de Pope. Qui parle de traverser un marécage à l'aide d'un sortilège. Elle n'a jamais tenté ce sort. Ne le connaissait d'ailleurs même pas avant ce matin.

Lorsqu'elle rouvre les yeux, elle regarde, un instant, le ciel au-dessus d'elle. Elle sent une certaine agitation alors que les premiers élèves se mettent en branle pour faire leurs preuves face au fameux marécage.

Bientôt, Basil se motive également. Il lui lance un regard, un rictus, complice. Et s'élance, lui aussi, dans la course folle.

Amanda se redresse, pour regarder le départ de son ami. Elle espère qu'il réussira son sort. Sa bonne étoile semble lui sourire car, cette fois-ci, pas de faux départ. Captivée, elle le regarde avancer. Peu à peu. Mètre après mètre. Elle constate que Flora s'est, elle aussi, lancée dans l'aventure. Et même qu'elle est vachement loin ! Puis elle lance un regard à Pope. Qui ne semble pas pressé de morigéner les élèves encore au point mort, sur la ligne de départ. Alors elle en profite pour se vautrer à nouveau dans l'herbe. Elle ne se sent pas capable d'affronter le marécage. Elle a besoin d'une pause, d'un temps. Pour revenir en forme pour la troisième épreuve. Elle n'a jamais été une grande sportive et a l'impression d'avoir tout donné dans sa nage. Alors, fermant les yeux, elle profite un instant de la douceur matinale, la sensation de l'air sur son visage, la clarté lumineuse qu'elle distingue à travers ses paupières closes et les sons qui lui parviennent, comme à travers un filtre. Cette petite pause lui fait du bien. Elle pourrait même carrément s'endormir, tiens... quelle idée d'aller à un cours de soutien le samedi matin au lieu de faire la grasse mat' !

Alors qu'Amanda continue vaille que vaille d'avancer dans son univers aquatique, tout se rompt soudainement. Nouvelle sensation de boire la tasse, l'eau qui était amie devient danger. Cette fois-ci, la jeune fille ne panique pas, comme déjà trop habituée à cette sensation désagréable. Elle ne perd pas une seconde et, en quelques mouvements, revient à la surface. Toussant à nouveau pour évacuer le liquide ingéré à son insu.

Se traînant sur la terre ferme, elle songe que toute la bonne volonté et la détermination de Basil n'ont pas été suffisantes pour maintenir le sortilège.

Trempée, dégoulinante, les cheveux plaqués sur la tête, elle revient vers son coéquipier d'une démarche un peu chancelante.

Il avait dit que c'était la dernière tentative. Elle doit avouer qu'elle aussi, commence à fatiguer. Ces semi-noyades en chaîne ont eu raison de volonté. Au moins, ils ont essayé. On ne peut pas leur enlever ça. Ils ont fait comme ils ont pu et ont prouvé qu'il y avait, en eux, beaucoup de détermination. Mais les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés. Un peu comme leur entraînement sauvage du mois dernier. Deux élèves studieux qui décident de pratiquer quelques tours de magie ensemble pour s'améliorer... et manquent de foutre en l'air la salle de classe du professeur Pope. 

-Je... je crois qu'on va s'arrêter là, dit-elle à Basil après avoir repris son souffle. 

Elle essuie un peu l'eau qui dégouline encore sur son visage. Regarde sa cape qu'elle a laissée sur l'herbe. Ses vêtements trempés qui collent au corps. Sachant qu'elle ne va pas replonger, elle prend conscience de la fraîcheur du matin accentuée par la sensation des tissus humides. Elle frissonne. Regarde Basil. Lui aussi encore trempé de son plongeon précédent. Mais sans doute tellement concentré -et un peu frustré- pour réussir ses sortilèges qu'il ne s'en est pas préoccupé.

Songeant qu'il doit bien lui rester assez d'énergie pour les mettre au sec, elle va récupérer sa baguette dans la poche de sa cape et tente un #[Consectetuer Dryer] histoire qu'ils n'attrapent pas froid.

Le sortilège fuse. Assez simplement. Basil se retrouve parfaitement sec de la tête aux pieds. Cependant, les résultats ne sont pas aussi parfaits sur elle. C'est sans doute le sortilège de trop compte tenu de sa fatigue. Ses vêtements sont presque secs. Une douce chaleur l'envahit, teintée d'un peu d'humidité moite. Comme un vêtement mal séché dans le sèche-linge. Qu'importe, elle s'en contentera. Elle n'a pas envie de retenter au risque de faire pire. Non. Il est maintenant temps de s'octroyer une petite pause dans l'herbe. Peut-être pourront-ils reparler de cabanes de les bois ?

Sans doute à cause des expériences précédentes, Amanda s'attend à tout instant à sentir à nouveau la sensation de suffocation sous l'eau. Mais rien n'arrive. Pour l'instant, du moins.

Elle n'a aucune idée de ce qu'il se passe à la surface. Les rares sons qui lui parviennent sont filtrés, déformés, rien à en tirer. Mais elle décide de faire confiance à son ami et se concentre sur son unique tâche : avancer. Coûte que coûte.

Alors oui, l'idée de piquer un petit somme dans l'herbe et parler de cabane dans les bois est tentante. Elle se demande à quoi ressemblerait sa cabane de rêve. Il y aurait sans doute plein de coussins à l'intérieur. Pour que ce soit confortable. Et des rideaux aux fenêtres. Ca fait toujours bien, des rideaux. Ensuite... elle ne sait pas trop... Basil a-t-il déjà fait des cabanes ? Peut-être qu'un jour elle lui posera la question...

Bref.

L'idée est tentante.

Mais l'esprit combattif d'Amanda veut arriver au bout de cette épreuve. Elle est surprise d'elle-même : elle ne se connaissait pas une telle obstination. Sans doute qu'être deux aide à garder la motivation. Seule, elle aurait peut être abandonné bien plus tôt. A deux, on se remonte le moral l'un l'autre. Et puis il y a ce sentiment de responsabilité qui peut vous faire pousser des ailes : on le fait pour l'autre. Se dépasser dans un but commun.

C'est accrochée à cette idée qu'Amanda continue sa brasse sous-marine. Elle essaie d'aller plus loin. Encore plus loin. Elle a cependant hâte d'apercevoir l'autre bord du bassin et de pouvoir s'y hisser en clamant à Basil qu'enfin, ils l'ont fait ! 

Amanda se dit qu'elle aussi, elle pourrait s'endormir dans l'herbe après tant d'efforts. Bon, il lui faudrait un petit coup de séchage avant, histoire de ne pas attraper froid. Mais le plan est tentant.

Malgré la fatigue qui les accompagne tous les deux, Basil est d'accord pour un dernier essai.

-Je viendrais te rendre visite dans la forêt, répond doucement Amanda suite à la déclaration de son ami. On pourra faire une cabane. C'est bien, ça, les cabanes.

Des fragments d'enfance qu'elle n'a pas tellement connu. Mais dont elle a entendu parler. Pour elle, une cabane dans les bois, c'est une enfance heureuse. Elle a souvent envié les enfants qui y avaient droit. Construire un abri avec ses parents. S'y réfugier en riant. Jouer à avoir son propre logement tout en ayant la sécurité du foyer parental. Tant d'occasions envolées dans sa propre enfance.

Une fois le sortilège prononcé, la jeune fille sent à nouveau les branchies prendre place. Fonctionnelles.

Au bout du troisième plongeon, on peut dire qu'elle est rodée. Elle sait ce qu'elle a à faire et elle le fait : sauter dans le bassin, coordonner ses mouvements, évoluer dans l'eau à coup de brasse.

La motivation de Basil à tenter cette dernière fois la rend plus volontaire encore. Elle espère parvenir à progresser rapidement malgré la fatigue. Elle fait tout pour, en tout cas. 

La vie est un éternel recommencement !

Alors qu'Amanda parvient à coordonner plutôt bien ses mouvements pour une brasse plus fluide et plus rapide, elle sent à nouveau l'eau la submerger de l'intérieur et ses poumons crier pour de l'air.

Ses mouvements se refont désordonnés alors qu'elle s'agite pour remonter à la surface.

La lumière de la matinée la cueille à la sortie, elle cligne des yeux encore trop habituée aux teintes bleutées du fond de l'eau. Toussant et crachant, elle revient vers la rive et s'y hisse. Lasse.

Elle renifle, dégage les cheveux mouillés qui lui collent au visage. Elle vient encore de boire la tasse.

Après avoir repris sa respiration et ses esprits, elle parvient à se remettre debout et revenir vers Basil. Elle prend quelques instants pour retrouver son souffle.

-Ce... ce n'est vraiment pas notre jour, marmonne-t-elle lorsqu'elle arrive assez près pour qu'il puisse l'entendre.

Elle se tait quelques secondes, pensive.

Faut-il continuer ? Ou doivent-ils abandonner ? Elle suppose que Basil est aussi fatigué qu'elle. Ce n'est pas parce qu'on échoue qu'on ne fait rien. Cela demande des efforts de canaliser un sort même si celui-ci ne donne rien. Quant à le maintenir... peut-être est-ce justement parce qu'il est trop fatigué qu'il ne parvient pas à le faire ?

-Tu as encore assez d'énergie pour retenter ? Ou on s'allonge dans l'herbe et on attend que ça passe ?

Elle jette un coup d'oeil vers Pope. Il ne pourra pas leur reprocher de ne pas avoir essayé ! Peut-être même sera-t-il compréhensif. 

-Après, ça peut peut-être nous valoir quelques points pour l'obstination, si on retente, ajoute-t-elle, retrouvant un petit sourire. 

Basil tient bon. Il ne se laisse pas submerger par le désespoir qu'il serait en droit de ressentir. 

Amanda esquisse un sourire complice lorsqu'il affirme que repartir de zéro, c'est leur spécialité. En particulier aujourd'hui, apparemment.

Elle hoche la tête, de nouveau pleine de vigueur : oui, elle se tient prête à replonger si jamais le sort fonctionne à nouveau. D'un revers de la main, elle essuie quelques gouttelettes qui tracent leur route sur son visage. Et affiche un air déterminé. Tandis que son partenaire d'exercice se concentre à nouveau.

Comme la fois précédente, Amanda ressent un changement opérer peu à peu dans son corps. Mais cette fois-ci, elle ne laisse pas quelques secondes de suspend : elle se tourne vers le bassin et plonge avant même de ressentir la sensation d'étouffement à l'air libre.

Comme la fois précédente, l'eau l'avale. Elle se retrouve dans cette bulle bleutée où tout ce qui vient de l'extérieur est amoindri.

Décidée, elle reprend ses mouvements de brasse.

Elle ne ressent pas la fatigue. L'adrénaline la tient : elle veut terminer cet exercice !

Elle s'applique comme elle peut, tentant de nager plus vite, plus loin, pour épargner à Basil de trop longues minutes de concentration. Parce qu'elle sait à quel point ça peut être compliqué.

Alors elle allonge les mouvements mais n'a aucune notion de la distance réelle parcourue. Elle ne voit pas la ligne d'arrivée. Se contente de tracer tout droit. Elle finira bien par y arriver !

Amanda se dit qu'elle n'avance pas aussi bien ni aussi vite qu'elle l'aurait voulu. Comme dit précédemment : elle n'a jamais été une grande nageuse. Et ça se ressent. Mais elle fait. Comme elle peut. Mouvement après mouvement, dans une brasse maladroite.

Elle a l'impression que le chemin est infini. Elle ne perçoit même pas le bord opposé du bassin. Elle n'a aucune d'idée d'à quelle distance elle se trouve de la ligne d'arrivée. Pour le coup, Basil était beaucoup plus à l'aise qu'elle dans l'eau. 

Tandis qu'elle avance consciencieusement, elle sent soudainement un nouveau changement dans son corps. C'est comme si le voile magique qui l'entourait jusqu'alors venait de se volatiliser d'un seul coup. Elle sent subitement l'eau entrer dans ses narines et suffoque.

Paniquée, elle bat des bras et des jambes pour remonter à la surface.

Ses pensées s'embrouillent et il ne lui faut que quelques mouvements pour crever la surface de l'eau. Mais cela lui paraît être une éternité.

Toussant et reniflant, elle barbote à la recherche d'une rive sur laquelle se hisser. Ce qu'elle fait sans plus tarder. Parvenue sur la terre ferme, elle reste quelques secondes à tousser, les yeux rivés au sol, ses cheveux mouillés cachant son visage comme un rideau. 

Il lui faut quelques minutes pour remettre ses idées en place et se relever. Elle a compris que le pauvre Basil n'est pas parvenu à maintenir son sort. Voilà donc ce qu'il se passe lorsque des branchies artificielles disparaissent d'un seul coup. Elle n'en veut pas à son ami mais espère n'avoir plus jamais à vivre ça ! La sensation de couler et se noyer n'est pas la plus fun des expériences. 

Quelque peu remise de ses émotions, elle titube jusqu'à Basil.

Elle a eu le temps de remettre un peu d'ordre dans ses idées.

Ramenant ses cheveux mouillés en arrière, elle se force à esquisser un petit sourire.

-Je crois qu'on est repartis de zéro, lui dit-elle d'une voix sans amertume.

Elle ne peut pas lui en vouloir. Elle suppose qu'il se flagelle assez lui-même pour ne pas en rajouter une couche.

-Tu... tu te sens de retenter ? Ou ça te désespère trop ?

Ceci dit, elle regarde autour d'elle. Les élèves qui s'activent. Certains ont tout autant de mal qu'eux. Mais un duo semble avoir terminé la course. Elle aimerait bien qu'ils y parviennent eux aussi. 

Amanda n'osera sans doute jamais l'avouer à Basil mais après trois échecs dont deux se sont soldés avec quelques effets indésirables, elle commence à se demander si, vraiment, ils vont y arriver.

Cependant, le rouge-et-or ne se laisse pas abattre. Et ça rassure Amanda. Il a l'air décidé à tenter encore une fois. Une dernière fois, dit-il.

La jeune fille inspire profondément, suspendu au mouvement de baguette de son camarade. La formule prononcée. Magie canalisée. Sortilège lancé.

Et

Elle a l'impression de changer de l'intérieur.

Cette fois-ci, pas d'odeur d'iode, de sensation molle et visqueuse ou de corne venant orner son front.

Non.

Une sensation bien différente. Qu'elle ne saura qualifier. La sensation que son corps n'est plus le même -plus tout à fait humain. Elle a envie de demander à Basil si ça a fonctionné mais se rend soudainement compte qu'elle est bien incapable de prononcer le moindre son. Et, brusquement, prend conscience de sa sensation d'étouffement qui l'habite. Son instinct lui dit qu'il faut qu'elle plonge. Maintenant. Elle félicitera Basil plus tard.

Ni une, ni deux, elle suit l'exemple de ses autres camarades et s'immerge dans l'eau.

Surprise, elle sent le liquide l'envelopper entièrement et se retrouve bientôt à évoluer dans un milieu bleuté, où tous les sons et lueurs sont filtrés. Elle se retrouve tel un poisson dans son milieu naturel.

Elle n'a pas le temps de tergiverser. Ils ont perdu pas mal de temps et elle aimerait bien parvenir au bout de cette épreuve avant que le professeur Pope ne leur demande de cesser leur exercice. Elle ne sait pas si bien si c'est pour prouver quelque chose aux autres ou plutôt à elle-même. Se montrer qu'elle peut faire.

Alors elle se met en mouvement.

Elle n'a jamais été une très bonne nageuse. Mais dans ce contexte, les compétences de natations ne sont pas ce qui est évalué. Elle se contente alors d'une brasse toute simple, avançant mouvement après mouvement.

Elle pense à Basil, à la surface. Elle espère qu'il parviendra à maintenir son sort. Elle l'imagine, concentré sur sa tâche. Comme elle l'a été.

Et elle avance.

Plus vite elle arrivera au bout du bassin, plus vite elle pourra le libérer de cet éreintant exercice. Car lorsqu'on n'y est pas habitué, ce n'est pas si simple de maintenir un sort !

Malgré son échec, Basil tente un brin d'humour timide, rebondissant sur le fait que, cette fois-ci, il n'y a pas de corne.

Puis il se lance de nouveau.

Amanda se dit que ça ne doit pas être facile de rester motivé après deux échec. Mais ils ont l'habitude de travailler ensemble. Aussi, elle espère qu'il lui fait confiance et que cette confiance l'aidera à canaliser sa magie et réussir son sortilège.

L'espoir est de courte durée. La jeune fille sent un flux magique la parcourir alors que le sortilège l'atteint. Mais elle n'a pas la sensation qu'elle aurait pu imaginer pour des branchies. Elle se fait la remarque qu'elle parvient toujours à respirer à l'air libre et qu'une drôle d'odeur commence à atteindre ses narines. Dubitative, elle tâtonne, ses doigts glissent sur son cou et rencontrent une texture un peu visqueuse. Moelleuse. Elle retient un petit cri de surprise, ne réalisant pas de suite ce qui vient de pousser sur sa peau. Puis elle comprend : des algues. Et leur lot d'odeur marine. Des algues qui s'agitent doucement, comme des tentacules végétaux. 

Basil a un air mi-désespéré mi-gêné, affirmant qu'il ne va jamais y arriver.

Des yeux, Amanda cherche le professeur Pope. Il doit commencer à se demander s'ils le font exprès... le groupe de ce matin n'est pas le plus débrouillard. Entre la corne, les algues et l'agitation folle qui s'est créée autour de Nikolaï -Amanda n'a pas vraiment compris, elle était concentrée à maintenir le sortilège sur Basil, mais ça avait pas l'air d'être anodin. 

Prompt et réactif comme à son habitude, le professeur lui rend bientôt son apparence habituelle.

Et la jeune fille reporte son attention sur son coéquipier.

-Mais si, tu vas y arriver, dit-elle d'un ton très convaincu.

Peut-être qu'une part d'elle commence à douter... mais elle la balaie bien vite. Elle sait que Basil peut le faire ! Il le doit ! Leur duo fonctionne bien habituellement, y'a pas de raison pour que ça change.

Elle fait un pas vers lui et se saisit de sa main -celle qui ne tient pas la baguette. Elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça, un instinct. Elle la serre d'une poigne forte, comme si elle scellait avec lui un quelconque pacte de métamorphose.

-Allez, tu peux le faire ! reprend-elle avec vigueur. On va leur montrer que notre duo fonctionne bien !

Amanda se sent fière et gargarisée lorsque Basil annonce qu'ils forment une bonne équipe. C'est aussi ce qu'elle se disait lorsqu'ils se sont entraînés ensemble -et qu'ils ont un peu foutu le boxon dans le bureau de Pope. Entre leurs réussites et leurs échecs, ils parviennent toujours à garder le cap et s'encourager l'un l'autre.

Elle étire un peu ses bras, fait quelques moulinets telles une athlète prête à démarrer.

Elle hoche vigoureusement la tête lorsque le rouge-et-or lui demande si elle est prête. Elle prête à en découdre avec le bassin, oui ! 

Alors que Basil cherche son regard, elle accroche ses prunelles et fait un nouvel hochement de tête : tu vas y arriver.

La formule est lancée au vent, la magie s'insuffle doucement. Amanda a l'impression de sentir quelque chose se former sous sa peau mais... la sensation disparaît bien vite. Elle tâte son cou, tentant de comprendre ce qu'il vient de se passer. Rien. A priori, le sortilège n'était pas assez puissant pour lui octroyer de réelles branchies.

-Au moins, dit-elle en guise d'encouragement, il n'y a pas eu de corne cette fois ! Allez, t'inquiète, je sais que tu vas y arriver !

Elle fait son air sérieux. Elle y croit ! Dur comme fer !

Les efforts paient car Amanda parvient à rester assez concentrée pour maintenir le sortilège. Et la silhouette de Basil continue de s'éloigner. Un vrai petit poisson. Ca la rassure de voir qu'il ne coule pas et qu'il semble toujours aussi bien respirer sous l'eau.

Puis, avec un immense contentement au fond des prunelles, elle constate que le rouge-et-or a atteint le bord de bassin. Elle affiche un large sourire alors qu'il s'extrait de son milieu aquatique. Relâchant sa concentration par la même occasion, la jeune fille lève le sortilège, faisant disparaître les branchies et permettant à Basil se retrouver ses fonctions respiratoires naturelles. 

Elle lui adresse de grands signes de main alors qu'il revient vers elle.

-Ouah t'as trop bien nagé ! s'exclame-t-elle alors qu'il est à portée de voix. On aurait dit que t'as fait ça toute ta vie !

Bon, elle exagère peut-être. Un peu. Mais elle est fière qu'il ait réussi. Et qu'elle même ait su maintenir le sortilège assez longtemps pour lui permettre cette traversée. Ca n'a pas été de tout repos, il faut bien l'avouer. Elle n'est pas habituée aux sortilèges qui demandent de la concentration. 

Elle jette un rapide coup d'oeil aux deux autres terrains, se rappelant ce que le professeur Pope a dit à Basil tout en lui retirant sa corne de narval. Des métamorphoses encore plus profondes pour la suite ? Ca promet... ils vont finir lessivés à la fin de la matinée ! 

Rangeant sa baguette dans sa poche de sa cape et retirant cette même cape, Amanda reprend :

-Tu retentes le sortilège ? Et t'inquiète pas, ajoute-t-elle, si jamais y'a encore une corne, je t'en voudrai pas.

Avec soulagement, Amanda constate que son sort fonctionne. Les branchies ne semblent pas les plus abouties qui puissent exister, mais elle espère qu'elles feront le taff. Elle regarde Basil retirer sa cape et s'approcher du bassin dans lequel il s'immerge. La jeune fille serre un peu les dents, soucieuse de ne pas lâcher sa concentration. Elle espère vraiment que les branchies en sont des assez correctes pour qu'il ne manque pas de se noyer.

Et

C'est parti.

Le rouge-et-or est parti.

Avalé par l'eau. Enrobé d'un linceul aquatique.

Amanda voit sa silhouette qui se meut, faisant frémir son environnement en douces ondes. Il avance. Mouvement après mouvement. Il avance. Une brasse simple mais juste. On ne lui demande pas du spectacle ou de grands numéros. Seulement d'avancer. Jusqu'au bout.

Et à elle, on lui demande de maintenir le sort. Il en va la survie de son ami ! C'est ce qu'elle se dit pour se motiver. Même si elle sait très bien que le professeur est là, veillant au grain. 

Elle se force à inspirer, se rendant soudainement compte que l'exercice lui a fait retenir sa respiration.

Elle souffle.

Fronce les sourcils. Serre les lèvres. Arbore cet air de suprême concentration qui, elle l'espère, donnera ses fruits. Elle n'a pas le droit de lâcher Basil alors qu'il a si bien avancé ! Elle ne pensait pas qu'il se débrouillerait si bien, à dire vrai. En même temps, elle n'a jamais eu l'occasion de le voir évoluer tel un poisson dans l'eau -littéralement. Ce n'est pas tous les jours qu'on se dit tiens, et si on tentait une nage au fond d'un bassin avec des branchies ?

Si elle ne devait pas maintenir le sortilège en se concentrant, sans doute qu'Amanda aurait applaudi l'effort de son ami. Même s'il ne l'aurait pas entendu, pour sûr. Mais c'est sa façon à elle d'être soutenante. Encourageante. Et Basil ne se moque jamais d'elle lorsqu'elle fait ça. C'est pour ça qu'elle aime bien s'entraîner avec lui.

Encore une respiration.

Basil est encore une fois un peu plus loin qu'avant.

Et Amanda reste crispée sur sa baguette. Concentrée...

Echange d'un regard complice : Amanda est heureuse d'être en binôme avec Basil. Elle aime bien Basil. Il est gentil avec elle et encourageant. Et puis ils ne se moquent jamais l'un de l'autre en cas d'échec. Qualité tout à fait honorable lorsque la Poufsouffle se retrouve soudainement avec une corne ayant poussé au milieu du front, en lieu et place des branchies attendues. Elle reste interdite, comme si elle ne réalisait pas tout à fait ce qui vient de se produire. Elle cligne des yeux, regarde Basil qui l'observe avec de grands yeux, bafouille avant de se tourner vers le professeur Pope.

Amanda ne panique pas mais touche du bout des doigts la corne qui vient de lui pousser dessus. Elle se sent comme étrangère à son propre corps, un peu sonnée de cet échec trébuchant auquel elle ne s'attendait pas. Elle se dit simplement qu'elle doit avoir une drôle de tête avec cet excroissance anormale.

Heureusement, l'intervention du professeur ne se fait pas attendre. Bientôt, le front d'Amanda retrouve son apparence ordinaire. Et Pope avertit de la suite, qui demandera des métamorphoses plus profondes. Il n'y a pas de blâme mais la jeune fille se sent mal pour son ami. Alors elle lui glisse dans un murmure :

-T'inquiète pas, tu vas assurer la prochaine fois !

Puis elle sort à son tour sa baguette. Basil ayant loupé sa première tentative, c'est à elle de s'y frotter. Et elle prie intérieurement pour que ça réussisse.

#[Branchia Ventosa] !

La Poufsouffle a un peu de mal à canaliser la magie et lancer son sort. Mais fort heureusement, celui-ci octroie un résultat satisfaisant : ce n'est sans doute pas la métamorphose la mieux réussie, mais au moins, Basil a des branchies. Prêt pour affronter le bassin !