Il frappe dans ses mains, se recoiffe d’un geste, redonne à ses gestes cette assurance vibrante qu’il porte comme une seconde peau. Son sourire d’enfant malicieux est presque convaincant. Presque. Mais je connais ce genre de retour soudain à la légèreté : un réflexe, une armure hâtivement redressée sur des certitudes fissurées.
Alors je le laisse reprendre contenance sans le couper, sans le retenir. C’est important, ce moment où il croit encore maîtriser ce qu’il peut, où il se réaffirme vivant, utile, présent.
Je lève doucement la potion qu’il agite entre deux doigts, et je réponds, le regard ancré dans le sien :
— Oui, nous avons terminé pour aujourd’hui. Mais… on n’a pas terminé, Aldebert.
Mon sourire reste doux, pas moqueur, simplement un ancrage pour ne pas le laisser dériver.
— Tu vas prendre trois gouttes de cette potion le matin, trois le soir. Pas uniquement quand tu as des douleurs. Elle agit en prévention, en stabilisation. Elle ne supprime pas le problème, elle le maintient en laisse, le temps qu’on trouve comment te rendre cette magie que tu aimes tant maîtriser.
Je m’approche, reprends la fiole entre ses doigts, lui montrant le liquide bleu argenté qui capte la lumière comme une constellation flottante.
— Quand tu n’en as plus, tu viens me voir. Moi. Cette potion, tu ne la laisses pas traîner, tu ne la partages pas, tu la prends sérieusement. Tu le peux ?
Je marque une pause, puis je tends de nouveau la fiole, cette fois pour de bon.
— Et je veux que tu notes tout ce que tu ressens. Les jours où les crampes sont plus fortes, les moments où ta magie te lâche, même de manière infime. Ce n’est pas un examen que tu réussis ou échoues, Aldebert, c’est une observation. Un suivi.
Je le regarde, avec cette même douceur sérieuse qu’on réserve à ceux qui croient qu’ils doivent tout affronter seuls, parce qu’ils ont passé leur vie à le faire.
— Je ne te demande pas d’en parler à Balthazar. Ni à qui que ce soit, si tu n’en as pas envie. Mais si ça progresse, si tu te sens dépassé, tu viens. Tu n’as pas à porter ça tout seul, d’accord ?
Je recule légèrement, m’appuyant contre le bureau, le laissant respirer, le laissant se redresser dans cette pièce qui lui semble soudain trop blanche, trop pleine de vérités.
Puis, mon sourire s’étire enfin, plus lumineux :
— Et tu pourras toujours recommander mon infirmerie. Dix sur dix, hein ? Avec la potion, je fais aussi des biscuits.
Je le laisse s’emparer de sa potion, de sa dignité, de ses derniers rires, comme il sait si bien le faire. Parce que c’est sa manière de garder la tête haute, et que je n’ai pas besoin qu’il fasse autrement. Il reste Aldebert Wickerson, qu’il soit sous les étoiles ou face à ses faiblesses, et il mérite qu’on le regarde comme tel.