Fin janvier. L'hiver est bien présent. Il fait froid. En cette saison, j'ai souvent l'impression que le temps ralentit. Comme en suspend en attendant le printemps, le renouveau, la renaissance.
Pré-au-lard me rappellent mes années d'étude. Elles sont lointaines ! Surtout Pré-au-lard le samedi après-midi. C'était notre heure, notre moment. C'était le jour où les étudiants pouvaient envahir les rues et les échoppes.
Je sors de la Tête de Sanglier où j'ai décidé d'y faire mon déjeuner cette fois-ci. Je ne viens pas souvent dans cette taverne. Et, en règle générale, les étudiants n'y viennent pas beaucoup non plus. Ils préfèrent les Trois Balais. Plus convivial, chaleureux et lisse. La Tête de Sanglier, ça a un peu la réputation de l'endroit poussiéreux où ne se réunissent que les habitués et ceux qui veulent un endroit discret pour se retrouver. Il est vrai que lorsque j'étais à Poudlard, j'allais aussi beaucoup plus souvent aux Trois Balais. C'était plus convenu ou convenable, je ne sais pas.
En grandissant, j'ai appris à apprécier la Tête de Sanglier. Même si son propriétaire me fait parfois lever les yeux au ciel. Karl Mitch... faudrait un jour qu'il passe le flambeau. Mais je pense qu'il mourra derrière son comptoir tellement il ne semble pas du tout envisager prendre sa retraite. Alors il radote, il rouspète, il se plaint et il dramatise tout en servant les clients dont la majorité le connaissent bien parce qu'ils y viennent régulièrement. Ce n'est pas mon cas. Aujourd'hui, il a raconté une histoire de Kiwicot, de combat héroïque et son ami Kaelen avec qui il aurait affronté mille dangers pour démanteler un dangereux réseau. Lewis, le jeune serveur que je trouve très sympathique, m'a fait comprendre que ça fait des semaines qu'il raconte cette incroyable aventure et qu'il se gargarise de ses exploits -peut-être un poil exagérés, il n'en sait rien.
C'est donc bercée par les propos d'un homme qui s'auto-congratule que j'ai déjeuné.
Karl Mitch est vieux et un poil aigri. Mais faut avouer, ça change des autres lieux où j'ai l'habitude de manger. Alors je ne m'en suis pas plainte et me suis contenter de rire sous cape en l'entendant décrire à coup de grands gestes théâtraux ce fameux combat.
En sortant, l'air froid m'a reprise au visage. Avant de rentrer sur Londres, je me suis dit que je pouvais bien traîner encore un peu. Ca fait longtemps que je n'ai pas vu Pré-au-lard, autant en profiter.
Les boutiques me rappellent des souvenirs. Les voix, les rires, les portes qu'on ouvre et qu'on ferme. Voir les étudiants se partager des paquets de bonbons magiques ou rire sous cape du prochain tour qu'ils concoctent à leurs amis à l'aide du matériel qu'ils viennent d'acheter.
Je marche dans les rues principales, celles où tout le monde va.
Puis je m'éloigne. Peu à peu, les voix diminuent en intensité et s'éteignent. Bientôt, je ne crois plus que quelques personnes de temps en temps et généralement pas des étudiants qui préfèrent rester dans les endroits qu'ils connaissent, suivre les sentiers battus.
Sauf un.
Que je découvre accroupit près d'une mare. Dos à moi.
Il est seul. Il paraît jeune. Peut-être l'âge de ma nièce Victoria, 14 ans. Etrange, à cet âge, d'être seul. On préfère souvent la bande de copains, de copines et on voit d'un mauvais oeil ceux qui avancent en solitaire. Je me demande si ce garçon a été rejeté pour une quelconque raison. Ou s'il s'est volontairement éloigné de la meute. Toujours est-il qu'il est à la fois seul et loin de l'agitation des artères principales.
Alors que j'allais passer mon chemin, me disant qu'à cet âge, les ado sont tout à fait capables de retrouver leur chemin et qu'il n'est, si ça se trouve, même pas perdu, j'interromps mon mouvement.
Le garçon ne m'a pas remarqué, tout occupé à ce qu'il regarde dans la mare.
Mais le plus étrange, c'est qu'il parle et que ce ne sont pas des mots qui sortent de ses lèvres mais un ensemble de sons-sifflements incompréhensibles.
Je regarde avec davantage d'attention ce que ses yeux fixent et j'y vois un serpent. Mes muscles tressaillent, ma mâchoire se crispe légèrement. J'ai beau être une Serpentard, je n'ai jamais particulièrement apprécié les serpents. Je sais qu'en règle générale, ils ne sont pas méchants et n'attaquent pas si on les laisse tranquille. Mais il suffit d'un faux pas, d'un mouvement brusque...
-Eh, jeune homme, je lance alors d'une voix que j'essaie de faire douce pour ne pas trop le faire sursauter. Tu n'as pas peur ?
Mes yeux ne lâchent pas le serpent. Pour le moment, il se tient tranquille et le garçon ne semble pas en danger. Mais sait-on jamais...
Je garde dans un coin de ma tête les sifflements que j'ai entendus mais ne me voit pas faire une entrée en manière en mode oh, tu parles à ce serpent, t'es sûr qu'il ne t'attaquera pas ? Autant avancer un pas après l'autre.