Poudlard Le Château [Terminé] Comité d'accueil [ft. Sasha]

Anya Nikitovna , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Volontaire ? Certes non. Anya Nikitovna ne s'est pas portée volontaire. C'est la direction, qui l'a porté volontaire. Ça ne devrait pas la déranger. Après, tout c'est un camarade, n'est-ce-pas ? Ça la dérange. Justement parce que c'est un camarade. Depuis son arrivée dans l'école, la sorcière s'est tenue isolée des autres expatriés de Koldostoretv, préférant se focaliser sur un nouvel objectif simple. Se fondre dans la masse. L'on ne se fond guère dans la masse en demeurant attroupé entre victimes de guerre, à n'échanger qu'en russe, et à se remémorer la vie là-bas, dans les corridors du palais. Non, l'on se fond dans la masse en se forçant à porter l'uniforme, à parler bien l'anglais, à suivre les cours comme tous les autres. Ainsi on avance. Ainsi on ne meurt pas.

 

Bien sûr, elle a accepté. C'est ainsi aussi que l'on se fond dans la masse, et que l'on continue de marquer des points pour un avenir bien tracé. Anya n'est pas du genre à lever une révolte, pas du genre à faire la guerre. La guerre n'est jamais vraiment nécessaire. La guerre avale les gens pour les recracher plus fort, ou ne jamais les recracher du tout. Plus fort, mais aussi plus dur. Plus dur, mais aussi plus froid. Plus froid, parce qu'au fond ils sont morts quand même, sans vraiment s'en rendre compte. Anya a toujours admiré son père, mais elle n'a jamais eu l'ambition d'être comme lui ou comme son frère, un soldat. Un soldat obéit aveuglément, donne la mort, meurt à son tour avec ou sans les honneurs, ou revient avec pour seule envie d'y retourner pour tout recommencer.

 

Elle l'a salué en russe quelques minutes plus tôt. D'une salutation brève, courtoise. Le genre qui n'invite pas vraiment à la conversation. Elle s'est présentée aussi, bien sûr. Аня Никитовна. Седьмой курс, как и ты. Я покажу тебе школу. Anya Nikitovna. Septième année, comme toi. Je vais te faire visiter l'école. La veille, ce sont les préfets de Gryffondor qui l'ont accueillis, mais aujourd'hui c'est elle qui est chargée d'expliquer le règlement, et les spécificités de Poudlard comparé à Koldostoretv. Évidemment, c'est sûr que c'est plus simple pour un nouveau venu qui n'a peut-être que de vagues notions d'anglais d'avoir quelqu'un qui parle parfaitement sa langue en face de lui, en plus de venir du même endroit. C'est une logique qui n'échappe pas à Anya. Elle n'a pas eu cela lors de son arrivée, dix-huit mois plus tôt.

- Davaï.

Ses yeux, habituellement noirs, sont aujourd'hui teintés d'ambre, et elle ne parvient pas à en changer. Elle préfère encore prétendre que c'est normal, plutôt que d'assumer une perte de contrôle. Son uniforme parfaitement ajusté à sa taille arbore le blason des serpents, et son pas est mesuré tandis qu'elle entraine Sasha Shevchen au dehors. Le garçon n'est pas beaucoup plus grand qu'elle, sa posture rigide, ses épaules carrées. Parmi tous les élèves de son ancien école, Anya n'a pas le souvenir de l'avoir déjà croisé, encore moins de lui avoir jamais parlé. À Koldostoretv résidaient un nombre bien plus grands de sorciers qu'il n'y en a à Poudlard, aussi cela n'a rien de bien surprenant. Visage parmi plus de milles autres visages, Sasha est un parfait inconnu, qui ne représente aujourd'hui qu'une mission dont elle ne se charge que par obligation.

- Это парк. Там лес. Это запрещено, можно заходить только до фестральной оболочки и не более. Там озеро. Это не запрещено, но там живут существа, и их нельзя беспокоить. C'est le parc. Là-bas, la forêt. Elle est interdite, on ne peut aller que jusque l'enclos des sombrals, et ensuite, niet. Là-bas, le lac. Il n'est pas interdit, mais des créatures y vivent, et il ne faut pas les déranger.

 

Le règlement n'était pas bien dur. Les sanctions ne l'étaient pas non plus. Quelques points en moins dans les sabliers, des retenues. Anya n'avait jamais été une habituée des punitions, mais il était clair que la vie était plus aisée pour les sorciers britanniques qu'elle ne l'était pour les étudiants slaves. Ayant désigné un endroit puis l'autre de son bras, Anya continue de marcher, pour prendre la direction des serres. Mécaniquement, elle sort un paquet de blondes de sa poche, et en plante une à ses lèvres. L'habitude est récente. Occasionnelle. Cet été semble avoir bouleversé beaucoup de choses, dont ceci. Elle en propose une à Sasha, par courtoisie. Il a l'âge, après tout.

 

- Вы курите ? Разрешено только в парке, но не возле вольеров и теплиц. Эти. Их четыре. Номер четыре — самый опасный, без разрешения туда нельзя. Остальные в порядке. У вас есть вопросы ? Tu fumes ? C'est autorisé seulement dans le parc, mais jamais près des enclos, ou dans les serres. Celles-ci. Il y en a quatre. La numéro quatre est la plus dangereuse, on y entre pas sans autorisation. Les autres c'est ok. Tu as des questions ?


Sasha Shevchen , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

 

Sasha ressemblait sûrement à n'importe quel autre adolescent de Poudlard. Par-dessus la chemise et la cravate qu'on lui avait fournies - nouée de travers - il avait enfilé une robe noire qui tombait sur ses épaules larges comme un drap sur un vieux meuble qu'on aurait voulu cacher. Un sac à dos tenu par une seule lanière déséquilibrait sa silhouette tandis que, comme un piquet planté au milieu du hall, il levait le nez vers les bougies qui flottaient au-dessus de lui, son regard étrangement indigné face aux belles voûtes sculptées du château.

Les paroles prononcées en russe l'avait tiré de sa contemplation, mais pour poser sur la nouvelle arrivante deux prunelles émeraudes à l'air un peu creux. Ses tâches de rousseur restaient colorées d'un tapis carmin, presque aussi flamboyant que ses lèvres malgré des cernes qui fatiguaient son visage.

Un mélange de jeunesse et de vieillesse un peu incongru. C'était peut̂-être ça, ou bien sa nuque trapue et son air rigide qui trahissaient qu'il n'était finalement peut-être pas comme n'importe quel autre adolescent.

 

- Sasha, il s'était contenté de dire pour toute présentation de lui-même.

 

Il n'avait pas besoin de donner son nom de famille. Shevchen, c'était trop ukrainien, et on ne savait jamais à qui on parlait. Alors que Sasha, c'était passe-partout. Un prénom presque universel.

De toute façon, Anya Nikitovna savait déjà visiblement qui il était. Après un instant d'hésitation - ou un retard souhaité pour manifester sa méfiance - il la suivit quand même. Dehors, dans une brise automnale qui glissait sous leurs pieds des feuilles craquantes, il emboîta le pas d'Anya en gardant une distance saine, suivant à peine les indications qu'elle lui donnait. Un lac, il avait déjà vu. Une forêt aussi, des sombrals aussi. A part cette architecture hirsute, rien ne parut bien étonnant à ses yeux.

 

Il avait pris la résolution intérieure de raccourcir ce moment le plus possible. Faire la visite réglementaire, récupérer comme hier ce qu'on voulait bien lui fournir - vêtements de rechange, chaudron, fioles, parchemins, quelques plumes - stocker ça dans sa chambre et repartir se trouver des postes d'observation qui lui conviendraient. Il n'avait aucun projet de devenir ami avec qui que ce soit dans cette école de bourgeois.

 

Pourtant, à la vue de la cigarette, sa détermination flancha. Il passa d'un pied sur l'autre, se mordit la lèvre avant de tendre la main pour récupérer le petit échantillon de félicité qu'Anya lui offrait. En échange de quoi ?

Il darda sur elle des yeux inquisiteurs, avant de se hâter d'allumer sa cigarette à son tour de la pointe de sa baguette - éraflée. Il fuma en silence, avec l'avidité de celui qui a rêvé d'une cigarette depuis des années, isolé sur une île déserte, et qui retrouve le goût de la liberté.

De temps à autre, il jetait un regard circulaire. La forêt, le lac, les sombrals. Le paysage était si immobile qu'il avait l'impression d'épier une carte postale moldue. Ses yeux revenaient inlassablement vers Anya, pour se détourner aussitôt et se réintéresser à la cigarette.

 

La fille était jolie. Ce n'était pas censé être un argument dans la balance et il le savait parfaitement. Il en faisait juste le constat, voilà tout. Ca ne changeait rien à la situation.

Il jeta le mégot par terre dès qu'il eut enfin terminé de fumer, pour l'écraser sous sa semelle.

 

- Да, у меня есть вопрос (ouais, j'ai une question), dit-il finalement. Почему вы удосуживаетесь навестить меня, если вас это не устраивает? Вам пришлось? Есть ли пункт о принудительном перемирии или я не знаю что ? (Pourquoi tu te casses le cul à me faire la visite si ça t'va pas. Y t'ont obligée ? Y'a une clause de trêve forcée ou je sais pas quoi ?)

 

Sa voix ressemblait à des aboiements grondeurs. En colère contre qui, elle ou l'école, on ne savait pas vraiment. Ou peut-être que c'était juste sur ce ton-là qu'il avait appris à parler : avec un regard direct, presque menaçant, dissuadant de ne pas donner de réponse.


Anya Nikitovna , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Le regard d'Anya se plante sur le visage du russe tandis que d'un geste sec elle récupère sa cigarette pour expirer sa fumée. Un sourcil haussé, la réponse évidente dans le silence étiré, elle lâche quand même sa réponse. Abrasive.

 

- По вашему? D'après toi ?

 

Terminée, la clope est balancée avant que d'un simple sortilège, elle ne la fasse disparaitre dans le néant. D'un autre, elle fait de même pour le mégot voisin.

 

- Курение разрешено, нет. Если ты не знаешь заклинания, то это Эванеско. Fumer c'est autorisé, ça non. Si tu connais pas le sort c'est evanesco.  

 

Sans transition aucune, Anya se met en marche. Désigne les larges gradins, plus loin, pour annoncer qu'il s'agit du поле для квиддича terrain de Quidditch, avant de s'engager sur les marches menant au château. Les règlements s'extirpent d'entre ses lèvres avec monotonie, alors qu'ils évoluent des cachots aux différents étages. Sasha n'essaie pas de faire la conversation. Ne pose aucune question. Anya se contente de remplir son rôle à la perfection, indiquant ici les sabliers, là les salles de classe, là l'entrée des diverses salles communes. Le fonctionnement demeure similaire à celui de Koldostoretv. Respect des aînés, professeurs que l'on doit vouvoyer, ponctualité en cours, rigueur et discipline dans les devoirs. Черная магия запрещена. La magie noire est interdite. Personne n'avait pensé à le lui souligner, à son arrivée.

 

Le septième étage est atteint au bout d'une demie-heure seulement.

 

- Вон твоя башня, на другой стороне Рейвенкло. На этой стороне находится вольер, а там башни Астрономии и Гадания. Là-bas, c'est ta tour, de l'autre côté c'est Serdaigle. De ce côté, c'est la volière, et par là les tours d'Astronomie et de Divination.

 

Du haut de l'escalier, les embranchements se ressemblent tous.

 

- Вот и все. У вас есть вопросы? Есть какие-нибудь серьезные вопросы, не о моей заднице ? C'est tout. Tu as des questions ? Des vraies questions qui sont pas à propos de mon cul ?

 

Les iris impeccablement noirs semblent le défier, sa voix aussi ferme que ce qu'elle a été tout le reste de la visite. Anya est une habituée des garçons russes. Tous ont cette façade rustre, cette façon menaçante de s'adresser aux filles. C'est une manière de prouver leur force. Involontairement ou non, elle a toujours calqué son propre comportement sur eux. Plus précisément sur celui de son frère.


Sasha Shevchen , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

- Я знаю Эванеско. (Je connais Evanesco.)

 

C'était effectivement la seule chose qu'il avait prononcé, sur le ton de la protestation, depuis leur petite pause dans le parc. Il avait suivi néanmoins, aussi sagement qu'on pouvait l'être. Il avait laissé tomber l'idée de retenir tout ce qu'Anya lui montrait : soit c'était évident - il savait reconnaître un terrain de Quidditch quand il en voyait un - soit il aurait oublié au vu des recoins foisonnants du château. C'était au moins ce que l'on pouvait concéder à Poudlard : il existe mille et uns endroits où se cacher, et c'était plutôt cela que retenaient les yeux fureteurs de Sasha quand ils passaient dans les couloirs. Ici une salle vétuste visiblement abandonnée, là un passage vers des sous-sols. Il gardait bien entendu ces remarques pour lui, s'humectant de temps à autre les lèvres, tout à ses réflexions, les mains dans les poches. Il essayait en effet de se concentrer sur ces choses-là plutôt que sur la démarche souple d'Anya. Elle avait de longues jambes quand elle montait devant lui dans les escaliers - tous ses membres étaient étrangement fins, comme des ficelles magiquement articulés. Elle grimpait les étages et lui dans la foulée avait l'impression de suivre ce jeu de cordes comme s'il montait des marches infinies pour atteindre une potence perchée dans les nuages.

 

Mais quand ils émergèrent, au tout dernier étage, il n'y avait rien de si funeste ; sinon encore des couloirs de pierre, et des fenêtres aux vitraux élégants qui jetaient des couleurs tricotées sur la silhouette de la Russe.

 

- Меня не интересует твоя задница. (Ton cul m'intéresse pas.)

 

Elle savait très bien que ce n'était pas ce que Sasha avait dit. Il se tenait là, les mains toujours enfoncées dans les poches, à la toiser. Un moment, il détacha son regard pour jeter un coup d'oeil derrière lui : le couloir était complètement désertique. Ils paraissaient seuls au monde, dans un corridor suspendu au-dessus de la civilisation. Ici, pas même un portrait pour les entendre. Il reporta son attention sur la jeune fille.

 

- Я задал тебе реальный вопрос, а ты не ответил. (Je t'ai posé une vraie question et tu as pas répondu.)

 

Il y eut un silence. A cette hauteur du château, on entendait le vent chuinter contre les parois de pierre, s'y user indéfiniment, s'infiltrer parfois par les carreaux avec des sifflements étranges, comme si des serpents étaient dissimulés dans les murs. Sasha n'y prêtait aucune attention ; mais il serrait les dents, comme si cette atmosphère était pour lui électrique bien qu'il s'y sentît assez à son aise pour essayer de prendre un ton moins agressif.

 

- Что он говорит здесь о Конфликте ? (Qu'est-ce qu'ils disent du Conflit, ici ?) demanda-t-il comme pour lui rafraîchir la mémoire ; mais sa tentative de parler plus calmement sonnait mal ; comme s'il menaçait plus qu'il n'aboyait, désormais. Il se morigéna intérieurement.

 

Le Conflit, c'était comme ça qu'on nommait la guerre, là d'où il venait.

Sasha crispa soudain ses épaules, comme pris d'un frisson. De nouveau, un regard au-dessus de son épaule. Personne.

 

- А еще мне нужно выходить ночью. Я хочу знать, будет ли это проблемой. (Aussi, j'ai besoin de sortir la nuit. Je veux savoir si ce sera un problème.)

 

Cette fois, cela sonnait assez doux, jugea-t-il. Au moins n'avait-il pas l'air de donner un ordre. Ou bien si ? Qu'en savait-il, après tout, de ce qu'une fille comme elle attendait comme ton ?

 

 


Anya Nikitovna , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Ses yeux levés vers le ciel, Anya pousse comme un sifflement agacé. Le gars est pas qu'à moitié con. Elle ne daigna pas répondre à ladite question, parce qu'elle estimait que sa réponse avait été parfaitement claire la première fois. À la référence du conflit, elle se figea brusquement, et elle planta son regard dans celui de son camarade avec une ardeur renouvelée. Voilà pourquoi elle ne s'était pas portée volontaire.

 

- Они ничего не говорят. Никто в этом не заинтересован. Они знают, что пишут в газетах, и все. Ils ne disent rien. Personne ne s'y intéresse. Ils savent ce qui est écrit dans les journaux, et voilà.

 

On les avait regardé de travers les premiers jours, tous autant qu'ils étaient. Les expatriés russes. Les victimes de la guerre. Une guerre qui n'avait de réalité que des phrases romanisées dans des coupures de presse. Ici, le conflit n'avait pas le moindre impact. Ici, il n'avait pas de sens. Ici, on leur prêtait des œillades appuyés, de pitié, de curiosité, mais on ne comprenait pas ce que c'était vraiment, que de grandir dans un pays nuancé par la terreur et la mort. C'était aussi bien. Anya louait cette atmosphère légère dans laquelle tous étaient baignés. Ne désirait en aucun cas redresser le tableau morbide d'un passé auquel elle tâchait de ne jamais penser.

 

On va de l'avant, où on ne va nulle part, Nikita.

 

- Есть комендантский час. Выезды разрешены по выходным, под наблюдением учителей и при условии, что вы подписали разрешение от своей семьи. Il y a un couvre-feu. Les sorties sont autorisées le weekend, sous la surveillance des professeurs, et à condition d'avoir une autorisation signée de ta famille. Quelque soit ce qui remplaçait ladite famille. Если вы хотите бросить вызов правилам, это ваша проблема. Si tu veux braver le règlement, c'est ton problème.

 

Elle se garde de lui parler des rondes. Il est possible bien sûr, de passer outre le couvre-feu. Beaucoup d'étudiants connaissent des façons de détourner le règlement en leur faveur. C'est un internat, et il est impensable d'imaginer qu'une poignée de professeurs puissent imposer la surveillance de plus de trois-cent adolescents plein de rébellion, dont l'imagination semble n'avoir aucune limite. Quant à partager de telles astuces avec un camarade qui se montre plus rude qu'une pierre, et qui ne fait que lui rappeler sa supériorité par son simple regard sur elle ? Certainement pas.

 

- Многие картины предают. Некоторые призраки тоже. И есть полтергейст. Beaucoup de tableaux trahissent. Certains fantômes aussi. Et il y a un esprit frappeur, elle prévient tout de même. Если вы хотите отправиться в ночные поездки, лучше не будьте последним идиотом. Si tu veux faire des virées nocturnes, t'as intérêt de pas être le dernier des crétins.

 

Anya n'avait elle-même pas tenté l'expérience. N'en avait guère trouvé l'intérêt. Ceux qui sortaient en dehors du couvre-feu le faisaient pour le plaisir de braver l'interdit, et n'avaient pas beaucoup d'endroits où se rendre autre que de longs couloirs de pierre, ou peut-être le parc pour s'en griller une sous la lueur de la lune. Pour passer les insomnies, elle s'ouvrait un manuel, ou se plongeait dans le travail. Une activité autrement plus productive qu'une balade en extérieur qui risquait plus certainement de lui attirer des ennuis que de lui faire passer la sensation opressante qui venait parfois lui serrer la poitrine.


Sasha Shevchen , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Sasha avait pincé les lèvres en scrutant toujours la silhouette d'Anya. La jeune femme désarticulée regardait vers le ciel invisible avant de le regarder avec rigidité. Et ses mots tranchaient l'air avec autant d'apreté que les cordes qu'il avait imaginé un peu plus tôt. Il sentait presque cette rugosité étroite contre ses membres, contre sa gorge, et il déglutit en silence en détournant le regard.

 

Dit plus simplement, ici, le Conflit, tout le monde s'en branlait.

 

Sasha resta silencieux un moment, écoutant apparemment d'une oreille la suite de ce que pouvait lui fournir Anya comme information. Il était pourtant attentif, malgré son regard qui s'était perdu dans les recoins d'un vitrail aux dessins tortueux, qu'il n'essayait pas même de déchiffrer. Il sembla un moment serrer les dents, comme pour retenir quelque chose.

 

- Я буду знать, как управлять, grogna-t-il à voix basse. (Je saurai me débrouiller.)

 

Un instant, il songea à lui demander conseil. Anya ne pouvait pas être si parfaitement innocente. Une Russe ne l'était jamais. Mais il aurait alors pris le risque qu'elle lui donnât des indications trompeuses qui l'auraient au contraire amené à se faire prendre. Sasha se retint donc. Ses mains dissimulées dans ses poches semblèrent fourrager, à la recherche de quelque chose qu'il ne sortit pas. Il s'écarta pour aller vers une fenêtre. Les verres ici étaient particulièrement épais - probablement pour éviter que quiconque ne put passer au travers par erreur à une telle hauteur.

Au bout d'un moment, il sembla désigner le paysage du menton.

 

- Почему этот лес запретный? (Pourquoi est-ce qu'elle est interdite, cette forêt ?)

 

Elle l'attirait, lui.

 

- Это просто способ держать детей в вольере или есть веские причины? (C'est juste un moyen pour tenir les gamins dans l'enclos ou il y a de bonnes raisons ?)

 

De toute façon, il doutait que les bonnes raisons de la Direction de Poudlard fussent suffisamment bonnes pour lui. Il avait ses moyens d'échapper aux prédateurs. Et un peu d'adrénaline ne faisait certainement pas de mal.

Il entrouvrit subitement la bouche pour respirer, pris d'une bouffée d'envie. Son coeur s'était mis à tambouriner dans sa poitrine et ses joues s'embrasaient subitement, et il dut se faire violence pour rester immobile, garder ses mains dans ses poches, fixer la lisière de la forêt au loin, sans rien laisser transparaître -ou presque. Ces accélérations finissaient toujours par se calmer en quelques secondes.

Il prit une longue inspiration, espérant faire revenir le calme en lui plus vite.

 

- Кем мы должны стать дальше ? (Qu'est-ce qu'on est censés devenir après ?) Il demanda avant de lui adresser un regard distant. Вы, например. Имеешь ли ты после Хогвартса право оставаться на английской земле ? Чем ты планируешь заняться ? (Toi par exemple. Après Poudlard, tu as le droit de rester sur le sol anglais ? Tu vas faire quoi ?)


Anya Nikitovna , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Anya ne pouvait s'empêcher, discrètement, de zieuter Sasha comme s'il s'était agit d'un insecte particulièrement captivant. Sa posture était rigide. Militaire. Son faciès abîmé. Ses yeux froids. Sa verve brutale. Il avait fait la guerre, exactement comme son frère. Avait-il tué ? Ça ne faisait pas l'ombre d'un doute. Il n'avait que seize ans, aussi l'école n'était pas un si lointain souvenir pour lui. Était-ce seulement quelque chose qui continuait de l'intéresser, à présent ? Elle en doutait. Elle se souvenait parfaitement des lettres de Pavel, avant qu'il ne disparaisse complètement de la surface de la terre. Ce qu'on nous enseigne n'est rien à côté de ce que l'on vit sur le terrain. Je suis fier d'être un soldat. J'apprends chaque jour dix fois plus que ce qu'on a pu m'apprendre en une année.

 

- Eto zapreshcheno, vot i vse. Obitayemyy, navernoye. Oni ne govoryat, no eto slukhi. Vam prosto pridetsya poyti posmotret' i rasskazat'. Elle est interdite c'est tout. Habitée, probablement. Ils disent pas mais c'est la rumeur. T'auras qu'à aller voir et raconter.

 

La question suivante lui fait hausser un sourcil, et Anya se mure dans le silence. Il l'a pris pour quoi, une agence de renseignement ? Elle a que dix-sept ans. C'est pas comme si on lui avait expliqué beaucoup plus que voilà ton nouveau foyer, et ta nouvelle école. Sous-entendu, en attendant que les choses se tassent. Ses yeux noirs demeurent fixés sur la silhouette du russe. Il n'a qu'un an de moins qu'elle. Il a l'air plus vieux, pourtant. Étrange comme l'interrogation le fait brusquement paraitre pour un enfant. Un enfant qu'il n'est plus. Un enfant qu'elle n'est plus. Les enfants sont morts, en Russie, vous ne le saviez pas ? Un sifflement la traverse finalement, la langue serrée contre son palais, et elle secoue la tête en détournant le regard. Que répondre, vraiment ? Ça fait pas partie de la visite, garçon.

- Я сделаю все возможное, чтобы пройти через это с высоко поднятой головой. Вы сделаете то же самое. Если вы достаточно гармонируете с окружающими, они не всегда могут воспринимать вас как чужака. J'vais faire ce que je pourrais pour m'en sortir la tête haute. Tu f'ras pareil. Si tu te fonds suffisamment dans la masse, ils te verront peut-être pas toujours comme un étranger.

 

Elle en doute, Anya, que Sasha Shevchen et son corps étrangement voûté puisse un jour représenter autre chose aux yeux de ce petit monde britannique qu'un expatrié étrange tiré d'une guerre dont ils n'ont lu que de vagues articles dans quelques coupures de presse. S'il demeure tel qu'il l'est à l'instant, probablement que ça n'arrivera jamais.

 

- Не имеет значения, останусь я или нет. я в любом случае кем-то стану. Ça changera rien que je reste ou non. J'deviendrai quelqu'un dans tous les cas, elle termine avec fermeté en se redressant légèrement. Скажи, Саша, а зачем ты вернулся ? Почему ты не остался и не сражался со всеми остальными ? Dis, Sasha, pourquoi t'es revenu hein ? Pourquoi t'es pas resté te battre avec tous les autres ? Elle demande finalement.


Sasha Shevchen , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

- Мне плевать, как они меня видят ! persifla-t-il. (Je m'en fous de comment ils me voient !) 

 

Malgré le ton acide, c'était moins contre elle que Sasha était en colère que contre les anglais. Mais par défaut, il garda les sourcils froncés, son regard dardé sur la jeune femme, comme un prédateur en train de se demander si oui ou non cela valait la peine de se jeter sur cette proie.

 

En réalité, il ne savait pas si Anya tentait de le provoquer ou bien si sa froideur et sa voix ferme étaient ce qu'elle réservait à tout le monde ici. C'était possible, venant d'une Russe. Mais il avait cette étrange sensation d'être testé, qu'il fallût qu'il fût prêt à se défendre. Ou bien, c'était comme ça qu'il ressentait toute approche, et le fait qu'elle parlât sa langue n'était pas suffisant pour apaiser sa combattivité.

Il ne put empêcher un pas en avant, les poings serrés.

 

- Как ты думаешь, я сбежал? Я не трус ! Меня останавливают эти марионетки и их гребаные фанфары мира ! (Tu crois quoi, que j'me suis enfui ? J'suis pas un lâche ! C'est ces pantins et leur putain de fanfare pour la paix qui m'en empêchent !)

 

Le cri était sorti de sa poitrine avec douleur, et il pointa un index vers ce qu'il pensait être approximativement le sud-est - mais il était désorienté, dans ce fichu château et sous ces épais nuages d'Ecosse où le soleil semblait ne jamais vouloir se montrer clairement, aussi rien n'était moins sûr que cette direction imprécise.

 

- Я бы уже вернулся, если бы мог! Но на меня наложили Трейс, чертов Трейс, как в детстве ! (J'y s'rai déjà retourné si j'avais pu ! Mais ils m'ont mis une Trace, une putain de Trace comme un gosse !)

 

Parce qu'ici il était un enfant, ils en étaient tous. Pour Sasha, un enfant, c'était les premières et deuxièmes années de Poudlard, pas plus. Après, une fois qu'ils savaient lancer leurs sortilèges, à quoi servait-il que tous fussent capables de lire dans le marc de café ou de résoudre les énigmes de l'arithmancie ?

Il s'humecta les lèvres, le temps de trouver le reste de l'argumentaire, mais il abandonna aussitôt. Il s'énervait pour rien. Il le voyait dans les yeux de la fille, que ce n'était pas son point de vue à elle. Qu'elle ne comprendrait pas. Elle n'était pas allée là-bas, et quand bien même elle y aurait été, elle se serait sûrement battue pour le camp d'en face, avec son accent de Sakhaline. A quoi s'attendait-il donc ? A du soutien ? De la compréhension ? Tout le monde n'avait cessé de lui répéter la chance qu'il avait eu d'être tiré d'affaire pour être emmené dans une école sûre.

 

- Дурак (Idiot), bougonna-t-il à voix basse, pour lui-même, en se détournant de nouveau vers la fenêtre.

 

Le silence revint presque aussitôt. Il avait semblé un moment que la voix criée de Sasha s'était répercutée dans le couloir, avait dévalé les escaliers pour réveiller quelques lointains portraits qui avaient murmuré en retour. Quoiqu'il fît, Anya avait raison : les portraits rapporteraient, les fantômes le surveilleraient. Quant aux élèves, ils seraient comme Anya : pour survivre, ils penseraient d'abord à leur pomme. Ici, pas de milice qui s'organiserait. Il déglutit, les yeux vissés sur le parc, à travers la vitre. Sa respiration finit par se calmer, et quand il reprit la parole, ce fut comme si rien de cet excès d'humeur n'avait jamais eu lieu.

 

- У тебя здесь есть семья? Кто дает вам разрешение... на... (Tu as de la famille ici, toi ? C'est qui qui te donne l'autorisation pour... pour...)

 

Il désigna une direction au hasard, du bout du menton.

 

- Преораль, или я не знаю, деревня там. (Préoral, ou je sais pas, le village là.)


Anya Nikitovna , Hall de Poudlard, le 02/09/2124

Un seul sourcil se hausse alors que le russe s'emballe contre la communauté britannique toute entière. Un animal sauvage. Voilà à quoi ressemble Sasha Shevchen. Une créature extirpée d'une guerre pour être projetée dans le confort d'une école, l'arme à la main. Anya a un mouvement de recul lorsqu'il s'avance, involontaire, ainsi qu'un juron qui s'extirpe d'entre ses dents serrées. Elle n'a plus guère suivi le conflit comme elle l'aurait voulu, depuis qu'elle a été éjectée du pays. La presse ne traverse pas les frontières. Ou alors sous la forme de mensonges. Apparemment, il y aurait eu une mission d'envergure déployée sur le terrain. Un mouvement politique qui annonçait la couleur : l'Europe ne tolèrerait pas que l'on laisse des sorciers n'ayant pas atteint la majorité se battre dans une guerre qu'ils ne sont pas en mesure de comprendre, où dans laquelle leur position est imposée. Systématiquement, tout combattant trouvé n'ayant pas dix-sept ans s'est vu forcé de battre en retraite, et d'être expatrié comme tous les autres.

 

Elle le savait avant d'avoir posé la question.

 

- XОРОШИЙ. Bien, elle se contente de répondre en prétendant n'avoir pas eu ce réflexe de recul, n'avoir pas eu peur face au russe, alors qu'il s'emportait au milieu du couloir.

 

Le regard noir demeura fixé sur la silhouette massive du garçon, et quelques instants elle sembla peser le pour et le contre de s'en aller sans demander son reste. Mais pour une raison ignorée, elle resta. Dans un silence étrange qui sembla les envelopper et les isoler du reste du château. Les mains à ses poches, Anya guettait, bien qu'elle ne sache pas quoi exactement. Le profil taciturne d'un élève qui ne brillerait probablement pas en cours, tant il serait la cible de sa propre impatience, ou de son impérieuse impulsivité. Les poings serrés dont il semblait ne pas vouloir se départir. La courbure d'un dos qui semblait ployer sous une étrange culpabilité, à moins que ce ne fut sa manière d'être sur ses gardes. Il semblait à la fois calme, et dangereux, dans cette poignée de secondes éloignées du bruit. La sorcière jeta une œillade vers le bout du couloir, parée à s'en aller, le laissant isolé au sommet de l'école pour mieux rejoindre la fraîcheur de son cachot. Mais il parla, alors, et elle resta donc le guetter.

 

Aussitôt que la réplique fusa, ses lèvres se scellèrent en une ligne étroite.

 

- Pré-Au-Lard, elle corrigea dans un anglais parfait. Eсли у вас есть принимающая семья, дом, именно они должны подписать разрешение. Вы отправляете им письмо, они вам присылают подпись, это хорошо. Si t'as une famille d'accueil, un foyer, ce sont eux qui doivent signer l'autorisation. Tu leur envoie un courrier, ils te renvoient une signature, c'est bon.

 

Bien sûr qu'elle n'avait aucune famille. Aucun de ceux qui s'étaient vus exportés de Russie n'en avait, sur ces terres. Que croyait-il ? Anya ne daigne pas même répondre à la question, insolente, irrespectueuse. Si on l'avait laissé se battre... Peut-être aurait-elle tiré son frère du mauvais pas qui avait mis fin à ses jours. Peut-être aurait-elle fait la fierté de son père. De sa mère. Mais non. Non, les femmes ne se battent pas. Les femmes s'éduquent pour ne rien faire d'autres que servir les hommes, ces mêmes hommes qui les accusent de manière menaçante de ne pas comprendre ce qu'ils vivent, eux, dans leur existence d'homme. Sa haine envers Sasha lui fait soudain l'effet d'une chape de plomb. Il aurait pu être son frère. Il aurait pu être son frère, en vie, ramené de force au sein de Poudlard pour terminé une scolarité dont il ne voulait rien. Pourquoi Sasha Shevchen, et pas Pavel Nikitovitch, mh ?

 

- Визит окончен. La visite est terminée. Bye, Sasha Shevchen.

 

Menton dressée, Anya le plante là, au milieu du couloir.