Poudlard L'extérieur [Terminé] Les choux mordeurs de Chine
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Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

Elle regarde ses camarades avec dédain. Certains n'ont eu 15 ans que pendant l'été alors qu'elle aura bientôt 16 ans. Ça change tout à cet âge. Le problème de Poudlard, c'est qu'il faut 11 ans révolu pour entrer au chateau. Alison aurait préféré être avec des élèves plus vieux. Elle aurait aussi préféré passer moins de temps dans sa famille et ne pas devoir supporter sa grande sœur une année entière. Mais voilà, la jeune sorcière est née au début de l'hiver, en décembre. Ce mois de fête qu'elle s'est mise à détester depuis qu'on se force à sourire alors qu'il manque toujours un membre chez les Carter : sa mère. Comment Freya peut-elle ignorer l'absence de Kate et continuer d'avancer si facilement ? Pourquoi s'acharne-t-elle à perdre de l'énergie dans un projet qui n'est même pas le sien, qui appartient à leur père ? Ce lâche. Il lui fait pitié, un sentiment qu'elle ne supporte pas ressentir à son égard. Personne n'a envie d'avoir pitié de ses parents. 

 

Cette année Alison sent qu'elle fera mieux qu'eux. Car les discours de sa professeure de Défense contre les Forces du Mal et directrice de Maison sont clairs : les Serpentard sont meilleurs. Les Serpentard ont les qualités qu'il faut pour réussir dans la société. Si le Choixpeau l'a envoyée chez Serpentard et pas Gryffondor comme son père ou Poufsouffle comme sa sœur, c'est qu'il y a une raison. Alison est convaincue qu'un destin brillant l'attend, reste à trouver dans quel domaine, ou par quel moyen. Miss Aisling répète qu'ils ont le monde à leurs pieds. Pour l'instant, c'est de la bouse de dragon qu'elle voit à ses pieds.

 

L'étude des plantes lui semble d'un autre âge. La botanique n'a jamais intéressé Alison qui préfère garder les mains propres et la chemise bien lisse plutôt que d'avoir à enfiler un accoutrement ridicule pour se salir en plus de ça. Cette matière est bête et les plantes magiques qu'ils entretiennent sont souvent désagréables, puantes, ou même agressives. Travailler dans une serre ne la mènera nulle part, Alison en est persuadée. Renfrognée, elle observe les élèves se faire répartir en duo pour l'activité du jour : rempoter les choux mordeurs de Chine qui sont à l'étroit dans leur pot de pépinière. La tâche impose d'enfiler des gants et de manipuler l'engrais favori des jardiniers : de la merde.

 

Soudain, on la colle avec un nouveau. Alison dévisage l'adolescent qu'on lui présente comme un camarade Gryffondor de sixième année qui vient d'intégrer Poudlard et qui manque de base concernant le soin des plantes. En attendant de prendre ses marques et pouvoir rejoindre les élèves de sa classe sur des missions plus délicates, il restera donc au niveau inférieur à rempoter des choux mordeurs de Chine. Leur yeux se croisent et Alison ressent qu'elle pourrait trouver cette leçon moins chiante que les autres. Une paire de gants usés en main, elle passe devant "Sasha" pour le guider vers leur table de culture. 

 

En route, Alison remonte un peu sa jupe, la démarche assurée et ce frisson qui la parcourt depuis qu'elle s'amuse à faire ça. Ça ? Attirer l'attention des garçons. Devant le plan de travail, la sorcière jette un œil distrait aux choux puis aux longues chemises de protection. Elle en saisit une qu'elle enfile en prenant soin de rejeter ses cheveux en arrière. Qu'allait-il penser d'elle dans cette tenue idiote ? La sorcière plie le bord de ses manches jusqu'aux coudes et soupire d'entendre les plantes grincer des dents sous la terre. Elle se tourne vers Sasha.

— Bon, tu comprends l'Anglais au moins ?


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Sasha avait fait l'objet d'une présentation que les professeurs auraient jugé dignes : debout devant la classe, à chaque nouvelle promotion à laquelle on l'intégrait, un enseignant racontait avec une voix solennelle que le jeune homme était issu "d'un pays en guerre" et qu'il fallait l'accueillir y compris dans des cours avec des sorciers plus jeunes pour rattraper son retard

 

Comme si l'Ukraine était sous-développée. Comme s'il était juste un pauvre enfant qui n'avait pas pu aller à l'école.

 

Toute cette dignité feinte n'était pour lui qu'humilation. Il n'était pas issu d'un pays en guerre, il était issu de la guerre elle-même. Pourquoi cacher le rôle qu'il y avait joué ? Oh, il savait bien pourquoi.

Sasha avait servi en retour, vers ces rangées de nouveaux "camarades" forcés, un regard tout à fait dissuasif. Ca avait plutôt bien marché : les élèves avaient évité de s'approcher de trop près. En particulier quand ils étaient plus jeunes, ça n'était pas trop compliqué.

 

La plupart des cours qu'il devait rattraper impliquait de la théorie, que l'on pouvait travailler seul, dans son coin, ce qui lui convenait parfaitement. Par malheur, il avait vite compris qu'il devrait aussi réaliser des travaux de groupe - à commencer par la botanique.

 

 

 

 

Le mois de septembre à Poudlard était particulièrement pluvieux. Une pluie régulière et légère, mais qui à force d'usure remplissait les sols d'une humidité constante. Autour de Poudlard, de larges flaques s'étaient formées, si bien que le parc ressemblait étrangement à un gruyère ou, comme y pensait Sasha à l'instant, à un champ labouré par les bombes qui auraient creusé des crevasses de surface, à peine visible et pourtant là, prêt à les enfermer dans la boue. Contrairement à d'autres sorciers, toutefois, il y était insensible. Il avait traversé le parc à la suite des autres, sans un mot, sans prendre la peine d'un sortilège pour rester au sec, sans non plus courir comme cette bande de filles de Serpentard qui voulaient se réfugier au plus vite sous la serre. S'il l'avait pu, il serait probablement resté à l'extérieur. La pluie le dérangeait moins que d'être enfermés avec des gamins immatures pendant deux longues heures interminables.

 

Il avait été affecté en binôme avec une certaine Alison, qu'il suivit sans rechigner. Une petite rousse qui était passée devant lui pour se rendre vers la table qui leur était affectée, tout au fond de la serre. Il ne put empêcher un regard lorsqu'elle remonta sa jupe, ostensiblement, mais son visage n'exprima rien. Les cheveux de cuivre se balançaient devant lui, attrapant quelques reflets de lumière au passage, mais il préféra se concentrer sur le crépitement de la pluie sur le toit de la serre. Les gouttes régulières rappelaient des grains de café écrasés dans une machine étouffée, mise au service des humains qui essayaient de rester éveillés dans un monde brumeux.

 

Il fallait faire des efforts pour rester concentré. Sasha imita Alison : enfiler une blouse, choisir une paire de gants. Jusqu'ici, rien de bien trop compliqué. Il décocha à la Serpentard un regard hostile.

 

- Si ça peut t'épargner de m'adresser la parole, alors non, je comprends rien à l'anglais, rétorqua-t-il, la voix rauque comme un gros félin grondant à l'approche d'un concurrent pour sa proie.

- Vous avez à votre disposition des branches d'aubépine pour les coincer dans les dents de Choux, claironna la voix du professeur dans le dos d'Alison, et Sasha en profita pour détacher ses yeux du regard sauvage qui lui faisait face - la frange bien ordonnée d'Alison lui semblait en contraste trompeur avec l'expression de la jeune fille : indomptée, rebelle. Ils sont particulièrement grincheux si vous ne leur donnez rien à mordiller, alors prenez vos précautions parce qu'ils pourraient s'en prendre à vous !

 

Autour d'eux s'élevèrent des murmures de désapprobation - c'était la première fois que les étudiants manipuleraient des choux mordeurs de Chine et certains n'étaient pas rassurés à l'idée d'y laisser un doigt ou deux. Sasha lâcha un soupir avant de se mettre à ramasser les pots qui leur avaient été affectés et les déposer avec brutalité sur la table. Cela réveilla un des choux qui se mit aussitôt à... chouiner.

 

- Va chercher l'aubépine, jappa Sasha à l'attention d'Alison, visiblement pressé d'en finir.

 

Il se concentra sur le pot devant lui. Regarder ce putain de chou et ce putain de chou uniquement.

 

- Zatkniess, râla-t-il à voix basse. (Ta gueule.)


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

Ce temps lui donne des frisottis. Alison le sait et lisse désespérément ses mèches auburn du bout des doigts pour aplatir les cheveux récalcitrants. Mal dans sa peau depuis quelques années, la jeune fille focalise sur ce genre de détail en permanence, soucieuse de son apparence. Bien sûr il existe un enchantement pour garder une chevelure souple et brillante par tous les temps, mais Alison se rappelle la fois où ses mèches ont fondu contre son crâne car elle en a trop usé. Plus jamais. Alors, agacée d'entendre la pluie tomber sur les serres, elle répète ce geste compulsif pour s'assurer de ne pas ressembler à un vieux plaid en mouton, convoitant celles dont les cheveux restent impeccables.

 

L'échange avec son partenaire de travaux pratique lui arrache un sifflement gêné et quelques paroles marmonnées entre ses dents. Tss. Il est sérieux lui ? C'est quoi ce genre de réponse ? Le visage froissé, elle évite le regard hostile du Russe pendant que leur professeur donne la démarche à suivre pour s'occuper des choux mordeurs de Chine. Alison ne s'attendait probablement pas au sale caractère de Sasha, ni à ses ordres grondés sans la moindre délicatesse. Vexée, elle l'ignore et prend d'abord le temps de boutonner sa chemise en prenant soin de laisser le col dessiner un joli V autour de sa gorge nouée d'une cravate plutôt bien mise. J'suis pas ton chien hein. Répond-elle enfin avant de se tourner sur le passage d'une de ses amies vers les branches d'aubépine un peu plus loin.

 

— Il est pas mal.

— C'est un gros con. J'en ai d'jà ras-le-cul. 

— Fais-lui mordiller l'aubépine, ça va l'détendre.

 

Deux gloussements s'élèvent depuis la table des rameaux où se pressent les sorciers qui récupèrent leurs branches d'aubépine. Alison jette un œil moqueur à Sasha et en profite pour observer sa silhouette trapue.

 

— J'suis sûre qu'il l'a déjà fait.

— J'suis sûre qu'ils vous ont mis ensemble car vous êtes roux tous les deux !
— Oh ta gueule !

 

Elle s'esclaffe et donne à son amie un coup de plante épineuse. Cette dernière lui rend en se gaussant aussi, ce qui provoque une remarque du professeur et le retour d'Alison à sa table de culture, avec son partenaire du jour. Tiens. La jeune femme se recoiffe après avoir posé l'aubépine près des pots de choux mordeurs. Elle non plus ne souhaite pas perdre un doigt ou deux dans la gueule pleine de dents des légumes magiques. D'ailleurs, si elle pouvait même éviter d'enfiler les immondes et puants gants de l'école, ce serait mieux. À ton tour de travailler, j'te regarde. Ses prunelles marron croisent celles de sa pote plus loin qui mime de croquer l'aubépine en désignant du menton le Gryffondor et Alison ne peut retenir un ricanement en imaginant le garçon avec une branche entre les dents.

 

 


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Combien de temps fallait-il pour aller chercher quatre branches d'aubépine ? A peine Alison s'était-elle éloignée que Sasha trouvait qu'elle aurait dû revenir. De son côté, il alignait les pots. Les autres groupes d'élèves avaient soigneusement sélectionné un seul chou, qu'ils examinaient précautionneusement, quand lui en avait stocké six, déposés les uns après les autres avec la douceur d'un poissonnier du siècle dernier abattant une anguille sur le bord d'une table.

Ses gestes agacés avaient peut-être à voir avec la remarque d'Alison. Son chien ? Quel rapport ? Il n'avait fait que répéter les consignes du professeur puisqu'elle ne s'était pas encore mise au travail. Est-ce qu'il était tombée sur la fainéante de la classe ?

 

Il enfila les gants, ne pensant même pas à leur odeur ni à ce à quoi elles avaient pu servir avant.

 

- Parfait, rétorqua-t-il à Alison quand il se mit au travail.

 

Autant qu'elle ne le gênat pas : plus vite il agissait, plus vite ils seraient tous deux débarrassés.

Et puis cela lui évitait de la regarder. Il avait bien vu et entendu le petit ricanement auquel il n'était certainement pas étranger. Mais au diable s'il se laisserait impressionner par une petite peste anglaise qui aurait peur de se faire des ampoules aux doigts en cueillant une myrtille.

 

Sasha entreprit d'enfoncer des morceaux d'aubépine dans les pots, faisant couiner de rage les choux. Ils s'attaquèrent à l'aubépine comme si la branche était l'autrice d'une attaque éclair, avec force de crachotements et de mordillements furieux. Le Gryffondor profita de ce que cela les occupait pour en saisir un à pleins gants pour l'arracher de force à son pot : une gerbée de terre se répandit autour de lui lorsque les racines lâchèrent. Suspendu dans sa main, le chou gigotait du bout des racines, essayant de mordre tout qu'il pouvait trouver sous ses dents : restes d'aubépine, les gants de Sasha, et même ses propres feuilles, dans une crise âpre et silencieuse. Sasha se hâta d'enfoncer le petit monstre végétal dans un grand pot, sans ménagement. Puis il prit à deux mains une grosse poignée de terre pour l'enfoncer dessus - un peu comme on aurait essayé de noyer un lutin de Cornouailles au fond d'un seau glacée.

Aussitôt fait, aussitôt oublié : Sasha passa au chou suivant avec la même douceur.

 

- Huuummm... fit une voix hésitante à proximité.

 

La professeure de botanique était une femme au visage plein de gentillesse, un peu ronde, les joues rouges avec des boucles brunes sauvages qui lui descendaient sur les épaules en mèches épaisses et embrouillées à la manière d'un lierre envahissant. Elle avait de grands yeux noisettes qui parurent plus ronds encore que les noisettes elles-mêmes quand elle avisa la table de Sasha et Alison. Le Gryffondor continuait le rempotage, non sans attirer quelques gloussements d'une table voisine quand la professeure se passa une main sur le menton en l'observant.

 

- Alors, les choux mordeurs de Chine sont plutôt délicats malgré leur caractère, essaya-t-elle de dire en agitant le bout de ses doigts comme des fleurs dans lequel le vent chahuterait. Leurs feuilles sont très utiles notamment pour confectionner des potions aux propriétés protectives, et...

 

Sasha relevait de temps à autre le nez, parce qu'il sentait bien qu'elle le fixait en disant cela. Mais il savait tout cela, aussi se concentrait-il de nouveau. Il enfonça une autre branche d'aubépine dans un chou qui se rétracta aussitôt douloureusement - le geste tira à la professeure une grimace qu'elle ne put dissimuler.

 

- CE QUI VEUT DIRE QU'IL NE FAUT PAS NON PLUS LES MALMENER !

 

Sasha suspendit ses mouvements, cette fois sincèrement étonné par l'éclat de voix proche de l'hystérie. Le visage de la professeure était devenu tout rouge. Elle avait les lèvres pincées, mais était visiblement satisfaite que le Gryffondor eût décidé d'arrêter son travail de boucher. Lorsqu'elle reprit la parole, elle avait même retrouvé un petit sourire à demi-encourageant, à demi-menaçant.

 

- Voilà. Merci de poursuivre avec davantage de délicatesse, décréta-t-elle avant de s'éloigner vers le duo suivant.

 

A la table voisine de la leur, deux jeunes filles toisaient Sasha et les pots alignés devant lui avec une mine interdite.

 

- Qu'est-ce que vous r'gardez ? aboya le Gryffondor. C'est qu'une plante vous allez pas vous mettre à chialer parce que j'ai froissé des feuilles quand même !

 

Les deux filles se hâtèrent de baisser le nez sur leur propre pot, comme si le Gryffondor les avaient électrisées et qu'elles n'osaient rien répondre.


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

Les bras croisés sous sa poitrine, Alison observe le Russe se mettre à la tâche sans hésiter une seule seconde. Peut-être lui permettrait-il d'avoir une bonne note facilement, à défaut de lui apporter ce frisson qu'elle attendait. La professeure de botanique devra bien céder un Effort Exceptionnel s'il s’exécute rapidement et qu'ils terminent avant les autres. Son visage exprime d'abord la satisfaction, les lèvres rendues pulpeuses par une moue babydoll qu'elle maîtrise plutôt bien devant son miroir. Ça gonfle un peu sa bouche encore légèrement trop fine à son goût. Mais très vite son visage change d'expression, oval de stupéfaction face à la barbarie de Sasha Shev'machin. Il est bête ou quoi ? Elle continue de parler comme s'il ne comprenait rien, s'adressant à elle-même plutôt qu'à lui. Puis ses Derbies cirées sont arrosées de terre et Alison recule en poussant un petit cri de surprise.

 

— Hé ! Fais gaffe ! L'attention du reste de la classe se tourne progressivement vers eux, rendant la jeune fille nerveuse. Elle nettoie ses chaussures en riant avec gêne. Il est fou ce gars. Ce qui amène finalement leur professeure à observer la scène à son tour. De côté, Alison lance des regards équivoques à son amie et les deux ricanent à distance, n'ayant nul besoin de parler à haute voix pour se comprendre. Trois autres Serpentard se joignent au gloussement qui contamine petit à petit la serre quand l'enseignante hurle sur le réfugié. Tsss, siffle-t-elle doucement entre ses dents alors qu'enfin Sasha stoppe sa manœuvre. "Délicatesse", "il faudrait lui filer un dictionnaire", pense la sorcière qui se demande encore si elle doit lui faire la réflexion ou la garder pour elle. 

 

Mais le Gryffondor rugit et un pot tombe à leurs pieds, tirant Alison de sa posture immobile. Bah bravo. Faut ramasser maintenant. Elle soupire en sentant l'Effort Exceptionnel s'éloigner à mesure que l'heure avance. Elle n'est pas mauvaise élève, elle a des ambitions, elle, et enfonce ses mains à l'intérieur des gants puants et rendus rigides avec le temps. Saisissant la première branche d'aubépine à sa portée, la rousse fait taire un chou grincheux en grimaçant au contact de celui-ci. Dégueux. Miss Aisling trouverait ça humiliant et à l'opposé de l'avenir brillant qui les attend. Elle rejette ses cheveux en arrière d'un geste de la tête qui écarte sa frange. 

 

— Heu, juste comme ça, j'vais pas ramasser pour toi hein. Il rêve ou quoi ? À l'image des autres élèves, Alison déterre son chou sans grande confiance, les bras tendus afin d'éviter tout rapprochement. Ça avait l'air plus facile quand Sasha le faisait. La plante magique s'agite et recrache l'aubépine pour chercher à mordiller n'importe quoi autour d'elle. Oh putain. Un désordre général s'empare des cinquièmes années en proie aux choux mordeurs récalcitrants et ce malgré la professeure qui préconise le calme. Lâchant le légume dans son pot de destination, Alison perd sa concentration à cause du brouhaha ambiant. Elle cherche Sasha. Qu'est-ce qu'il- AÏE ! AÏE PUT- 

 

C'est le drame alors que son propre chou dévore une mèche de ses cheveux et tire dessus avec force. Aide-moi !! Aide-moi j'peux pas m'enlever ! Penchée en avant et maltraitée par sa plante, Alison retient sa chevelure fébrilement, les joues piquées de rouge, honteuse de se retrouver dans cette situation.


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Sasha retira les gants d'un geste rageur, les jetant sur un coin de la table. Dès qu'Alison se fut retournée à son chou, il en profita pour faire une grimace, censée reproduire la mimique hautaine de la jeune fille, version caricature slave, quand elle lui avait signalé qu'elle ne ramasserait pas pour lui. Il n'en restât pas moins qu'après un gros soupir, et sous des regards discrets qui les épiaient des tables voisines, le Gryffondor s'empara d'un brosse avec laquelle il repoussa la terre au sol dans un coin. Nettoyer le sol d'une serre, quelle idée ridicule. A la fin du cours, il y aurait tout autant de terre partout, alors pourquoi ?

Mais obéir pour le simple fait d'obéir, il savait faire. Au moins quelque chose de familier dans ce château et son parc à thème pour enfants de maternelle. Pendant ce temps, Alison n'avait qu'à se débrouiller avec sa délicatesse de petite bourge, si c'était cela qui convenait au professeur. Pas sûr qu'ils réussissent à remporter les six chous avant la fin des deux heures, mais apparemment c'étaient davantage les apparences que l'efficacité qui comptait dans ce fichu...

 

Sasha releva le nez de son balai à l'exclamation de son binôme, pour la découvrir penchée en avant la tête étrangement inclinée sur le côté tandis qu'une mèche de ses précieux cheveux étaient inexorablement mastiquée par des rangées de dents végétales.

Alors le slave grimaça enfin un sourire en s'appuyant sur le balai pour pencher la tête aussi, histoire d'avoir le visage dans la même direction que la pauvre élève prisonnière par les cheveux.

 

- Désolée, je pas comprendre ce que tu veux. Tu sais, moi pas parler anglais...

 

Il s'attendait à lire la fureur dans les yeux d'Alison. C'était bien mérité. Mais les yeux agrandis, marrons comme des feuilles d'automne, n'avaient pas tant l'air furieux que paniqués.

 

- Oh my God ! cria une fille à la table voisine.

 

D'autres exclamations fusèrent ici et là. Suffisamment intenses pour que Sasha comprît qu'Alison n'était vraiment pas en mesure de se sortir de là toute seule. Quant aux autres élèves paniqués qui les regardaient, pas un n'avait la présence d'esprit de bouger le petit doigt. Est-ce qu'en plus les Serpentards n'avaient aucun esprit d'équipe ?

 

- Tchort, croassa-t-il, avant de lâcher brusquement le balai. (Bordel.)

 

Sasha avala la distance entre eux en deux pas précipités avant de se pencher sur le pot. Il attrapa d'une main la mèche de cheveux, et de l'autre enfonça sa paume sur le chou pour extirper la tignasse rousse. Le chou tenta d'abord de résister, et Sasha dût tirer plus fort. L'arrachage provoqua soudain un crépitement désagréable, libérant brusquement Alison tandis que le Gryffondor et elle reculaient.

 

- Oy, blyad ! jura Sasha avec vigueur. (Oh, putain !)

 

Il avait battu en retraite par réflexe, emmenant de sa main libre Alison avec lui - Sasha secoua son autre main devant lui avec douleur : sa paume avait été perforée de toutes parts, et déjà des gouttes de sang se formaient et dégoulinèrent devant eux. Un drôle de silence les entourait tandis que les autres élèves restaient figés à les regarder.

 

Bien évidemment, les cris puis ce silence avaient alerté la professeure. Celle-ci revenait vers l'arrière de la serre d'un pas pressé, se frayant un chemin entre les tables en se hissant parfois sur ses pointes comme pour mieux y voir. Sasha se dépêcha de retourner à leur table... pour mieux cacher sa main sous celle-ci.

 

- Que se passe-t-il ici ?

 

Evidemment, c'était à lui qu'elle s'adressait. Sasha avait retrouvé instantanément sa moue désagréable.

 

- Rien, rétorqua-t-il sèchement.

 

Le visage de la professeure resta immobile, à le fixer telle une chouette épervière affamée, en attente d'une réponse plus satisfaisante. Sasha soutint son regard un moment, mais ne put empêcher un coup d'oeil vers le chou : ce dernier avait quelques dents qui s'emmêlaient encore dans quelques cheveux roux. L'air de rien, Sasha prit une motte de terre de sa main valide pour la jeter sur le chou.

 

- On rempote, c'est tout, gronda-t-il.

- Monsieur Shevchen, vous voudrez bien me parler sur un autre ton ! Que. S'est. Il. Passé ?

 

Mais Sasha avait décidé de sceller ses lèvres à la manière d'un enfant refusant de manger sa bouillie.


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

L'arroseur arrosé, ça n'amuse pas Alison. D'ailleurs ça ne l'énerve même pas vraiment, elle qui voit déjà le chou dévorer sa chevelure entière et puis croquer son crâne comme un vulgaire champignon. Son regard supplie Sasha, les yeux brillants de larmes maintenant qu'elle s'imagine chauve et dépourvue d'une oreille. Adieu son avenir au sommet, bonjour la honte éternelle. Elle tire sur la plante, mais rien n'y fait, jusqu'à ce que Sasha décide enfin de réagir avec poigne devant l'assemblée d'élèves spectateurs. 

 

Bousculant Alison au passage, il se lance dans une lutte chaotique contre le légume teigneux. Aïe, aïe, aïe, couine-t-elle en gesticulant, coincée entre la table et le sorcier. Et d'un geste brusque soudain, Sasha l'emporte en arrière vers les stocks d'aubépine. Le souffle coupé, la jeune femme pose une main sur sa tête sans réaliser qu'il vient de se blesser. Ses doigts glissent nerveusement le long des précieuses mèches rousses, désordonnées mais bien là. Elle expire brièvement de soulagement avant de croiser la quinzaine de paires d'yeux braqués sur eux, puis d'entendre sa professeure arriver. Écarlate, la sorcière peine à retrouver contenance, contrairement au Russe qui retourne déjà devant leur table. Est-ce qu'il va la dénoncer ?

 

— M'dam' c'est- mais alors qu'Alison s'apprête à nier pour sauver sa réputation et ses notes, il cache la vérité. rien. C'est rien. Consciente du rouge tout autour de ses pommettes, elle baisse la tête, évitant même le regard de ses amies cette fois. Pourquoi n'a-t-il pas dit qu'elle avait fait l'idiote à garder ses cheveux détachés malgré les consignes de sécurité ? Elle continue de lisser sa pauvre chevelure, muette, jusqu'à apercevoir le sang qui coule sur les doigts de Sasha. Son regard remonte vers le visage du garçon qui résiste à leur professeure. Quand Alison le voit jeter une poignée de terre dans le pot pour couvrir ses mèches rousses, elle intervient.

 

— Rien vraiment. Il - elle ravale sa salive - j'ai glissé et j'suis tombée. Mais ça va. La sorcière fixe l'enseignante avec une conviction feinte, le menton levé. Personne n'ose intervenir. Cette joute silencieuse s'apparente à une torture pour Alison qui ne supporte pas de se sentir idiote, rabaissée. Plaît-il ? La professeure de botanique plisse des yeux comme si elle avait le pouvoir de lire dans les pensées d'Alison. Cette dernière peut compter sur le soutien de son amie.

 

— Elle est tombée Miss, j'l'ai vue.

— Voilà, j'ai glissé sur la terre.

— Bon. Vous resterez tous les deux après la classe.

 

Elle jette un dernier regard suspicieux à Sasha puis claque des mains avec vigueur. Allons, allons, retournez à vos postes, ne faites pas attendre les choux ! Et voici pourquoi vous devez nettoyer vos espaces de travail ! Un peu de concentration ! La classe se remet au travail malgré qu'on entende des chuchotements se promener entre les groupes de Serpentard. Debout à côté du Russe, Alison attache ses cheveux en dévoilant deux oreilles qu'elle trouve moches, petites, au lobe insuffisant. Un jour elle les fera modifier. Son regard retourne sur les blessures de son voisin tandis que l'enseignante vient en aide aux élèves du premier rang. Ce qu'elle voit lui donne des frissons.

 

Les mains de Sasha sont déformées par des cicatrices irrégulières en forme de griffures étranges, profondément creusées dans la peau du sorcier. L'une d'entre elles porte les stigmates ensanglantés du sauvetage des cheveux d'Alison. Certaine que le Chou mordeur de Chine n'est pas l'auteur des autres marques, la jeune femme se demande ce qu'il a bien pu lui arriver. Pour la première fois, elle pense au statut de réfugié de Sasha et l'observe avec curiosité. Ses yeux marrons croisent l'air bourru du garçon. Mais la sorcière, loin d'exprimer ses interrogations, renfile ses gants et tente de reprendre le cours de leur rempotage, en murmurant quand même par précaution à son binôme. 

 

— Tu devrais te soigner avant qu'elle voit. Tu connais la formule ? Elle devrait lui dire merci ? Sûrement. Alison le sait mais se trouve figée dans une posture où son égo refuse de céder. Elle s'est jurée de ne jamais avoir l'air d'une petite chose faible devant les autres, surtout en cinquième année, et cette catastrophe dépasse déjà ses limites. Toujours rouge à cause de son teint naturel, la rousse expire en fixant la terre qui recouvre son légume ennemi. J'vois même pas l'intérêt de faire ça. Genre ça va nous servir dans la vie. J'veux pas être jardinière moi. Elle marmonne pour enterrer sa honte, comme si ça allait effacer l'image d'elle en train de se faire dévorer la tête par un chou devant toute sa classe que de réduire le cours de botanique à une vulgaire occupation paysanne. Ça n'empêche qu'il faut les rempoter, ces choux, si Alison veut prétendre aux meilleures notes cette année. Le reste des élèves avancent dans leur tâche et la jeune femme rapproche un pot d'elle, hésitante.

 

— Hé. Sinon j'les change de truc, et toi tu mets la terre au-dessus, ok ?

 

Une collaboration ? admettons.


Sasha Shevchen , Serre n°2, le 15/09/2124

Sasha ne s'était pas retourné. Il avait vissé son regard sur les pots devant lui, bien décidé à ne pas prendre part à la conversation qui se poursuivait entre la professeure et l'élève. Mais l'injonction de devoir rester après la classe lui tira une brève expression d'aigreur. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était bien de traîner plus que nécessaire dans ce genre d'endroit. Mais il avait beau aller aussi vite qu'il le pouvait dans toutes ses tâches, les journées n'en étaient pas plus courtes.

 

Subitement, d'une manière qu'il ne pouvait expliquer, il sentit le regard d'Alison sur ses mains. Il les rétracta presque instantanément dans ses manches, non sans une oeillade sombre. Les paroles acides de la Serpentard lui confirmèrent qu'il n'y aurait pas de trêve entre eux : ce qui venait de se produire n'était qu'une simple alliance de circonstance face à un opposant commun.

 

- Evidemment que je sais.

 

Qu'est-ce qu'elles avaient toutes à croire qu'il ne connaissait pas les formules les plus élémentaires ?

Il se remit à fixer les choux devant lui, le visage toujours fermé. Elle ne voulait pas être jardinière. Bizarrement, il songea que lui, ça ne lui aurait peut-être pas déplu, dans d'autres circonstances. Oui mais voilà, on ne choisissait pas ses circonstances, et l'idée de labourer tranquillement la terre au soleil n'était pas donc vraiment dans ses projets non plus, pour d'autres raisons.

 

- Ok.

 

Voilà un plan simple.

 

Sasha resta pourtant figé à côté de la jeune fille. Il regardait les mains de celle-ci s'activer doucement, avec une certaine hésitation.

 

Il sentait une sensation extrêmement désagréable lui fourrager les entrailles, remonter le long de sa gorge comme un démon brûlant qui coloraient de rouge carmin ses mâchoires et ses oreilles, en passant par ses joues. Mais il resta longuement immobile, à fouiller ses pensées, à la recherche d'une solution.

Il n'y en avait qu'une.

 

Sasha déglutit, un peu plus bruyamment qu'il ne l'aurait voulu. Ses yeux restaient figés sur le chou devant lui - c'était celui qui avait mangé les cheveux d'Alison. Il s'agitait doucement sous la motte sombre, comme un cadavre pas tout à fait mort aurait remué la terre pour trouver la meilleure position pour son sommeil éternel.

 

- J'suis gaucher, glapit subitement Sasha à voix basse, comme si c'était une confidence que les autres ne devaient pas entendre.

 

Leurs regards se vissèrent l'un à l'autre, mais dans l'incompréhension. Alors il reprit.

 

- C'est la main avec laquelle je tiens ma baguette.

 

Sasha fit un effort pour sortir sa main gauche, blessée, et dévoiler sa paume tâchée de sang et ses doigts qui tremblaient malgré lui. Ce n'était pas une blessure grave - du moins pas de son propre jugement. Pourtant, il serra les dents, carra les mâchoires comme si les mots qu'il allait prononcer lui brûlait la trachée.

 

- Je peux pas me soigner tout seul.


Alison Carter , Serre n°2, le 15/09/2124

— Quoi ? Elle murmure en retour, obligée de tendre l'oreille pour comprendre les marmonnements du Russe au fort accent. Son regard automnal voyage sur la silhouette prostrée de Sasha tout en continuant de surveiller leur professeure et les élèves aux alentours. Alison n'attendait pas cette confession qui devient rapidement un appel à l'aide. Elle comprend que son voisin veut qu'elle le soigne et lui lance un drôle d'air, à mi-chemin entre une bouffée d'égo et la consternation feinte. Vraiment ? Ils seront quittes au moins. Alison soupire alors qu'en réalité ça l'arrange d'être à son tour en position de force face à Sasha. Sans elle, il se ferait remarquer par l'enseignante. 

 

— Bah on dirait qu'tu fais moins le malin en tout cas maintenant mh. Galvanisée, la jeune femme en profite pour reprendre le contrôle de la situation tandis qu'elle s'accroupit et fouille dans son sac avec concentration. C'est l'occasion parfaite finalement. Bon, montre. Alison fixe Sascha à travers sa frange rousse, baguette en main. D'un geste, elle écarte ses cheveux pour y voir mieux. Deux élèves curieux se tournent, mais heurtent l'expression hostile du réfugié qui ressemble à un animal sauvage blessé. Habituée aux coups en douce, on dirait que l'adolescente passe aisément d'une attitude d'étudiante qui n'éveillera pas les soupçons de la professeure à sa réflexion pour réaliser le sortilège de la meilleure manière. Pose ta main là. Elle lèche ses lèvres, consciente de l'enjeu. Ce petit pouvoir lui donne un sursaut de charisme. C'est sûrement ce qu'appelle Miss Aisling l'assurance et la supériorité des Serpentard. La sorcière maintient le poignet du Gryffondor. Un fond de rouge subsiste sur les pommettes d'Alison qui répète l'intonation dans sa tête avant de se lancer dès que la voie est libre.

 

— Episkey. Sa baguette dessine un cercle au-dessus de la blessure. Le charme agit et répare la peau de Sasha, sauf autour des traces qu'il portait déjà sur ses deux mains. Exigeante avec elle-même, Alison resserre légèrement le poignet de son voisin, vexée de ne pas avoir atteint la perfection. Elle pince ses lèvres. C'est à cause des cicatrices, normalement j'y arrive mieux. Ses doigts quittent finalement le poignet de l'adolescent.


Système

Maître du Jeu

Maître du Jeu , Serre n°2, le 15/09/2124

Alison Carter a lancé un sortilège !

Sortilège utilisé : Episkey (Sortilège du Bisou Magique)

Difficulté du sortilège : 8

Modificateur de baguette : 0

Résultat du dé : 11 (13-2)

Réussite :

— Episkey. Sa baguette dessine un cercle au-dessus de la blessure. Le charme agit et répare la peau de Sasha, sauf autour des traces qu'il portait déjà sur ses deux mains. Exigeante avec elle-même, Alison resserre légèrement le poignet de son voisin, vexée de ne pas avoir atteint la perfection. Elle pince ses lèvres. C'est à cause des cicatrices, normalement j'y arrive mieux. Ses doigts quittent finalement le poignet de l'adolescent.

Autres résultats possibles
Réussite critique :

— Episkey. Sa baguette dessine un cercle au-dessus de la blessure. Rapidement, on peut voir le charme agir et réparer la peau de Sasha. Bien sûr, ça n'enlève pas les cicatrices que porte le jeune homme sur ses deux mains. Alison étire un sourire satisfait et lâche le poignet de son voisin sans retenir une remarque suffisante. Voilà, en douceur, tu vois.




Échec :

— Episkey. Sa baguette hésite. Alison n'a jamais réalisé ce sortilège en dehors d'une salle de classe et le résultat s'en ressent. La peau de Sasha crépite légèrement mais reste abîmée par la morsure du chou. La jeune femme ravale un sentiment désagréable d'humiliation. Bouge pas. J'peux pas m'concentrer. Elle subit sa propre pression ; celle d'avoir l'air bête. Celle d'être "nulle". La jeune femme retient le poignet de son voisin. J'vais recommencer, attends.




Échec critique :

— Episkey. C'est la douche froide pour Alison qui remarque aussitôt que quelque chose ne va pas. Les plaies s'élargissent dans la paume de Sasha. Elle écarquille ses yeux, horrifiée par le résultat. C'est quoi ça ? Sa baguette lui joue des tours parfois et la jeune sorcière peine à trouver l'osmose avec son bois dans certaines situations.




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