Poudlard L'extérieur [Terminé] L'insoutenable légèreté du silence
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Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Samara.

 

Sasha n’était pas allé jusque-là. Il aurait dû ; il s’était fait choper sur le versant nord-ouest d’une montagne, à quelques dizaines de kilomètres de là. L’amertume le fit déglutir, ses yeux braqués sur le lac en face. Les enfants qui jouaient, il ne les voyait même plus : il se souvenait d’avancer dans un village, persuadé d’arriver à rejoindre sa brigade, quelques heures avant le sortilège qui l’avait immobilisé et qui avait déclenché la série idiote d’évènements jusqu’à se retrouver dans un parc d’attractions pour enfants en Angleterre. Pourtant, indirectement, il avait participé à la bataille de Samara.

 

Quand Anya enchaîna, toutefois, Sasha sentit son corps se tendre. Il retint son souffle. Il resta parfaitement immobile, les yeux fixant toujours devant lui, s’humectant une nouvelle fois les lèvres comme un tic qu’il ne maîtrisait pas – encore moins maintenant.

 

Son frère s’était battu dans le camp adverse.

 

Ce qui signifiait qu’elle aussi était dans le camp adverse.

 

Sasha resta parfaitement silencieux un long moment. Il clignait seulement des yeux, exhortant son cerveau à fonctionner plus rapidement, le plus rapidement possible. Mais il n’arrivait pas à prendre de décision. Il aurait dû se lever immédiatement, cracher à la figure d’Anya et lui ordonner de ne plus jamais lui adresser la parole. Les copains auraient dit qu’il aurait dû l’emmener dans la forêt et la supprimer, ne serait-ce que pour la vengeance. Mais son corps refusait d’agir dans un sens ou dans l’autre. Il était retenu par il ne savait quoi ; le fait qu’elle parut si humaine, le fait qu’elle croyait qu’il était dans son propre camp, et il avait cette envie absurde d’entretenir le mensonge.

 

Sasha finit par déglutir en prenant une inspiration, puis il tourna la tête lentement vers elle.

 

Et il acquiesça, sagement.

 

L’accès à des informations changeait tout.

 

Как вы это получите ? (Comment tu fais pour l’avoir ?)

 

Il aurait payé cher. Mais de là à payer l’ennemi ? Il voulait savoir, lui aussi. Quand il avait quitté le territoire, ses amis défendaient Brovary. En pure perte. Il se demanda ce qui était arrivé à Andriy, Dmytro et Bohdan. Est-ce que des frères d’Anya les avaient abattus ? Ou pire… ?

 

-  Я... я бы не поверил, il dit, pour meubler le silence. (Je… j’aurais pas cru.)

 

Il ne pouvait pas se résoudre à paraître joyeux quand il lui semblait qu’un boulet de plomb lui était tombé dans l’estomac. Et puis, mille questions se bousculèrent à ses lèvres, et il s’anima soudain, basculant sur ses genoux.

 

-    Знаете ли вы, чем закончилась Сызранская битва ? Они переправились через реку ? А волшебники Казахстана ? Они наконец пришли ? Обещали... То есть, кажется, обещали приехать ! (Est-ce que tu sais comment s’est terminée la bataille de Syzran ? Est-ce qu’ils ont traversé le fleuve ? Et les sorciers du Kazakhstan ? Ils sont venus finalement ? Ils avaient promis… Je veux dire, il paraît qu’ils leur avaient promis de venir !)

 

Sasha s’exhorta à ralentir le rythme, ne serait-ce que pour éviter de commettre une erreur avec des mots qui trahiraient sa propre affiliation.

 

-   Я хочу прочитать это сам, il exigea subitement. (Je veux lire moi-même.)

 

C’avait l’air d’être pour lui une question de vie ou de mort – les nouvelles en Angleterre étaient toujours floues, anecdotiques, surtout concernant le volet magique de cette guerre. 


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

Anya l'observe étrangement, de biais, comme s'il venait de sortir quelque chose de particulièrement stupide.

 

- Мне нравятся остальные, я плачу подписку. Это не ракетостроение. Je fais comme les autres, je paye un abonnement. C'est pas sorcier.

 

L'expression n'avait rien d'humoristique, entre les lèvres implacables de la jeune russe. Elle ne s'était guère attendue à la réaction de Sasha, qui s'animait soudain, déballant davantage de mots qu'il n'en aura prononcé depuis leur première rencontre, ou presque. Elle crache par terre à la mention de l'Union Nocturne, ces traîtres kazakhs.

 

- Они испортили все, что могли. Мы потеряли Сызрань, говорит она. Не вдавались в подробности, но ОДИН принял это как данность на двух полных страницах, там все имена людей, которых надо убить за разрыв союза две тысячи сто три. Пусть сдохнут. Ils ont fait foirer tout ce qu'ils ont pu. On a perdu Syzran, elle énonce. Ils ont pas détaillé, mais l'UN en a pris pour son grade sur deux pages entières, y a tous les noms des hommes à abattre pour avoir rompu l'alliance de 2103. Qu'ils crèvent. 

 

L'excitation palpable de Sasha lui rappelle brièvement la vigueur de Pavel dès lors qu'il évoquait leur père, et la guerre à laquelle il participerait bientôt. La guerre de laquelle il ne reviendrait pas. Anya lève le menton, comme prise d'un élan patriotique, avant de placer une main presque solennel sur l'épaule de Sasha. Elle est retirée dans l'instant suivant, n'en laissant aucun souvenir tant le geste avait été rapide.

 

- Ну давай же. У нас есть время до завтрака. Viens. On a le temps avant le petit-déjeuner, elle l'invite d'un mouvement.

 

Le besoin qu'elle avait eu de se tenir éloigné de l'ensemble de ses camarades s'évanouit comme neige au soleil, alors que le regard de Sasha semble comme s'illuminer à la perspective d'avoir des nouvelles du conflit. Il avait été le seul, jusqu'ici, à l'évoquer. Les autres étaient trop jeunes, ou trop réservés. Certains n'en avaient même rien à faire, et se plaisaient dans cette nouvelle vie, à prétendre n'avoir rien à faire que des devoirs. Anya les abhorrait plus encore que tous les autres. Sasha lui, avait combattu. Il avait fait avancer le FMU, et massacré peut-être certains des membres du VAL. Sans doute n'avait-il pas combattu beaucoup, car il n'avait que seize ans, et qu'on ne pouvait guère combattre avant cet âge - comme Pavel s'en était souvent plaint. Mais il comprenait mieux que beaucoup d'autres ce qui importait réellement, même dans ce trou paumé d'une Écosse glaciale.

 

Le pas déterminé, Anya s'avance pour retrouver le sentier qui les mènera au château, et bientôt dans les cachots - loin des rayons paresseux du soleil qui continue de se déployer sur l'horizon.

 

- Я собираюсь отвести их в пустой класс перед общей комнатой, я не хочу, чтобы другие задавали вопросы. Люди здесь спрашивают, не желая знать, просто чтобы поговорить и сказать что-нибудь между занятиями. Je vais les apporter dans la classe vide en face de la salle commune, j'ai pas envie que d'autres posent des questions. Les gens d'ici ils demandent sans vouloir savoir, juste pour parler et raconter n'importe quoi entre les cours.

 

L'an dernier, Anya s'était confié à une élève de sa classe au sujet d'un article paru la veille. L'autre avait déformé tout ce qu'elle avait dit pour inventer que les russes utilisent des arbres entiers qu'ils affutent comme des lances, et qui transpercent des armées entières. Idiote.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Sasha avait froncé les sourcils vite fait.

 

- Подписка ? На какие деньги ? Откуда у вас деньги ? (Un abonnement ? Avec quel argent ? Tu tires d'où, l'argent ?)

 

Soudain, il posait toutes les questions qu'il pouvait, avant que ce ne fût trop tard : il avait cette intuition sourde qu'une telle opportunité ne durerait pas. Comme Anya se levait, il l'imita, oubliant complètement la saleté et l'humidité accumulée de ses vêtements : plus rien ne comptait que les informations qu'il pouvait tirer d'elle, et ses yeux alternaient entre la dévorer, plein d'avidité curieuse, et s'égarer ailleurs, quand il se rendait compte que cette attention soutenue pouvait le trahir.

 

- Oh, wahou.

 

C'était tout ce qu'il pouvait prononcer. Les Kazakhs étaient venus, Syzran avait été prise. Sasha sentait son coeur battre à tout rompre tandis qu'il suivait Anya en direction du château. Il avait enfoncé ses mains dans ses poches, histoire de garder une posture nonchalante. Il lui semblait sentir encore la main qu'elle avait posé sur son épaule - preuve ultime qu'elle avait confiance en lui, mais pour combien de temps ? Sasha repoussa le sentiment désagréable quand il pensait à la possibilité quelqu'un put savoir, que ce fut d'un camp ou d'un autre, qu'il s'accommodait si bien d'un silence protecteur quant à sa propre contribution dans cette guerre.

 

- Ладно, ладно, без проблем. (Ok, ok, pas de problème.)

 

Plus rien n'était un problème, subitement. Sasha et Anya grimpèrent les marches assez rapidement, ne partageant plus rien le temps qu'ils croisaient plusieurs autres élèves qui, bien sûr, faisant le chemin en sens inverse pour aller profiter du soleil. A l'intérieur, ils bifurquèrent dans un couloir à droite, pour prendre la direction des cachots.

 

Sasha n'était jamais allé plus loin que la salle de cours de Potions, mais la perspective de s'approcher de la salle commune des Serpentards l'ennuyait vaguement - et s'ils croisaient Alison ? Il faudrait qu'il s'en débarrassât le plus vite possible, et il n'était pas sûr qu'un bisou suffirait. De plus, il espérait bien qu'elle ne le verrait pas en compagnie d'Anya - il entendait déjà Alison lui faire la leçon sur le comportement qu'il devrait avoir avec les autres filles le temps qu'ils faisaient comme si ils sortaient ensemble.

Sasha rasa donc les murs mais il n'était pas si simple de passer inaperçu : plus ils s'enfonçaient dans les cachots, plus ils croisaient majoritairement des Serpentards, plus sa présence faisait tâche. Il hâta le pas, pressant Anya d'une grimace.

 

- Я подожду тебя в комнате, так лучше, il indiqua quand ils furent devant la gargouille qui gardait l'entrée du cachot des Serpentards - et presque au pas de course, il se volatilisa dans la fameuse salle. (J'vais t'attendre dans la salle, c'est mieux.)

 

C'était un cachot ordinaire, avec des tables alignées, gravées de mille messages des élèves qui avaient peuplé les bancs de Poudlard avant eux - ça n'avait aucune importance. La salle était plongée dans le noir et Sasha se garda d'allumer les appliques et les chandeliers pour être sûr que personne ne soupçonnerait sa présence. Il alla s'asseoir dans le fond, sur un banc. Il se passa la tête entre les mains avec un soupir, partagé entre l'excitation et la consternation concernant ce qu'il était en train de faire. Il se répéta que ça n'avait aucune importance : il utilisait juste une opportunité, c'était tout. Anya saurait, et quoi ? Elle lui parlerait ensuite comme au début. Il s'en fichait.

Sa chemise était toujours trempée, collée à son dos, amenant avec elle l'odeur de l'herbe fraîchement écrasée.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

- De l'état, fut sa seule réponse, acérée comme une lame.

 

L'évidence même, non ? C'est comme cela que survivait tous les nouveaux petits pensionnaires de Poudlard. Avec l'argent que l'état russe leur envoyait, en récompense de l'effort de guerre mené par les familles qu'ils avaient perdu. Anya avait la chance de bénéficier d'une rente plus importante que celle de certains camarades, en ce que son père avait été un officier. Ce n'était qu'un maigre revenu, qui suffisait toutefois à se payer la venue d'un journal chaque matin, entre autres choses. La mère patrie veillait sur ses expatriés, dans l'espoir d'un retour dès que les circonstances le permettront. Les garçons viendraient enfler les rangs de la milice, et les filles combleraient les postes qu'ils ne pourraient occuper pendant ce temps.

 

Anya se garda de rappeler à Sasha qu'elle ne l'avait aucunement invité à entrer dans la salle commune des serpentard, encore moins dans son dortoir. Encore heureux que tu m'attende dans la salle, qu'est-ce que tu t'imagine ? Semblait dire son regard alors qu'elle l'abandonnait pour s'engouffrer dans la large pièce de pierre froide orné des couleurs de sa maison. Elle n'accorda guère le moindre regard aux élèves présents, ou peut-être brièvement au groupe de filles de cinquième année qui gloussaient dans un coin. Alison Carter avait ce tique affligeant qui la voyait régulièrement passer les doigts dans sa frange, comme pour en arranger la tenue.

 

De l'autre côté de la pièce, Viviane et sa cour, qui semblaient en proie à la même maladie compulsive, les lèvres ornées de carmin planquées derrières des mains manucurées pour dissimuler des rires qui n'avaient rien ni de jolis, ni de sincères. Parfois, Anya avait la vaste impression de déambuler dans une immense pièce de théâtre dont on aurait omis de lui laisser le script. Là le déploiement d'un mystérieux coup de hanche, ici la conjugaison d'expressions vaines et de jurons millimétrés pour descendre quelque professeur, ou quelque élève accoutré de la mauvaise façon, ou ayant donné une réponse aberrante au dernier examen. Rien qui n'ait ni le moindre sens aux yeux d'Anya, ni vraiment d'intérêt non plus.

 

Pressée, elle gagna son dortoir, souleva le couvercle de la lourde malle, et en extirpa un porte-document d'une finesse exagéré pour ce qu'il contenait. Scellé d'un sortilège, il aurait en vérité du prendre plusieurs longs centimètres d'épaisseur. Elle le flanqua sous son bras avant de repartir comme elle est venue, quittant la salle commune sans avoir éveillé grande attention. L'an dernier, ses faits et gestes étaient épiés sans arrêt, mais il s'était avéré qu'il n'y avait rien à décortiquer ; Anya n'était qu'une élève pâle et maigrichonne qui plaçait toute son énergie dans ses études, et n'essayait jamais de socialiser.

 

Vlam.
 

Le paquet s'abattit sur la table occupée par Sasha, tandis que d'un coup de baguette elle allumait les torches au mur une à une. Le garçon était définitivement étrange, à se coucher dans la boue et la rosée, à rester plongé dans le noir. Anya ouvrit la pochette d'un seul geste avant d'en extirper un journal, qui en découvrit aussitôt un autre derrière. Il y avait tous les numéros depuis son arrivée sur le sol britannique ou presque ; il avait fallu plusieurs semaines avant qu'Anya ne puisse lancer l'abonnement, et recevoir ses premiers journaux. Une attente qui lui avait alors semblé interminable.  Les retrouvailles avec le vieux papier grisonnant de l'Unificateur étaient un moment privilégiées, comme un retour au pays.

 

À la table du petit déjeuner, en compagnie de son père, de sa mère, de son frère.

 

- C'est celui de ce matin. 

 

Anya s'installa sur le banc jouxtant celui de Sasha, croisant les bras sur sa poitrine. Elle paraissant d'autant plus fine à la lueur timide des flammes que dehors en plein soleil.

 

- Ils sont tous rangés dans l'ordre. Fais comme chez toi. Elle l'invita en s'enfonçant contre le mur juste derrière elle.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Sasha sursauta quand le dossier fut abattu sur la table. Il jeta un coup d'oeil à Anya, supposant qu'elle était énervé par un quelconque mauvais geste de sa part, mais elle lui donna accès au dossier sans rechigner. Alors, avec des doigts qu'il ne put empêcher de trembler, il saisit la première page et la dévora des yeux.

 

Cela dura un long moment. Le papier vibrait avec ses propres mains tremblantes, et il retourna la première page, pour lire la suite.

 

Il lui semblait que son coeur tombait en lambeaux. Etait-ce l'effet de la propagande russe ou les faits réels, il n'en savait rien : le journal mettait en avant de nombreuses victoires, saluait l'héroïsme d'un général qui avait fait une percée ici, encensait l'exécution d'un traître découvert parmi les sorciers d'une milice, qui avait été exécuté. Bref, toutes les bonnes nouvelles annoncées fièrement par le journal étaient autant de lames enfoncées dans ses entrailles. Et pourtant, il ne pouvait cesser de lire : parfois, tout au bout d'un paragraphe, en tout petit, on s'affligeait de la perte de tel village aux mains des indépendantistes. Ces faits minuscules étaient les seuls auxquels il pouvait se raccrocher, fébrile.

En silence, il lut l'intégralité du numéro, sautant les passages qui ne concernaient pas le conflit de près ou de loin. Il lisait avec lenteur, parfois un index posé sur chaque ligne pour être sûr de ne rien manquer, si bien que cela prit du temps. Le silence des cachots leur conférait l'impression d'être dissimulé des regards et des oreilles du reste de Poudlard, quand bien même ils percevaient parfois la rumeur d'un groupe d'élèves qui se pressaient dans un couloir non loin d'eux. Le château se vidait de sa substance qui fuyait massivement vers Pré-au-Lard.

 

Au bout d'un moment, Sasha reposa l'exemplaire du journal, pour le poser avec délicatesse - une fois n'était pas coutume - à côté du numéro suivant. Il y en avait tout un tas, et il se figura qu'il lui faudrait la journée entière pour tout éplucher. Il ne pouvait décemment pas lire tout ça avec Anya à ses côtés. Elle avait du mal à se concentrer. Et puis, ça paraitrait bizarre. Non ?

 

Sasha tourna un instant vers elle un regard incertain. Elle était restée étrangement patiente, mue par des raisons qu'il ne pouvait pas saisir. Pourquoi s'y intéressait-elle, maintenant qu'elle y avait perdu son frère, à cette guerre ?

 

- Est-ce que... Est-ce que je pourrai venir lire, une fois par semaine ?

 

Il s'humecta les lèvres, sans la regarder, à la recherche d'une aide quelconque. Il rempilait les numéros pour cacher le tremblement de ses mains.

 

- J'ai... J'ai pas encore ma pension, c'est compliqué, donna-t-il comme explication vague. Alors en attendant... J'aimerais bien, tu vois ?

 

Elle ne voyait sûrement pas. Il décida d'enchaîner pour couper court à une conversation risquée.

 

- Tu vas y aller, toi ? Après ta dernière année d'études. Pourquoi tu irais pas ? demanda-t-il un peu sèchement - à la façon d'un interrogatoire.

 

Anya avait l'air si studieuse. Si elle était talentueuse. Elle serait fort malheureusement précieuse pour les forces russes. Or les indépendantistes perdaient. Du point de vue de ce journal, en tous les cas. 

 

- Tu devrais pas. C'est infini. Tout le monde y meurt. Je suis sûr que ton frère il aurait pas voulu, fit-il, bravache.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

La pierre permettait à la chaleur de demeurer enfermée à l'intérieur, bien qu'elle mette un temps incroyable à atteindre la bonne température. Dans les pièces inutilisées comme celle-ci, il valait ne pas l'attendre pour s'envelopper d'un enchantement corporel. Anya n'en avait pas esquissé, pourtant, se laisser transpercer par l'air glacial qui la faisait peu à peu se recroqueviller sur elle-même. Son regard perdu dans le vide, elle n'avait cure ni du silence, ni du froissement irrégulier des pages de journal que tournait Sasha. Il n'était guère surprenant de le voir si investi dans sa lecture. Lorsqu'elle avait reçu son premier numéro, plus d'un an auparavant, Anya s'était plongé à l'intérieur avec la même vivacité. Elle en avait décortiqué chaque information comme une affamée.

 

N'avait rien appris bien sûr de fascinant, mais les seuls entêtes dans sa langue natale, et les quelques avancées sur les lignes ennemis avaient suffit à lui servir de réconfort jusqu'au jour suivant, et celui d'après encore.

 

La voix de Sasha la rappelle à la réalité, et elle darde sur lui un œil presque absent avant de tranquillement hocher la tête. Il n'était pas si surprenant que le garçon n'ait pas encore touché sa pension. L'état venait en aide à ses pupilles, mais l'administration prenait son temps pour conclure chaque transaction. Les quelques lettres que plusieurs enfants cherchaient à faire parvenir en Russie étaient systématiquement interceptées, et leurs réponses parfois perdues quelque part au milieu de la manche pour Merlin sait quelle raison. L'Europe avait beau jouer son rôle de foyer d'accueil, elle n'en prenait pas moins un certain partie plutôt dérangeant qui la rendait méfiante même de gamins de la onzième à la dix-septième année. Alors Anya hausse les épaules pour toute réponse car bien sûr qu'elle voit. Ne sont-ils pas dans le même bateau ?

 

- Parle pas de ceux que tu connais pas, elle aboie brutalement en se redressant, pour mieux se lever et refermer le porte-document avec froideur.

 

Son frère n'aurait pas voulu qu'elle se batte, bien sûr, parce qu'il a toujours pensé comme leur père que sa place n'était pas sur un champ de bataille. À l'instar des autres femmes de leur pays. Il savait cependant son désir d'activement participer à l'effort de guerre, et il n'avait jamais manqué l'encourager à trouver d'autres manières de servir la nation. Anya savait que cela en passerait par des études acharnées, à Koldostoretv ou ailleurs, mais qu'ensuite elle se trouverait une place même en dernière ligne du conflit. C'était son devoir. C'est aussi ce que son père et sa mère auraient voulu. Comment osait-il remettre ça en question ? Comment osait-il lui rappeler comme tout le monde y meurt ?

 

Dressée sur ses souliers noirs, elle le fixe avec reproche, des mèches enflammées qui lui remontent jusqu'au sommet du crâne. 

 

- Je n'ai pas peur de mourir. Si c'est ce qui doit arriver, alors ce sera avec honneur. Comme mon père, comme ma mère, comme mon frère.

 

Son menton est relevé fièrement, la colère visible sur son visage pâle aussi lisse que celui d'une poupée. Le porte-document sous le bras, elle ne lui adresse pas un regard alors qu'elle s'en va sans plus de cérémonie.

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