Poudlard Le Château Salles de Cours [Terminé] Le Philtre de Paix
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Système

Maître du Jeu

Maître du Jeu , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Alison Carter a lancé un sortilège !

Sortilège utilisé : Evanesco (Sortilège de Disparition)

Difficulté du sortilège : 6

Modificateur de baguette : 0

Résultat du dé : 6 (6+0)

Réussite :

— Evanesco. Ça fonctionne. Ça fonctionne un peu trop bien puisque même le chaudron disparaît. Oup's. Alison regarde autour d'elle et s'empare d'un chaudron vide à l'arrière. Plus qu'à le remplir d'eau et croiser les doigts pour qu'elle ait le temps de mettre la poudre bleue avant de se faire repérer.

Autres résultats possibles
Réussite critique :

— Evanesco. Discret, rapide, la formule vide le chaudron qu'elle s'empresse de remplir d'eau. Plus qu'à croiser les doigts pour qu'elle ait le temps de mettre la poudre bleue avant de se faire repérer.




Échec :

— Evanesco. Stressée, elle vise au mauvais endroit et fait disparaître le flacon de mandragore liquide dans le néant. Alors, Alison saisit le chaudron pour le vider mais se brûle salement la main. Elle sert les dents en couinant doucement, mais le professeur l'a vue.




Échec critique :

— Evanesco. Rien. Pas de chance. Alison panique, en plus le professeur l'a vue. Elle déteste cette situation et commence à sentir les larmes lui monter aux yeux.





Daryl Brooks , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Le cours se passait plutôt bien jusque là. Il était clairement pas entouré des élèves les plus studieux du château, mais il s'en contentait du moment qu'ils faisaient preuve d'un minimum de tenue et de bonne foi. Difficile d'en demander davantage à des adolescents dont la capacité de concentration n'excédait pas celle d'une petite cuillère. Il ne saurait dire exactement quand tout avait commencé à partir en vrille, mais le résultat était bel et bien là : il se retrouvait avec un élève au nez cassé tandis que deux autres continuaient l'air de rien alors même que leur culpabilité ne faisait aucun doute. Poussant un profond soupir de lassitude, il interpella une élève de Serdaigle.

 

- Holloway, veuillez emmener Dixon à l'infirmerie je vous prie.

 

Le gamin était à moitié en train de geindre avec son nez entre ses mains comme s'il risquait de perdre la vie à tout moment, aussi ne se fit-il pas prier pour se laisser escorter en dehors du cachot par sa camarade. Pendant ce temps, Brooks observait Shevchen et Carter, les bras croisés, l'air totalement impassible, tandis que les deux ne faisaient qu'aggraver leur cas. L'un en mettant n'importe quoi dans la potion, l'autre en... Faisant carrément disparaître ladite potion. Et le chaudron qui allait avec. Un sourcil se haussa avec circonspection devant la scène qu'il ne pensait pas voir un jour. Les adolescents avaient la merveilleuse capacité à le surprendre chaque jour un peu plus dans l'étendue de leur connerie.

 

Et Carter ne s'arrêta pas là, allant prendre un autre chaudron pour le remplir comme si de rien n'était. C'était sans doute un peu trop pour sa patience légendaire, puisqu'il se racla la gorge pour rappeler sa présence aux deux idiots du fond de classe.

 

- Quand vous aurez fini de me prendre pour un con, hésitez pas à me le faire savoir.

 

Le ton froid et sec suffit largement à faire taire tous les murmures qui couraient dans la salle de classe. Si Brooks laissait une certaine liberté à ses élèves durant son cours, il attendait d'eux en retour un certain respect, et un peu de bon sens qui semblait échapper aux deux trouble-fêtes. 

 

- Miss Carter, faites demi-tour je vous prie.

 

Devant l'air surpris de la jeune fille, il insista d'un simple regard pour qu'elle obéisse, tournant le dos au reste de la classe. 

 

- Avancez tout droit. Encore. Encore. Bougez-vous un peu le cul, on va pas y passer la journée.

 

Il la fit ainsi avancer jusqu'au mur de fond de salle. 

 

- A gauche, maintenant. 

 

Et c'est ainsi qu'Alison Carter se retrouva au coin. 

 

- Mains sur la tête, et en silence. Monsieur Shevchen, même chose, de l'autre côté. Le premier qui l'ouvre j'lui fais boire la potion de Grimfire. 

 

Ledit Grimfire était sans doute le pire élève de la classe à mettre devant un chaudron. Un genre de danger public reconnu, mais qui avait le mérite de faire ce qu'il pouvait malgré une limitation très certaine.


Sasha Shevchen , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Sasha ouvrit grand les yeux, fixant l'emplacement vide où s'était tenu, l'instant précédent, un chaudron plein d'un liquide rose. Alison n'eut pas l'air tant affolée que ça, passant déjà à l'étape suivante qui consistait... A remplacer le chaudron par un autre. Il la regarda faire, hébété, jusqu'à être interrompu par le professeur.

 

Ca, il s'y était attendu. Sasha fronça le nez, se consolant de la vision tout de même satisfaisante de voir le Serpentard qui couinait toujours s'échapper vers l'infirmerie avec, même, une aide pour trouver son chemin. Ces anglais, c'étaient de vraies fillettes. Certes, c'était un cours raté, il en avait bien conscience, mais ce serait aussi désormais clair pour les cinquième années qu'il n'était pas de bon ton de venir se frotter à lui - et encore moins de le désigner comme un Russe.

 

Pendant le petit tour que le professeur fit réaliser à Alison, Sasha resta silencieux, la regardant exécuter le petit numéro, non sans une pointe de peine pour elle : probablement qu'il y était pour quelque chose dans le sort qu'elle était en train de subir. En ce qui le concernait, il ne se sentait pas plus que cela humilié : des sanctions idiotes, il en avait vécues d'autres, et des bien pires que celles-ci. Alors il s'exécuta, non sans un dernier coup d'oeil d'avertissement aux deux Serpentards devant lui qui avaient le bon goût, cette fois, de rester silencieux.

 

 

 

 

Regarder la pierre sombre et froide des cachots, les mains sur la tête et pendant près d'une heure, c'était certes long. Mais Sasha prenait l'exercice plutôt tranquillement : il avait glissé ses doigts les uns dans les autres, pour maintenir sans efforts ses paumes sur ses cheveux, et par moments ses yeux se fermaient, presque somnolent, et il était obligé régulièrement de prendre une grande inspiration pour se réveiller, histoire de ne pas risquer de faiblir et s'endormir sur place. C'était le genre d'exercice qui lui rappelait un peu ceux, stupides, qu'on lui faisait parfois faire pendant son entraînement, quand il s'était engagé auprès des Veilleurs : attendre immobile dans un bain d'eau froide, tenir suspendu par les mains à une échelle le plus longtemps possible, et toutes ces joyeusetés qu'ils avaient tant critiqué avec les camarades qui avaient eu la même idée folle que lui : s'engager beaucoup trop tôt dans leur vie. Il lui venait de ces souvenirs une drôle de nostalgie. Aussi, même s'il glissait de temps à autre un regard vers Alison, le temps passa pour lui visiblement plus vite que pour elle : il devinait dans ses traits la consternation et la rougeur, si bien qu'à un moment, il crut même qu'elle allait abandonner. Pourrait-elle faire une chose stupide et faible, comme se retourner et se mettre à pleurer que ce n'était pas elle, mais lui qui était à l'origine de tous leurs problèmes ?

 

Sasha regarda le mur, avant de jeter de nouveau un coup d'oeil vers Alison. Cette fois-ci, il la regarda longtemps, attendant patiemment le moment où elle jetterait elle aussi un regard vers lui. Au bout d'un moment, cela arriva effectivement. Leurs regards se croisèrent, et Sasha se rendit compte qu'il ne savait pas comment l'encourager : l'expression de son visage resta figé. Il se contenta de soutenir le regard de la jeune fille, de la façon la plus neutre possible, pour qu'elle ne détournât pas immédiatement ses propres yeux. Alors, il bougea lentement le poignet : le reflet de sa montre dessina une tâche qui courut vers Alison, qui s'éloigna aussitôt. Il recommença en suivant la tâche du regard, pour qu'elle en fît autant. Est-ce qu'elle l'avait enfin vue ? Il haussa les sourcils en une question.

 

Puis, comme elle fronçait les siens mais qu'elle avait suivi des yeux la tâche dorée qui courait sur la pierre, il actionna de nouveau son poignet. Une longue fois, puis deux fois plus rapidement. Trois fois rapidement. Une fois rapidement, une fois longue, deux fois rapidement.

 

Il savait bien qu'il n'avait aucune chance qu'elle comprît ce qu'il était en train de faire. Mais enfin, ça l'occupait. L'heure d'attente était presque terminée.

 

 

 

 


Alison Carter , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

— But sir, I wanted- Intransigeant, le professeur pousse Alison dans ses retranchements sans la moindre pédagogie. Elle fixe d'abord Monsieur Brooks comme une idiote, incertaine de comprendre ses intentions. Par Merlin, qu'est-ce qu'il lui prend de l'afficher devant toute la classe comme ça ?! Rouge de honte, la sorcière s'exécute jusqu'à rejoindre le mur où elle ne peut s'empêcher de jeter un œil à l'enseignant, pensant qu'il va se raviser. Mais non. Voici Alison au coin, rabaissée plus bas qu'une gosse de 10 ans. Les mains sur sa tête, elle réalise qu'il aurait mieux fallu demander au potionniste l'autorisation de jeter le contenu du chaudron plutôt que d'essayer de le faire disparaître. Encore une fois, la fierté d'Alison a eu raison d'elle.

 

Ses joues flambent face à la pierre humide du cachot. Elle se sent bête, elle supporte mal l'humiliation. Derrière eux le tapage des fioles reprend tandis que les élèves tentent de garder le fil de la recette pour fabriquer un philtre de paix. Dans l'esprit d'Alison, c'est tout sauf la paix. Le ridicule de la situation tourne en boucle autour de ses tempes battantes. Elle vacille légèrement, les larmes aux yeux. Hors de question qu'elle pleure ici ! Relevant son menton, Alison inspire et expire lentement, la bouche tremblante. L'autorité de ses parents était si relative qu'elle n'avait jamais vécu ça avant aujourd'hui. Bientôt ses bras s'engourdissent et l'adolescente hésite à clamer son innocence. Certes, elle a fait disparaître le chaudron, mais Sasha est coupable du reste. Elle voulait seulement réparer sa bêtise pour éviter un Piètre ou un Désolant. Maintenant ils vont sûrement avoir un Troll. Cette pensée libère une grosse larme qui roule sur la pommette écarlate d'Alison.

 

"M'sieur Brooks est un gros con", se répète-t-elle, vexée que le professeur n'ait pas su faire la différence entre sa volonté de recommencer la potion, et le sabotage grotesque de Sasha. Quant à lui, "il peut aller se faire foutre pour que j'gâche mon année à cause de son caractère de merde", rumine la sorcière intérieurement. C'est alors qu'elle sent le regard du Russe (qui n'en est plus un, visiblement) peser sur elle. "Quoi ?", interrogent les yeux humides d'Alison.

 

Bien sûr, elle ne comprend rien aux éclats de lumière envoyés par Sasha. Bien sûr, elle se demande encore pourquoi il est allé la défendre si rapidement après l'imitation grossière de son camarade. Peut-être qu'elle devrait mettre un terme à cette idée de petit-ami. Les filles savent parfaitement se faire des suçons entre elles.

 

Alison passe le dernier quart d'heure à ressasser en fixant devant elle, muette et immobile, déterminée à ne pas offrir une autre chance au professeur de l'humilier. Quand enfin le brouhaha de fin des cours envahit la salle puis s'estompe, elle laisse tomber ses bras mais reste face au mur, le corps tétanisé par l'effort. Il lui faut quelques longues secondes pour essuyer son visage, inspirer, lisser sa frange, et enfin heurter le regard de Monsieur Brooks en ignorant celui de Sasha. On peut deviner qu'elle a pleuré, même si elle parle la tête droite, en se tenant les bras.

 

— J'ai compris. J'recommencerai pas. J'voulais pas perturber la classe. 


Daryl Brooks , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Le calme était revenu dans la salle de classe, permettant à Brooks de reprendre son cours correctement, et d'aider les étudiants les plus en difficulté. Il ne prêta plus la moindre attention aux deux qu'il avait puni, estimant qu'ils avaient perdu suffisamment de son temps jusqu'à présent. Lorsqu'il libéra enfin le reste de la classe, il regarda les deux adolescents qui restaient devant lui, assis à son bureau, les bras croisés, gardant quelques secondes de silence pour les toiser un à un.

 

Si le garçon ne semblait pas plus perturbé que cela, Carter, elle, avait bien compris la leçon, à n'en pas douter. Lorsqu'elle prit la parole, il ne répondit pas tout de suite, comme s'il prenait le temps de réfléchir, ou de décider s'il pouvait ou non la croire. Finalement, il poussa un soupir emprunt d'une lassitude évidente.

 

- A la bonne heure, répondit-il finalement avec un enthousiasme simulé.

 

Il tapota un instant ses doigts sur le bois du bureau avant de se redresser, pour commencer à ranger les fioles des potions étiquetées qui encombraient son bureau d'un mouvement de poignet, afin qu'elles aillent se ranger en quelques cliquetis dans l'armoire dédiées aux concoctions des élèves, qu'il noterait plus tard dans la soirée. Il était évident que Carter avait pleuré. Le professeur ne s'attendait pas à une telle réaction, et après un nouveau soupir, il décida de se montrer moins intransigeant qu'à son habitude.

 

- Vous reviendrez ici après le dîner. Tous les deux. Et vous me ferez ce fichu philtre de paix, lâcha-t-il en passant son regard de l'un à l'autre pour s'assurer que cette consigne était bien claire.

 

Ainsi, ils seraient notés, et ne se retrouveraient pas avec un Troll dans leurs moyennes respectives pour potion non rendue. 

 

- Oh, et s'il vous reprend l'idée de confondre ma salle de classe avec une cour de récréation vous prendrez la porte. C'est clair ? Allez, barrez-vous, les congédia-t-il d'un geste de la main en direction de la porte.


Sasha Shevchen , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Devant le professeur, Sasha était plutôt serein. Les enseignants de Poudlard avaient les punitions légères à son goût. Certes, il n'aimait pas le regard des autres et les humiliations ; mais cette fois-ci, avoir emporté avec lui le nez d'un autre garçon compensait suffisamment pour qu'il se sentît plutôt tranquille face à Mister Brooks. Il jetait de temps à autre un coup d'oeil vers Alison. Elle avait le nez et le blanc des yeux rouges. Est-ce qu'elle avait vraiment pleuré pour une simple punition ?

Sasha évita de lever les yeux au ciel et se reconcentra sur le professeur. Il avait mis ses mains dans ses poches. Lui aussi avait mal aux bras, aux épaules en particulier, mais Veles irait tondre les nuages le jour où il l'admettrait.

 

- Ok, Sir, fut le seul commentaire de Sasha à l'attention de Brooks - et lorsque ce dernier leur indiqua la porte, il en prit la direction à la suite d'Alison d'un pas tranquille.

 

Le couloir froid qui courait entre les cachots les accueillit d'un silence lugubre. Les flammes qui ornaient régulièrement la pierre pour maintenir une luminosité tamisée ne parvenaient pas à chasser l'humidité et l'austérité des lieux. Alison avait le pas vif - à cause du froid ou d'autre chose, qu'en savait-il ?

Sasha pressa le pas pour ne pas se laisser distancer. Accéléra même jusqu'à la dépasser un peu, histoire de pouvoir lui parler tout en jetant des coups d'oeil vers son visage fermé - si c'était possible. Il ne savait pas pourquoi, mais ces rougeurs autour des traits juvéniles d'Alison attiraient son regard d'une manière insolite. Comme lorsqu'on voit, pour la première fois, une chenille aux couleurs fluorescentes : anormale, repoussant et fascinant à la fois. Sauf qu'il ne pouvait décemment pas la scruter de façon trop évidente. De toutes façons, les lueurs vacillantes des cachots ne lui permettaient pas, comme dans la salle de classe, d'apercevoir les détails qu'il avait entrevus plus tôt.

 

- T'as dit qu'il fallait que je m'assois pour manger avec toi des fois. Je fais ça maintenant ou il faut pas ?

 

Il avait toujours ses mains dans ses poches. Sasha ralentit soudain l'allure, fronçant le nez à la vue de ce qui les attendaient en haut d'une volée d'escaliers censée les ramener dans le hall : la brochette était là, attendant patiemment le dernier petit morceau au caramel qui la complèterait.

 

(Il faisait faim. Il fallait dire qu'au bout des cachots, à droite avant l'escalier, il y avait le chemin qui conduisait aux cuisines, et il remontait par le couloir une odeur de jambon grillé qui lui tordit l'estomac. Il en aurait jappé d'envie, mais ça n'aurait pas été correct.)

 

Sasha avait ralenti plus encore : les morceaux de viande s'étaient toutes retournées pour scruter leur arrivée avec force de chuchotements scandalisés, qu'elles cachaient mal derrière leurs petites mains délicates. Le Gryffondor ne put s'empêcher de glisser plus près d'Alison pour parler à voix basse.

 

- Tu devrais pas leur montrer que t'as pleuré, il gronda doucement, comme s'il n'avait pas eu besoin de bouger les lèvres pour s'exprimer, comme un ronronnement à peine perceptible dans l'allée des cachots.

 

Puis, comme on aurait refermé la visière d'une armure pour être mieux protégé, Sasha enfonça ses mains encore plus profondément dans ses poches et carra les épaules, y rentrant légèrement la tête, le visage fermé. La grande blonde le regardait avec une lèvre légèrement soulevée par la répugnance et pour lui signaler qu'il avait remarqué cette déformation disgracieuse de son visage, Sasha la fusilla du regard en s'arrêtant au bas des marches.

Il attendrait qu'Alison débutât l'ascension avant de suivre. Hors de question de s'approcher de ce chapelet-là de bonne volonté.

 

 


Alison Carter , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

— Merci Professeur, répond à son tour la sorcière en hochant la tête avant de quitter la salle d'un pas rapide, impatiente d'être loin de cette maudite classe. "Deux cours avec ce débile et deux catastrophes", elle rumine, les joues toujours rouges, la bouche pincée. Pourquoi les choses sont-elles si différentes entre la théorie des magazines et sa réalité ? Alison réalise qu'elle possède un contrôle relatif des évènements, contrairement aux récits qu'elle lit. C'est frustrant.

 

La question du Gryffondor brise son ressassement et l'étudiante semble presque surprise de l'entendre parler. Hein ? Là ? Tu rêves ! Premièrement, Alison saute un déjeuner sur deux depuis sa puberté, sinon elle gonflerait comme un ballon. Deuxièmement, dans quel monde pense-t-il qu'elle veuille encore voir sa tête après ça ? Sa bouche dessine une moue boudeuse jusqu'aux abords des escaliers où ses copines l'attendent.

 

Elles ont parfaitement eu le temps d'entamer des théories à propos de la manière dont Sasha est venu si brusquement l'embrasser tout à l'heure, elle le sait, elle les connaît. Elle entend leurs commérages à longueur de journée, s'en régale, et participe volontiers lorsqu'il ne s'agit pas d'elle.

 

Alison croise le regard attentif des filles, puis du Gryffondor qui lui murmure un truc. Il a raison, c'est le moment d'anéantir les ragots et faire taire ses amies. Elle inspire, trouve sa détermination au fond d'une tête butée mais ambitieuse, et sans réfléchir, plonge sa main fraîche dans la poche du garçon pour en sortir la sienne, qu'elle serre fermement.

 

D'abord, le contact des doigts rugueux et abîmés de Sasha dégoûte Alison, seulement son pied est déjà sur la première marche, alors elle ne compte pas le lâcher. Elle avale sa salive et force un sourire faussement affligé à l'intention des vipères. Déso, on a un peu traîné... Comme l'assemblée scrute leurs moindres gestes et qu'ils arrivent en haut de l'escalier, Alison fait glisser ses phalanges entre celles de Sasha avec une nervosité que seul lui pourra ressentir.

 

— Bon, il a dit quoi Brooks ?

— Rien, il sait que Sasha est un peu "sauvage", tu vois. Mais c'est normal quoi, vu d'où il vient. Il nous laisse refaire la potion ce soir.

— Anh ouais ?
— Ouais.

 

Elles n'en pensent pas moins. La rousse peut lire le doute dans les yeux fardés de sa bande de copines qui observe l'Ukrainien, puis elle, puis leurs mains liées, puis leur posture générale. Claquant sa langue au palais, la jeune femme cherche une porte de sortie. Bon, nous on n'a pas faim, on a autre chose à faire, mh ? sans laisser à Sasha le temps de répondre, elle se hisse et dépose un baiser du bout des lèvres sur sa mâchoire, et papillonne des paupières. À tout', les biatchs ! Elle l'entraîne alors le long d'un corridor interminable où ils vont devoir "faire semblant" pendant une éternité au moins sous le regard traînant de la brochette. Mais sans vraiment qu'elle s'en rende compte, ses doigts se sont plutôt bien calés entre ceux du garçon. Maintenant qu'elle le réalise, Alison rougit. 

 

— J'savais pas que t'étais Ukrainien. T'aurais pu le dire quand ils t'ont présenté comme un Russe.

 

Enfin, dès qu'ils tournent à l'angle du couloir, elle s'éloigne de lui.

 

— Bon, tu vas où tu veux mais tu te montres pas avant vingt minutes. Et sois pas en retard ce soir. 


Sasha Shevchen , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

Passée la surprise et le léger sursaut dû à l'assaut d'Alison dans sa poche, Sasha avait eu l'impression que la main de la Serpentard était minuscule dans la sienne. Il n'osait plus vraiment bouger. Avait-il toujours les doigts aussi moites ? Est-ce qu'elle tremblait ou il se faisait des films ? Tant d'émotion pour une simple retenue, vraiment, Sasha se demandait dans quel genre d'univers enchanté Alison avait pu grandir pour être autant bousculée pour si peu.

Devant les filles, il resta aussi silencieux et morne qu'une bûche de bois devant la cheminée, comme s'il n'avait d'autre possibilité que d'attendre son destin fatal. Sa seule réaction fut de décocher lentement un regard vers Alison après le mot sauvage.

 

Heureusement, cette dernière emporta le Gryffondor avant qu'il n'eût le temps de dire quoique ce fut, parce qu'enfin une émotion pouvait se lire sur son visage : malgré le baiser (hypocrite) qu'il venait de recevoir, une surprise catastrophée, ou quelque chose de ce goût, avait agrandi ses yeux et entrouvert ses lèvres. Comment ça, on n'a pas faim ?!

Bougon, Sasha suivit néanmoins la jeune fille, le coeur déchiré à chaque mètre qui s'ajoutait inéluctablement entre lui et les tranches de jambon grillé qu'il comptait empiler dans son assiette.

 

- Ben j'espère qu'il va en rester, maugréa-t-il.

 

Alison gardait sa main dans la sienne, un peu bizarrement. Et le silence qu'ils se traînèrent jusqu'à l'angle du couloir lui sembla inconfortable - tandis que son cerveau, lui, traitait avec lenteur les informations qu'Alison avait donné à ses amies. Quand elle lâcha sa main subitement, il fit disparaître la sienne rapidement pour la remettre à sa place : dans sa poche, où on ne pourrait plus la voir. Il haussa les épaules.

 

- Ben maintenant tu sais, il grommela, renfrogné. Pourquoi, ça change quelque chose ?

 

C'était correct de faire semblant de sortir avec un Russe, mais pas un Ukrainien ? semblèrent brûler d'ajouter ses prunelles susceptibles ; mais en face, Sasha rencontra surtout une parfaite indifférence. Savait-elle au moins ce qui existait en dehors de son Royaume ? Autant laisser tomber.

Elle était prête à partir, de toute façon. Pour sa part, il resta planté là, interdit.

 

Silence.

 

- Que vingt minutes ? Ca fait pas un peu...

 

Ses yeux allèrent de droite à gauche, comme si c'était évident. Visiblement, ça ne l'était pas. Il baissa la voix pour poursuivre.

 

- ... Un peu bâclé, quoi ?

 

Le crépitement des torches qui bordaient le couloir meublèrent le silence suivant. Une série de cavaliers et leurs cheveux trottaient dans un tableau au-dessus de leurs têtes, passant et repassant entre des champs jaunis par les blés, le cliquetis des armures lointaines couvrant ici la rumeur des élèves qui s'entassaient dans la Grande Salle pour dévorer les plats.

Le visage de Sasha s'illumina.

 

- Je vais aller directement aux cuisines, il dit comme s'il avait eu une révélation. On n'a qu'à manger là-bas, comme ça on peut prendre le temps, ça les laissera s'imaginer quelque chose d'un peu moins... un peu moins...

 

Merde, le mot lui venait pas. Le seul mot qui lui venait était celui qu'elle avait prononcé elle-même : sauvage. Mais ce n'était pas ça qu'il cherchait.

 

- Un peu moins... Tu vois quoi.

 

De toute évidence elle ne voyait pas, parce qu'Alison voyait des choses qui n'existaient pas dans son monde à lui, et inversement. Comme par exemple des choses pour lesquelles il était perpétuellement coupable et dont lui n'avait jamais entendu parler. Il perdit patience.

 

- Ben sale, quoi !

 

Le cliquetis des armures s'apaisa : le commandant en chef des armées avait décidé d'une halte. Les soldats attendaient dans le silence, leurs drapeaux flottant au vent, et le silence sembla incongru au Gryffondor qui fit claquer sa langue sur son palais. Leurs conversations de sourd ne lui semblaient qu'être une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, qu'ils ne pouvaient pas se comprendre.

 

- Enfin moi j'm'en fous après tout, puis au pire ça entretiendra ta réputation exotique de te taper un sauvage, hein. Donc tu fais comme tu veux, moi j'vais chercher quelque chose à me mettre sous la dent.

 

Sans autre forme de procès, Sasha tourna les talons et s'éloigna dans une autre de ces longues galeries de Poudlard, au décor enchanteur. Poudlard était un drôle de labyrinthe dont il avait fini par comprendre le plan principal, mais où il subsistait tout un tas de recoins qui n'attendaient que d'être explorés. Il avait d'ailleurs entendu dire qu'on pouvait atteindre les cuisines par les deux entrées des cachots, de part et d'autre des couloirs qui encerclaient la Grande Salle. Même s'il ne trouvait pas de quoi manger tranquillement, cette exploration ne lui apporterait que des informations importantes pour le reste de l'année ici, et il n'aurait pas perdu son temps à risquer l'inanition pour la réputation d'une fille qui le traitait de sauvage.

Sasha s'enfonça dans le couloir d'un pas étrangement léger et rapide malgré sa carrure trapue. On aurait dit un chasseur longeant les murs, espérant être le seul à capter la proie qui se tapirait à l'angle du corridor suivant.


Alison Carter , Devant et dans la salle de potions, le 21/09/2124

— Bin ça change que t'es pas Russe, t'es Ukrainien, rétorque Alison en haussant ses épaules qu'elle recommence à masser en descendant vers ses biceps endoloris par la punition. En face d'elle, Sasha boude comme un ours mal léché, indifférent aux courbatures de leur longue torture. J'm'en fiche, juste pourquoi tu l'dis pas quoi ? T'as peur des Russes de l'école ? Ça lui semble absurde, à l'adolescente qui lit la guerre dans les tabloïds sans en mesurer réellement les conséquences.

 

L'incongruité s'éternise avec les prochaines paroles du Gryffondor, bien loin des préoccupations d'Alison. Vingt minutes, c'est pas assez ? Elle ouvre sa bouche mais la referme, dorénavant certaine qu'il connaît des choses qu'elle ignore sur les relations homme-femme. Vingt minutes, c'est sale ? La sorcière cogite, ses bras croisés sous sa poitrine, l'air renfrognée à son tour alors que Sasha détruit ses plans en quelques mots. Me "taper un sauvage" ?! O.M.G. t'as rien compris ! Elle rit nerveusement, détournant son regard vers l'angle du couloir par lequel ils sont arrivés, anxieuse qu'on puisse les voir se quereller. Mais Sasha s'éloigne déjà.

 

La rousse demeure stoïque pendant de longues minutes, avec pour seul mouvement de lisser sa frange. Elle aussi a faim. Sauf que contrairement à Freya qui reste fine comme un botruc en toute circonstance, Alison grossit. À quatorze ans, elle a pris des cuisses, des hanches, des seins, et surveille depuis sa ligne scrupuleusement. Frustrée par la situation, vexée de sentir les choses lui échapper, soucieuse de croiser ses amies, l'adolescente remonte sa capuche, s'enfonce dans des couloirs peu fréquentés du chateau, et ne revient qu'au bout d'une heure. 

 

Un heure, c'est assez ?

 

Elle éternue tout l'après-midi, persuadée d'avoir attrapé un coup de froid en traversant plusieurs fantômes errant sur son passage.

 

Soudain sa récompense surgit au détour d'une ogive voûtée, vers 17h. Alison Carter, je t'inviterai au bal de Noël si tu lâches ce con de Shevchen ! Un Gryffondor de sixième année l'interpelle, visiblement déjà informé des évènements du matin. Il la suit quelques minutes, le temps pour elle de savourer cette première petite victoire dans le domaine. Mh, j'sais pas. J'vais réfléchir, répond-elle avec assurance, feignant la nonchalance alors que sa poitrine tambourine. Enfin des mecs plus vieux la convoitent ! Le plan fonctionne !

 

Au dîner, on l'aperçoit bavasser vivement à table, réinventant les évènements du jour à son avantage, sa petite sœur près d'elle. 

 

C'est donc un sourire rafraîchi posé sur ses lèvres qu'Alison rejoint les cachots et retrouve l'Ukrainien plus tard. Salut Sasha, prêt à avoir ton premier Optimal en potion ? De bonne humeur, elle fait preuve de pédagogie pendant leur rattrapage du Philtre de Paix. Aussi sérieuse et studieuse que la sorcière sache l'être, elle guide son partenaire vers l'excellence sous l’œil du professeur qui inspecte les fioles rendues dans ses différents cours de la journée. À la 18ème étape, quand le liquide laisse échapper une fumée argentée, Alison soupire de soulagement. 

 

— Voilà ! On a réussi normalement. Les deux étudiants quittent la salle de classe après avoir tendu à Monsieur Brooks un échantillon tout à fait convenable du Philtre de Paix. Entre les torches vacillantes des cachots, la jeune femme se sent légère, comme si elle venait d'en boire une gorgée. Alors qu'ils approchent du mur menant à la salle commune des Serpentard, son aveux brise le silence. Au fait, t'avais raison, une heure, c'est mieux. C'est moins exotique, reprend sa bouche étirée par un sourire gêné qu'elle contient mal. 

 

— Ali-chérie, putain, il vous a enfin lâché ! Viens, on a un truc de fou à te dire !

— Ouais j'arrive.

 

Elle lève ses yeux vers Sasha. Bonne nuit du coup.

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