Poudlard Le Château Salles de Cours [Terminé] Les cauchemars

Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

— Papa- euh, Monsieur !

— Oui ma fille ?

 

L'hilarité générale avait dessiné deux plaques écarlates sur les joues de la jeune Charlie Carter. Elle ne riait pas. Elle avait même failli pleurer, les yeux brillants et baissés sur son parchemin jusqu'à la fin du cours, ses cheveux disposés comme deux rideaux de chaque côté de son visage pour la protéger du monde extérieur.

 

La classe s'est vidée et Charlie n'a pas bougé. Assise là, elle a vaguement remballé ses affaires le temps de chercher ses mots pour s'adresser au professeur de potions. Monsieur Brooks ? Le traumatisme lui donne un ton plus hésitant que d'habitude. Charlie se lève, vêtue d'une jupe trop grande ayant appartenu à la cadette des Carter, Alison, qui lui arrive sous les genoux et lui donne l'air d'être mal habillée. Elle fait cependant une taille correcte pour une fille de 13 ans et demi. Elle n'est pas ridicule par rapport aux autres élèves de troisième année.

 

Son sac à l'épaule, la pré-adolescente avance vers le bureau de l'enseignant en ouvrant et refermant la bouche comme une truite qui hésiterait à parler. Eumh. Monsieur Brooks peut se montrer abrupt parfois, et hier elle entendu sa sœur dire que c'était un gros con. Alors Charlie tergiverse. J'sais que vous nous avez dit que les potions qu'on fait en classe sont pas jetées, si elles sont bonnes, bien sûr. Un sourire fugace remue ses tâches de rousseur quand la sorcière fixe son professeur, rassurée du chemin qu'elle prend pour énoncer sa demande.

 

À bien y regarder, ses yeux sont cernés, la peau pâle de son visage laissant transparaître sa fatigue comme un parchemin devant une bougie. Moi j'me demandais s'il y aurait pas un peu d'Elixir de Paix en trop depuis hier. J'sais qu'vous en avez fait avec les cinquièmes années. L'information était arrivée aux oreilles de Charlie en écoutant sa sœur parler du manque de pédagogie de l'enseignant alors qu'elle venait réclamer du réconfort à la table des Serpentard. 

— En fait normalement ma grande sœur m'en achète des petites fioles et me les envoie par hibou. 

 

Son autre sœur, Freya. Mais la plupart des membres du corps professoral de Poudlard connaissent bien la situation des Carter. D'ailleurs, beaucoup connaissent Owen Carter, l'ancien poursuiveur de l'équipe nationale d'Écosse dont la marque Owen Quidditch Carter sponsorise toujours les équipements de l'école. Bref, Charlie est plantée là, hésitante. Eumh, elle va m'en renvoyer bientôt mais j'en ai plus parce que j'en ai donné à Millicent et sa copine. Pas malin, ouais, elle sait. Elle sourit encore au potionniste pour dédramatiser, puis laisse s'étirer un silence avant d'avouer. 

 

— En fait j'fais des cauchemars à cause d'mon père qui s'en va tout le temps. 


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Alors que Charlie Carter se dirigeait vers son bureau, Brooks avait déjà oublié le lapsus de la gamine. C'était le genre de choses qui arrivaient régulièrement en tant que professeur, notamment auprès des plus jeunes. Il fallait dire qu'ils étaient bien loin de leurs familles et de leurs parents à Poudlard, et qu'ils se raccrochaient à ce qu'ils pouvaient afin de conserver quelques repères. Ce qu'il n'avait pas oublié, cependant, c'était la réaction de la jeune fille. Il avait bien vu ses joues rouges, ses yeux bien trop brillants. Et il préférait éviter de faire pleurer les deux Carter en deux jours, aussi retint-il tout commentaire cynique concernant le temps qu'elle mettait à en arriver aux faits.

 

Et grand bien lui en prit, parce que la plus jeune des Carter avait visiblement besoin de bienveillance plus que d'autre chose, et tandis qu'elle s'ouvrait à lui il fit venir une chaise d'un geste de la main afin qu'elle puisse s'asseoir en face de son bureau.

 

- Vous savez que le philtre de paix n'a que peu d'effets sur le long terme ? demanda-t-il tranquillement en ne détournant pas un seul instant son regard de la petite fille.

 

Et c'était sans compter sur l'addiction qui pouvait en découler. Certains pensaient que les potions étaient sans aucun danger, et n'hésitaient pas à en user à tort et à travers. Or, n'importe quel médicomage digne de ce nom ne voyait là qu'une automédicamentation dangereuse et un peu trop banalisée. Exactement comme celle dont lui faisait part Charlie Carter. Treize ans, et déjà soumise à une prise régulière de philtre de paix pour pouvoir dormir. Les cernes sous ses yeux et ses traits tirés en disaient longs sur les nuits courtes qu'elle avait passées en se passant de sa potion. 

 

- J'écrirai à votre soeur. Je ne pense pas que vous laisser prendre régulièrement un philtre de paix soit une bonne idée. Bientôt vous ne pourrez plus dormir du tout sans en prendre. Ni même vous sentir apaisée sans un artifice. Vous êtes trop jeune pour vous rendre esclave de ce genre de potion qui influe sur votre comportement.

 

Comportement qui était d'ailleurs en cours de changement grâce aux merveilles de l'adolescence. Il réfléchit un instant, avant de faire signe à la jeune fille de le suivre.

 

- Venez dans mon bureau, j'ai peut-être de quoi vous aider.

 

La pièce était attenante à la salle de classe, et paraissait ridiculement petite à cause de toutes les étagères sécurisées encombrées de fioles qui s'y trouvaient. Il fit alors venir à lui une fiole au bouchon qui s'ôtait, pour laisser apparaître une pipette.

 

- C'est une potion de sommeil sans rêve. L'effet est immédiat, expliqua-t-il. Vous pourrez en prendre ce soir, à l'infirmerie. Et uniquement ce soir.

 

Il fallait en effet que cette petite se repose pour de bon. 

 

- Mais, Charlie, les potions du genre ne peuvent que masquer ce qui ne va pas pendant un petit temps. Ce qu'il vous faut réellement, c'est agir à la base du problème. Si vous avez besoin de parler, tous les adultes du château sont là. Je suis là, précisa-t-il avec sérieux. Il n'était peut-être pas le professeur le plus connu pour venir en aide à ses étudiants. Mais en aucun cas il ne les laisserait seuls face à leurs problèmes. 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Elle s'attendait à ce qu'il accepte et lui donne l'élixir, ou encore à ce qu'il refuse et la congédie, mais pas à ce qu'il veuille discuter. Charlie acquiesce, suivant attentivement des yeux la gestuelle de son professeur qui lui explique les effets secondaires de telles potions prises quotidiennement. Comme beaucoup de jeunes, elle peine à se projeter dans le futur et ne comprend pas très bien l'inquiétude de Monsieur Brooks.

 

— C'est pour faire partir les mauvaises pensées et faire venir les bonnes. Ma sœur a dit qu'on peut faire comme ça en attendant pour la rentrée et que pendant les vacances de Noël on va chercher une meilleure solution.

 

Charlie hausse les épaules, donnant toute sa confiance à Freya qui s'occupe d'elle à temps partiel depuis ses 4 ans et à temps presque plein depuis qu'elle en a 7. C'est un vrai potionniste qui les prépare, c'est pas ma sœur parce qu'elle a peur de se tromper. Empoisonner Charlie pour une erreur de dosage ? Non merci.

 

Bientôt la fillette se retrouve dans le bureau de Daryl Brooks, le bleu de ses yeux reflétant les centaines de flacons qu'elle observe silencieusement jusqu'à fixer son regard sur la fiole. Sommeil sans rêves ? Mais dormir sans rêver, c'est un peu comme être mort Monsieur Brooks, non ? Elle n'a jamais dormi sans rêver, du plus loin qu'elle puise s'en rappeler. L'élixir de Paix dessine un joli monde à Charlie, où elle peut imaginer les membres de sa famille réunis, et même sa mère dont elle se souvient du visage seulement grâce aux photos. 

 

— Ce sera comme "vide", dans ma tête ? Impossible à concevoir. Et si son esprit tombait au fond du vide, et que personne ne puisse la réveiller ? Ses sourcils dessinent une vague anxieuse alors qu'elle fixe l'homme probablement habitué aux remarques farfelues de Charlie Carter. L'année dernière, elle avait déjà retourné le cerveau de toute sa classe en cours théorique avec ses questions singulières sur les limites du polynectar. Est-ce que j'vais perdre mes rêves ? J'en ai que j'aime bien et des fois j'y retourne, j'aimerais pas qu'ils disparaissent. Elle sourit brièvement, gênée d'avoir trop parlé. 

 

Ses mains se joignent devant elle, ses phalanges entremêlées et ses joues qu'elle aspire pour s'empêcher de laisser sortir son flot de pensées. Alors Charlie acquiesce poliment.

 

— J'sais Professeur. Mais moi j'ai pas l'droit de parler de mon père à quelqu'un. Ma sœur veut pas qu'on fasse ça.


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Brooks fronça les sourcils en entendant les explications de la gamine. Lui donner un philtre de paix pour qu'elle dorme en attendant de trouver mieux à Noël, il avait rarement entendu connerie si énorme. Si la situation familiale des Carter n'échappait guère au professeur, jusqu'ici il n'avait jamais jugé utile d'y creuser. Mais là, la gamine était carrément mise en danger par l'ignorance de sa grande soeur, et il ne pouvait laisser les choses ainsi. Par chance, ils faisaient tout de même appel à un vrai potionniste. Manquerait plus qu'ils se contentent du premier fournisseur louche du coin. 

 

Il ne prit cependant pas la peine d'expliquer quoi que ce soit à la gamine. Elle était trop jeune, et elle n'était sûrement pas celle à blâmer. En revanche, ce qu'il pouvait lui expliquer c'était la façon dont fonctionnait la potion de sommeil sans rêve.

 

- Vous serez bien vivante, Miss Carter. La potion va faire l'effet d'un somnifère. Quelques minutes après l'avoir bue, vous vous endormirez, et vous ne rêverez pas pour cette nuit-là. Pas de rêve, donc pas de cauchemars. Un sommeil réparateur, pour que vous soyez en pleine forme demain. Vous ne vous en rendrez même pas compte. Il y a bien des nuits où vous ne vous souvenez pas d'avoir rêvé, non ? C'est pareil.

 

Les interrogations de la petite fille mettaient en avant son jeune âge. Et Brooks ne pouvait qu'espérer qu'elle reste innocente encore longtemps. C'était, après tout, quelque chose qui avait tendance à manquer dès lors que ça avait disparu, sans pour autant qu'on puisse en estimer la précieuse valeur lorsqu'on la possédait encore. Le fait, cependant, qu'elle refuse de parler de son père sous prétexte que sa soeur ne l'y autorise pas laissa le professeur perplexe quelques secondes.

 

- Votre soeur ne veut pas que vous parliez de ce qui vous tracasse alors même que cela pourrait vous permettre d'aller mieux ? Êtes-vous sûre d'avoir bien compris, Miss Carter ? Je doute fort que votre soeur ne place pas votre bien-être au-dessus de tout le reste, n'est-ce pas ?

 

Il devait absolument se renseigner un peu plus sur la dynamique familiale. Si la soeur aînée n'avait pas officiellement la garde des ses soeurs plus jeunes, cela expliquerait qu'elle préfère passer sous silence les absences de leur père, de peur de voir les plus jeunes placées en foyer en attendant un changement plus stable. 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Charlie Carter s’auto-censure régulièrement à Poudlard. Les adultes au chateau sont moins complaisants avec ses tergiversations que Freya. Sa tête penche à droite quand le professeur explique ce qu'est un sommeil sans rêve, et se redresse alors qu'il demande si elle n'a pas déjà passé une nuit sans rêver. Elle acquiesce, intérieurement persuadée du contraire, mais puisqu'il affirme que les gens ne rêvent pas systématiquement, Charlie obtempère. Quand même, ça l'inquiète d'avaler une potion qui la plonge dans le noir total, et la sorcière garde un air anxieux en fixant Monsieur Brooks.

 

— J'aime bien penser que les gens dans nos rêves vivent vraiment et qu'on va leur rendre visite en dormant. Mais bon, j'sais que c'est pas vrai hein ! Elle fronce son nez en étirant un sourire qui s'apparente à une demi-grimace pour convaincre l'homme qu'elle a bel et bien terminé de croire à ces enfantillages depuis loooongtemps. Mensonge, la plus jeune des Carter peine à quitter sa bulle épaisse et confortable d'idées saugrenues mais réconfortantes. Parfois moquée d'être dans la lune, elle se trouve cette année entre deux mondes dont l'un semble vouloir dévorer l'autre et la mettre à nue. 

 

Est-ce que tous les adultes étaient vraiment des enfants avant ? Charlie en doute. Elle n'est pas prête à devenir aussi préoccupée qu'ils le sont. Elle refuse d'affronter la réalité, même poussée par ses 13 ans et demi. J'aurais préféré l'élixir de Paix parce que j'ai l'habitude d'en prendre, et la potion sans rêve, ça m'fait un peu peur, avoue-t-elle enfin du bout des lèvres.

 

Son père animait des petites silhouettes scintillantes au-dessus du lit pour les endormir, Alison et elle, quand leur mère a disparu. Charlie ne se rappelle pas vraiment de Kate Carter, mais s'est attachée aux moments passés avec Owen lorsqu'il essayait de compenser l'absence de sa femme auprès des deux fillettes. Fatiguée, la Serdaigle ravale une boule douloureuse dans sa gorge en écoutant l'homme lui donner son avis à propos du silence imposé par sa sœur.

 

— Oui j'ai bien compris, s'efforce-t-elle d'assurer au potionniste en cherchant comment lui expliquer les choses. Ses iris clairs voyagent parmi les fioles qui sont à la hauteur de son regard tandis qu'elle réfléchit à ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas dire. Charlie entortille ses doigts derrière son dos. Il y'a des gens qui veulent dire du mal de mon père. L'élève sonde l'expression de son professeur. On doit pas parler de lui parce que sinon ça donne des idées à ces gens là. Tout ce que fait mon père, s'il part ou s'il revient, ça doit rester un secret. Sujet sensible. Charlie inspire profondément. 

 

— Ma sœur veut que toute la famille aille bien. Elle s'occupe de tout vous savez.


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Charlie Carter était sans aucun doute la représentation de l'innocence des enfants. Et si cette naïveté avait quelque chose de très mignon, elle avait également quelque chose de dangereux dès lors qu'elle s'apparentait à un déni pur et dur de la réalité. Il ne serait cependant pas celui qui briserait les rêves de la petite rouquine, n'ayant nullement l'intention de revêtir l'affreux costume de croque-mitaine que certains adultes se plaisaient à porter en toutes circonstances. Alors il se contenta d'un sourire emprunt de bienveillance et de compréhension, afin de la laisser aller à quelques confessions. 

 

- C'est bien ce qui m'inquiète, que vous preniez cette habitude. Les potions comme le philtre de paix peuvent vite devenir addictives, expliqua-t-il tranquillement à la jeune demoiselle. 

 

Et plus la petite Carter expliquait ce qui faisait qu'elle ne pouvait pas parler de son père, et plus il se disait que c'était bien trop de responsabilités pour une enfant aussi jeune que de faire en permanence attention à ce qu'elle pouvait ou ne pouvait pas dire. Il poussa un léger soupir, maudissant intérieurement les retombées que la célébrité d'un parent pouvait avoir sur sa descendance. Cela couplé à l'absence évidente dudit parent, et cela donnait... Une enfant avec des problèmes pour s'endormir, en plus des évidents problèmes de confiance en elle et en les autres qu'elle développait sans même s'en rendre compte. 

 

- Charlie, je veux que tu gardes bien en tête que les adultes du château ne veulent pas de mal à ton père, ni à ta famille, bien au contraire, reprit-il calmement, en prenant soin de peser chacun de ses mots.

 

C'était finalement un rendez-vous avec l'aînée de la fratrie qui s'imposait. Avec le père également, si cela était possible, bien qu'il en doutait sérieusement étant donné la situation de la plus jeune. En attendant, il était hors de question de laisser cette petite fille seule face à ses insomnies, aussi se sentit-il obligé d'insister quelque peu.

 

- Cette potion ne te fera aucun mal, je peux te l'assurer. Maintenant, toi, peux-tu me faire confiance et accepter de la prendre ce soir avec la médicomage de l'école ? demanda-t-il à la demoiselle, son regard plongé dans le sien.

 

 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Parmi les ingrédients qu'elle étudie depuis deux ans, Charlie repère ceux dont elle connaît les effets, et dessine des liens invisibles entre les fioles qui s'étalent dans les étagères du bureau. Ses prunelles claires aperçoivent aussi un alignement de fioles rendues la veille par la classe de 5ème année dont fait partie sa sœur, Alison. Sur l'étiquette, les noms Carter et Shevchen se côtoient, comme au milieu des couloirs du chateau. La cadette remporte des Optimal facilement en potion, alors Charlie se dit qu'elle ne prendrait pas tellement de risque à boire son philtre de Paix. Refoulant au fond d'elle la tentation de commettre un vol, elle ramène son regard en direction du professeur et se concentre pour avoir l'air totalement sereine. J'vais jamais devenir addict, promis. Seulement jusqu'aux vacances de Noël, Freya l'a dit.

 

Plantée là devant Monsieur Brooks, la pré-adolescente se persuade d'être en attente d'une solution plus efficace, et qui va arriver bientôt. Si déjà son père pouvait revenir, ça l'aiderait. Elle tripote la bandoulière de son sac. Oui, j'sais professeur, mais pas tous. "On peut jamais être sûr avec les gens" vous savez. Une phrase qu'Alison avait martelé en tête de Charlie lorsqu'elle l'a surpris en train de parler des voyages de Kate Carter avec l'enseignante de botanique à la fin d'une classe. Sans oublier le récit de la Serpentard à propos de "ce gros con de Brooks", qui résonne toujours dans l'esprit de Charlie. Vous avez pas des secrets qui servent à protéger les gens ou à vous protéger, vous ? Parce que nous on doit protéger mon père, c'est comme ça. Elle hausse les épaules encore une fois, puis fixe la potion de sommeil sans rêves, et le visage patient du brun.

 

— Oui j'vous fait confiance pour la potion, c'est votre métier, j'vous ai jamais vu rater une potion Sir, gratifie l'élève en ponctuant sa phrase d'un léger sourire. Concernant la médicomage, Adaline Mcbride, Charlie l'apprécie également. Elle a soigné son amie l'année dernière quand les gradins du terrain de Quidditch se sont effondrés au début du match de clôture. La jeune Carter n'a eu que quelques égratignures. Son menton opine sagement. J'vais la prendre. Mais dites rien à mes sœurs alors, et surtout Freya. Elle fait le maximum, j'vous assure.


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Si seulement il suffisait d'une promesse pour éviter tout problème d'addiction, le monde serait bien plus merveilleux. Mais Brooks n'avait nullement l'intention d'insister sur ce côté-là. Après tout, à quoi bon ? Il avait informé la petite Carter des dangers, et elle semblait trop jeune pour en comprendre tous les tenants et les aboutissants. Sans doute comprendrait-elle plus tard. Il espérait cependant qu'elle ne comprendrait pas trop tard. Elle ne serait cependant ni la première, ni la dernière à se laisser avoir par les effets apaisants du philtre de paix. Si on lui demandait réellement son avis, Brooks dirait que c'était tout à fait le genre de potion qui n'était pas classée suffisamment haute dans l'échelle de la dangerosité. 

 

Il devait cependant bien admettre que la vision de secrets selon Charlie Carter était bien plus adulte que sa vision de tout le reste. La majorité des gens pensaient en effet qu'ils se protégeaient et protégeaient les leurs avec leurs secrets et leurs mensonges. Il n'y avait cependant là que de la poudre qu'ils se jetaient eux-mêmes au visage. Mais comment expliquer cela à une enfant ? Il se contenta de soupirer avec un léger sourire, emprunt d'une forme de tristesse.

 

- C'est votre père qui devrait vous protéger, Miss Carter, pas l'inverse, lâcha-t-il doucement, conscient cependant de dépasser des limites évidentes en donnant aussi ouvertement son avis sur la façon dont un parent devrait s'occuper de son enfant. 

 

Il se reprit cependant rapidement, tapant dans ses mains trois fois d'affilée, faisant ainsi apparaître un petit elfe affublé d'un bonnet de nuit, de bottes en caoutchouc jaunes, et d'une robe blanche à petites fleurs. 

 

- Monsieur Daryl a appelé Tizzy ? couina le petit elfe, visiblement très fier d'être là.

 

- Oui, Tizzy, peux-tu amener cette potion à Miss McBride s'il te plaît ? Précise-lui que c'est pour Miss Charlie Carter et qu'elle viendra la prendre ce soir à l'infirmerie, et restera y dormir. 

 

- Bien sûr, Monsieur Daryl. Tizzy s'en occupe. C'est tout ce que Tizzy peut faire pour Monsieur Daryl ?

 

- Oui, ce sera tout, merci beaucoup, répondit Brooks tandis que le petit elfe s'inclinait déjà pour disparaître en un claquement de doigts. Il adore les robes, ajouta-t-il avec un clin d'oeil amusé en direction de Charlie. Il n'avait cependant jamais eu le coeur d'expliquer à la créature que lesdites robes étaient davantage pour les femelles. 

 

Il reprit cependant rapidement son sérieux, allant s'installer derrière son bureau tandis qu'il faisait signe à la jeune fille de s'installer en face de lui. Un parchemin était déjà sorti, ainsi que sa plume autoencrante.

 

- Je suis obligé d'en parler à votre soeur, Miss Carter. Elle doit tout savoir vous concernant, et je veux être certain qu'elle soit consciente des risques auxquels elle vous expose en vous donnant cette potion sur une période aussi étendue. Et qui sait, peut-être vous donnera-t-elle l'autorisation de vous ouvrir un peu plus concernant votre père afin de vous permettre d'avancer sans philtre de paix, ajouta-t-il d'un ton léger. 

 

 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Entendre le professeur parler de l'inversion des rôles dans sa famille ramène un sentiment amer à la surface de l'estomac de Charlie. Pensive, elle baisse la tête et se souvient des disputes entre Alison et Freya à propos de leur père absent.

 

— IL S'FOUT D'NOTRE GUEULE, C'EST TOUT !

— ARRÊTE DE PARLER DE LUI COMME ÇA DEVANT CHARLIE !

— CHARLIE EST PAS CONNE FREYA, CHARLIE AUSSI A L'IMPRESSION QUE PAPA TE LAISSE GÉRER  CAR IL A PLUS LES COUILLES DE SE MONTRER !!

ALISON CARTER, MONTE DANS TA CHAMBRE !!!
— OH MAIS FREYA CARTER, T'ES PAS MA MÈRE ! TU SAIS QUOI ?! J'AI PAS DE MÈRE, J'AI PAS DE PÈRE, ALORS PERSONNE VA M'DIRE COMMENT J'DOIS PARLER !!!

 

La jeune sorcière ravale une salive douloureuse, la gorge serrée, niant les mots du potionniste sans pourtant prendre la peine d'argumenter. Ces altercations la hantent, comme d'avoir vu son père trop longtemps en dépression, réduit à l'état de fantôme au milieu des couloirs de leur appartement, et jugé par des milliers d'inconnus qui ne le connaissent même pas. Son menton se renfrogne, retenant les larmes qu'elle aimerait mieux cacher de Monsieur Brooks, honteuse qu'il pointe du doigt les défauts du seul homme de sa vie.

 

Heureusement, l'apparition d'un elfe en tenue rigolote lui change les idées. Elle écoute à peine le professeur s'adresser à l'adorable créature. Bien sûr, Charlie adore les elfes de tout son coeur. Elle renifle discrètement et s'essuie les yeux pour sécher des pleurs qui n'ont pas coulé. 

 

— Il a raison d'aimer les robes, elles lui vont bien. Moi j'adore les pyjamas, mais ça fait pas très sérieux en classe, se raisonne-t-elle en suivant l'adulte jusqu'au bureau. En vacances, Charlie déteste s'habiller. Les pyjamas sont tellement plus confortables que les vêtements. C'est toujours une bataille perdue d'avance pour la faire quitter son pilou-pilou au profit d'une tenue "correcte" quand elle vient aider au magasin ou chercher quelques courses dans la rue.

 

Face à Daryl Brooks, la pré-adolescente s'assoit fébrilement et digère la sentence tant bien que mal. Son ventre la tiraille. Peut-être qu'elle n'aurait jamais dû demander cette potion. Peut-être que Freya sera vexée d'être convoquée à cause d'elle. Et si elle lui en voulait ? Elle a beaucoup de travail, j'sais pas si elle aura le temps de venir, vaut mieux économiser votre papier, tente Charlie avec peu d'espoir, ses chevilles enroulées aux pieds de la chaise. Mais le Directeur des Gryffondor s'avère tenace, et décline aussi gentiment l'initiative de la jeune fille, d'aller remettre l'enveloppe à la volière elle-même (et la faire disparaître sur le trajet). 

 

Intelligente, la benjamine Carter comprend qu'il s'entêtera coûte-que-coûte, contrairement à certains adultes qu'on peut berner de quelques sourires angéliques. Ce soir-là, elle dormira d'un sommeil sans rêves, surveillée par l'infirmière.