Entendre le professeur parler de l'inversion des rôles dans sa famille ramène un sentiment amer à la surface de l'estomac de Charlie. Pensive, elle baisse la tête et se souvient des disputes entre Alison et Freya à propos de leur père absent.
— IL S'FOUT D'NOTRE GUEULE, C'EST TOUT !
— ARRÊTE DE PARLER DE LUI COMME ÇA DEVANT CHARLIE !
— CHARLIE EST PAS CONNE FREYA, CHARLIE AUSSI A L'IMPRESSION QUE PAPA TE LAISSE GÉRER CAR IL A PLUS LES COUILLES DE SE MONTRER !!
— ALISON CARTER, MONTE DANS TA CHAMBRE !!!
— OH MAIS FREYA CARTER, T'ES PAS MA MÈRE ! TU SAIS QUOI ?! J'AI PAS DE MÈRE, J'AI PAS DE PÈRE, ALORS PERSONNE VA M'DIRE COMMENT J'DOIS PARLER !!!
La jeune sorcière ravale une salive douloureuse, la gorge serrée, niant les mots du potionniste sans pourtant prendre la peine d'argumenter. Ces altercations la hantent, comme d'avoir vu son père trop longtemps en dépression, réduit à l'état de fantôme au milieu des couloirs de leur appartement, et jugé par des milliers d'inconnus qui ne le connaissent même pas. Son menton se renfrogne, retenant les larmes qu'elle aimerait mieux cacher de Monsieur Brooks, honteuse qu'il pointe du doigt les défauts du seul homme de sa vie.
Heureusement, l'apparition d'un elfe en tenue rigolote lui change les idées. Elle écoute à peine le professeur s'adresser à l'adorable créature. Bien sûr, Charlie adore les elfes de tout son coeur. Elle renifle discrètement et s'essuie les yeux pour sécher des pleurs qui n'ont pas coulé.
— Il a raison d'aimer les robes, elles lui vont bien. Moi j'adore les pyjamas, mais ça fait pas très sérieux en classe, se raisonne-t-elle en suivant l'adulte jusqu'au bureau. En vacances, Charlie déteste s'habiller. Les pyjamas sont tellement plus confortables que les vêtements. C'est toujours une bataille perdue d'avance pour la faire quitter son pilou-pilou au profit d'une tenue "correcte" quand elle vient aider au magasin ou chercher quelques courses dans la rue.
Face à Daryl Brooks, la pré-adolescente s'assoit fébrilement et digère la sentence tant bien que mal. Son ventre la tiraille. Peut-être qu'elle n'aurait jamais dû demander cette potion. Peut-être que Freya sera vexée d'être convoquée à cause d'elle. Et si elle lui en voulait ? Elle a beaucoup de travail, j'sais pas si elle aura le temps de venir, vaut mieux économiser votre papier, tente Charlie avec peu d'espoir, ses chevilles enroulées aux pieds de la chaise. Mais le Directeur des Gryffondor s'avère tenace, et décline aussi gentiment l'initiative de la jeune fille, d'aller remettre l'enveloppe à la volière elle-même (et la faire disparaître sur le trajet).
Intelligente, la benjamine Carter comprend qu'il s'entêtera coûte-que-coûte, contrairement à certains adultes qu'on peut berner de quelques sourires angéliques. Ce soir-là, elle dormira d'un sommeil sans rêves, surveillée par l'infirmière.