Poudlard Le Château Salles de Cours [En Cours] Les cauchemars

Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

— Papa- euh, Monsieur !

— Oui ma fille ?

 

L'hilarité générale avait dessiné deux plaques écarlates sur les joues de la jeune Charlie Carter. Elle ne riait pas. Elle avait même failli pleurer, les yeux brillants et baissés sur son parchemin jusqu'à la fin du cours, ses cheveux disposés comme deux rideaux de chaque côté de son visage pour la protéger du monde extérieur.

 

La classe s'est vidée et Charlie n'a pas bougé. Assise là, elle a vaguement remballé ses affaires le temps de chercher ses mots pour s'adresser au professeur de potions. Monsieur Brooks ? Le traumatisme lui donne un ton plus hésitant que d'habitude. Charlie se lève, vêtue d'une jupe trop grande ayant appartenu à la cadette des Carter, Alison, qui lui arrive sous les genoux et lui donne l'air d'être mal habillée. Elle fait cependant une taille correcte pour une fille de 13 ans et demi. Elle n'est pas ridicule par rapport aux autres élèves de troisième année.

 

Son sac à l'épaule, la pré-adolescente avance vers le bureau de l'enseignant en ouvrant et refermant la bouche comme une truite qui hésiterait à parler. Eumh. Monsieur Brooks peut se montrer abrupt parfois, et hier elle entendu sa sœur dire que c'était un gros con. Alors Charlie tergiverse. J'sais que vous nous avez dit que les potions qu'on fait en classe sont pas jetées, si elles sont bonnes, bien sûr. Un sourire fugace remue ses tâches de rousseur quand la sorcière fixe son professeur, rassurée du chemin qu'elle prend pour énoncer sa demande.

 

À bien y regarder, ses yeux sont cernés, la peau pâle de son visage laissant transparaître sa fatigue comme un parchemin devant une bougie. Moi j'me demandais s'il y aurait pas un peu d'Elixir de Paix en trop depuis hier. J'sais qu'vous en avez fait avec les cinquièmes années. L'information était arrivée aux oreilles de Charlie en écoutant sa sœur parler du manque de pédagogie de l'enseignant alors qu'elle venait réclamer du réconfort à la table des Serpentard. 

— En fait normalement ma grande sœur m'en achète des petites fioles et me les envoie par hibou. 

 

Son autre sœur, Freya. Mais la plupart des membres du corps professoral de Poudlard connaissent bien la situation des Carter. D'ailleurs, beaucoup connaissent Owen Carter, l'ancien poursuiveur de l'équipe nationale d'Écosse dont la marque Owen Quidditch Carter sponsorise toujours les équipements de l'école. Bref, Charlie est plantée là, hésitante. Eumh, elle va m'en renvoyer bientôt mais j'en ai plus parce que j'en ai donné à Millicent et sa copine. Pas malin, ouais, elle sait. Elle sourit encore au potionniste pour dédramatiser, puis laisse s'étirer un silence avant d'avouer. 

 

— En fait j'fais des cauchemars à cause d'mon père qui s'en va tout le temps. 


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Alors que Charlie Carter se dirigeait vers son bureau, Brooks avait déjà oublié le lapsus de la gamine. C'était le genre de choses qui arrivaient régulièrement en tant que professeur, notamment auprès des plus jeunes. Il fallait dire qu'ils étaient bien loin de leurs familles et de leurs parents à Poudlard, et qu'ils se raccrochaient à ce qu'ils pouvaient afin de conserver quelques repères. Ce qu'il n'avait pas oublié, cependant, c'était la réaction de la jeune fille. Il avait bien vu ses joues rouges, ses yeux bien trop brillants. Et il préférait éviter de faire pleurer les deux Carter en deux jours, aussi retint-il tout commentaire cynique concernant le temps qu'elle mettait à en arriver aux faits.

 

Et grand bien lui en prit, parce que la plus jeune des Carter avait visiblement besoin de bienveillance plus que d'autre chose, et tandis qu'elle s'ouvrait à lui il fit venir une chaise d'un geste de la main afin qu'elle puisse s'asseoir en face de son bureau.

 

- Vous savez que le philtre de paix n'a que peu d'effets sur le long terme ? demanda-t-il tranquillement en ne détournant pas un seul instant son regard de la petite fille.

 

Et c'était sans compter sur l'addiction qui pouvait en découler. Certains pensaient que les potions étaient sans aucun danger, et n'hésitaient pas à en user à tort et à travers. Or, n'importe quel médicomage digne de ce nom ne voyait là qu'une automédicamentation dangereuse et un peu trop banalisée. Exactement comme celle dont lui faisait part Charlie Carter. Treize ans, et déjà soumise à une prise régulière de philtre de paix pour pouvoir dormir. Les cernes sous ses yeux et ses traits tirés en disaient longs sur les nuits courtes qu'elle avait passées en se passant de sa potion. 

 

- J'écrirai à votre soeur. Je ne pense pas que vous laisser prendre régulièrement un philtre de paix soit une bonne idée. Bientôt vous ne pourrez plus dormir du tout sans en prendre. Ni même vous sentir apaisée sans un artifice. Vous êtes trop jeune pour vous rendre esclave de ce genre de potion qui influe sur votre comportement.

 

Comportement qui était d'ailleurs en cours de changement grâce aux merveilles de l'adolescence. Il réfléchit un instant, avant de faire signe à la jeune fille de le suivre.

 

- Venez dans mon bureau, j'ai peut-être de quoi vous aider.

 

La pièce était attenante à la salle de classe, et paraissait ridiculement petite à cause de toutes les étagères sécurisées encombrées de fioles qui s'y trouvaient. Il fit alors venir à lui une fiole au bouchon qui s'ôtait, pour laisser apparaître une pipette.

 

- C'est une potion de sommeil sans rêve. L'effet est immédiat, expliqua-t-il. Vous pourrez en prendre ce soir, à l'infirmerie. Et uniquement ce soir.

 

Il fallait en effet que cette petite se repose pour de bon. 

 

- Mais, Charlie, les potions du genre ne peuvent que masquer ce qui ne va pas pendant un petit temps. Ce qu'il vous faut réellement, c'est agir à la base du problème. Si vous avez besoin de parler, tous les adultes du château sont là. Je suis là, précisa-t-il avec sérieux. Il n'était peut-être pas le professeur le plus connu pour venir en aide à ses étudiants. Mais en aucun cas il ne les laisserait seuls face à leurs problèmes. 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Elle s'attendait à ce qu'il accepte et lui donne l'élixir, ou encore à ce qu'il refuse et la congédie, mais pas à ce qu'il veuille discuter. Charlie acquiesce, suivant attentivement des yeux la gestuelle de son professeur qui lui explique les effets secondaires de telles potions prises quotidiennement. Comme beaucoup de jeunes, elle peine à se projeter dans le futur et ne comprend pas très bien l'inquiétude de Monsieur Brooks.

 

— C'est pour faire partir les mauvaises pensées et faire venir les bonnes. Ma sœur a dit qu'on peut faire comme ça en attendant pour la rentrée et que pendant les vacances de Noël on va chercher une meilleure solution.

 

Charlie hausse les épaules, donnant toute sa confiance à Freya qui s'occupe d'elle à temps partiel depuis ses 4 ans et à temps presque plein depuis qu'elle en a 7. C'est un vrai potionniste qui les prépare, c'est pas ma sœur parce qu'elle a peur de se tromper. Empoisonner Charlie pour une erreur de dosage ? Non merci.

 

Bientôt la fillette se retrouve dans le bureau de Daryl Brooks, le bleu de ses yeux reflétant les centaines de flacons qu'elle observe silencieusement jusqu'à fixer son regard sur la fiole. Sommeil sans rêves ? Mais dormir sans rêver, c'est un peu comme être mort Monsieur Brooks, non ? Elle n'a jamais dormi sans rêver, du plus loin qu'elle puise s'en rappeler. L'élixir de Paix dessine un joli monde à Charlie, où elle peut imaginer les membres de sa famille réunis, et même sa mère dont elle se souvient du visage seulement grâce aux photos. 

 

— Ce sera comme "vide", dans ma tête ? Impossible à concevoir. Et si son esprit tombait au fond du vide, et que personne ne puisse la réveiller ? Ses sourcils dessinent une vague anxieuse alors qu'elle fixe l'homme probablement habitué aux remarques farfelues de Charlie Carter. L'année dernière, elle avait déjà retourné le cerveau de toute sa classe en cours théorique avec ses questions singulières sur les limites du polynectar. Est-ce que j'vais perdre mes rêves ? J'en ai que j'aime bien et des fois j'y retourne, j'aimerais pas qu'ils disparaissent. Elle sourit brièvement, gênée d'avoir trop parlé. 

 

Ses mains se joignent devant elle, ses phalanges entremêlées et ses joues qu'elle aspire pour s'empêcher de laisser sortir son flot de pensées. Alors Charlie acquiesce poliment.

 

— J'sais Professeur. Mais moi j'ai pas l'droit de parler de mon père à quelqu'un. Ma sœur veut pas qu'on fasse ça.


Daryl Brooks , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Brooks fronça les sourcils en entendant les explications de la gamine. Lui donner un philtre de paix pour qu'elle dorme en attendant de trouver mieux à Noël, il avait rarement entendu connerie si énorme. Si la situation familiale des Carter n'échappait guère au professeur, jusqu'ici il n'avait jamais jugé utile d'y creuser. Mais là, la gamine était carrément mise en danger par l'ignorance de sa grande soeur, et il ne pouvait laisser les choses ainsi. Par chance, ils faisaient tout de même appel à un vrai potionniste. Manquerait plus qu'ils se contentent du premier fournisseur louche du coin. 

 

Il ne prit cependant pas la peine d'expliquer quoi que ce soit à la gamine. Elle était trop jeune, et elle n'était sûrement pas celle à blâmer. En revanche, ce qu'il pouvait lui expliquer c'était la façon dont fonctionnait la potion de sommeil sans rêve.

 

- Vous serez bien vivante, Miss Carter. La potion va faire l'effet d'un somnifère. Quelques minutes après l'avoir bue, vous vous endormirez, et vous ne rêverez pas pour cette nuit-là. Pas de rêve, donc pas de cauchemars. Un sommeil réparateur, pour que vous soyez en pleine forme demain. Vous ne vous en rendrez même pas compte. Il y a bien des nuits où vous ne vous souvenez pas d'avoir rêvé, non ? C'est pareil.

 

Les interrogations de la petite fille mettaient en avant son jeune âge. Et Brooks ne pouvait qu'espérer qu'elle reste innocente encore longtemps. C'était, après tout, quelque chose qui avait tendance à manquer dès lors que ça avait disparu, sans pour autant qu'on puisse en estimer la précieuse valeur lorsqu'on la possédait encore. Le fait, cependant, qu'elle refuse de parler de son père sous prétexte que sa soeur ne l'y autorise pas laissa le professeur perplexe quelques secondes.

 

- Votre soeur ne veut pas que vous parliez de ce qui vous tracasse alors même que cela pourrait vous permettre d'aller mieux ? Êtes-vous sûre d'avoir bien compris, Miss Carter ? Je doute fort que votre soeur ne place pas votre bien-être au-dessus de tout le reste, n'est-ce pas ?

 

Il devait absolument se renseigner un peu plus sur la dynamique familiale. Si la soeur aînée n'avait pas officiellement la garde des ses soeurs plus jeunes, cela expliquerait qu'elle préfère passer sous silence les absences de leur père, de peur de voir les plus jeunes placées en foyer en attendant un changement plus stable. 


Charlie Carter , Dans la salle de potions, le 22/09/2124

Charlie Carter s’auto-censure régulièrement à Poudlard. Les adultes au chateau sont moins complaisants avec ses tergiversations que Freya. Sa tête penche à droite quand le professeur explique ce qu'est un sommeil sans rêve, et se redresse alors qu'il demande si elle n'a pas déjà passé une nuit sans rêver. Elle acquiesce, intérieurement persuadée du contraire, mais puisqu'il affirme que les gens ne rêvent pas systématiquement, Charlie obtempère. Quand même, ça l'inquiète d'avaler une potion qui la plonge dans le noir total, et la sorcière garde un air anxieux en fixant Monsieur Brooks.

 

— J'aime bien penser que les gens dans nos rêves vivent vraiment et qu'on va leur rendre visite en dormant. Mais bon, j'sais que c'est pas vrai hein ! Elle fronce son nez en étirant un sourire qui s'apparente à une demi-grimace pour convaincre l'homme qu'elle a bel et bien terminé de croire à ces enfantillages depuis loooongtemps. Mensonge, la plus jeune des Carter peine à quitter sa bulle épaisse et confortable d'idées saugrenues mais réconfortantes. Parfois moquée d'être dans la lune, elle se trouve cette année entre deux mondes dont l'un semble vouloir dévorer l'autre et la mettre à nue. 

 

Est-ce que tous les adultes étaient vraiment des enfants avant ? Charlie en doute. Elle n'est pas prête à devenir aussi préoccupée qu'ils le sont. Elle refuse d'affronter la réalité, même poussée par ses 13 ans et demi. J'aurais préféré l'élixir de Paix parce que j'ai l'habitude d'en prendre, et la potion sans rêve, ça m'fait un peu peur, avoue-t-elle enfin du bout des lèvres.

 

Son père animait des petites silhouettes scintillantes au-dessus du lit pour les endormir, Alison et elle, quand leur mère a disparu. Charlie ne se rappelle pas vraiment de Kate Carter, mais s'est attachée aux moments passés avec Owen lorsqu'il essayait de compenser l'absence de sa femme auprès des deux fillettes. Fatiguée, la Serdaigle ravale une boule douloureuse dans sa gorge en écoutant l'homme lui donner son avis à propos du silence imposé par sa sœur.

 

— Oui j'ai bien compris, s'efforce-t-elle d'assurer au potionniste en cherchant comment lui expliquer les choses. Ses iris clairs voyagent parmi les fioles qui sont à la hauteur de son regard tandis qu'elle réfléchit à ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas dire. Charlie entortille ses doigts derrière son dos. Il y'a des gens qui veulent dire du mal de mon père. L'élève sonde l'expression de son professeur. On doit pas parler de lui parce que sinon ça donne des idées à ces gens là. Tout ce que fait mon père, s'il part ou s'il revient, ça doit rester un secret. Sujet sensible. Charlie inspire profondément. 

 

— Ma sœur veut que toute la famille aille bien. Elle s'occupe de tout vous savez.