C'était vite devenu un rituel.
Pour la troisième fois, depuis la rentrée, Sasha profitait de ce que la plupart des élèves fissent la grasse matinée pour se glisser dans les cachots après sa sortie matinale, et attendre qu'Anya Nikitovna sortît à son tour pour lui montrer les journaux qu'elle faisait venir de Russie. Il était encore trop tôt - en tout cas il l'espérait - pour qu'elle s'inquiétât de ce qu'il ne fût toujours pas en mesure de prendre lui-même un abonnement. Tant qu'il le pourrait, il profiterait de la situation pour avoir ces informations gratuitement, même si elles étaient tronquées, lui semblait-il.
Il trouvait bien sûr porte close en arrivant devant l'entrée de la salle commune des Serpentards. Ce matin-là, ses chaussures étaient encore mouillées ainsi que le bas de son pantalon, mais il n'en avait cure. A la place de la tenue réglementaire qu'il devait mettre la semaine, il avait enfilé un sweatshirt dont la capuche grise reposait en partie sur l'arrière de son crâne, laissant juste apparaître ses tempes presque rousses.
Il n'eut à attendre que quelques minutes, les mains dans les poches, adossés à la pierre, pour qu'enfin quelqu'un sortît. Il se détacha du mur aussitôt pour se retrouver face à...
... une grande blonde dont la bouche semblait indéfiniment faire une moue de dégoût.
Merde, un bout de brochette.
- Sasha ? Qu'est-ce tu fais là ?
- Tu veux pas aller chercher quelqu'un pour moi ? Please, ajouta-t-il avec lenteur, ainsi qu'une autre élève de cinquième année le lui avait appris.
Please Alison, il fallait dire quand il demandait un ustensile. Dans le cas de ce dimanche matin, l'astuce aurait mieux fonctionné s'il s'était souvenu du prénom de la fille ; malheureusement, si Alison l'avait prononcé devant lui, il n'en avait fichtrement aucun souvenir. Peut-être Maddie ? Ou Carolina. Ou aucune des deux. Dans le doute, s'abstenir.
- Tu veux voir Alison ?
- Nan, pas elle. Anya.
Blondasse ouvrit de grands yeux, appliqua une main sur sa poitrine. Quoi, au'est-ce qu'il avait dit, encore ?
- Anya Nikitovna. Tu la connais pas ? il la pressa avec un soupir agacé.
- Tu sors avec Anya ?! dit-elle, et sa bouche parut encore plus dégoûtée maintenant qu'elle s'était ouverte en un "O" de protestation.
- Hein ?! Mais nan ! J'ai besoin qu'elle m'apporte un truc, c'est tout !
Blondasse croisa les bras sur sa poitrine, l'air suspicieux.
- Qu'elle t'apporte quoi ?
Sasha pencha doucement la tête de côté, les lèvres pincées. Il s'efforça de ne pas répondre une obscénité.
- Des... De la lecture.
- De la lecture.
- C'est ça. En cyrillique, tu vois.
- En russe, quoi.
Sasha souffla par le nez un soupir dépité.
- Oui, si tu veux.
- Mais j'croyais que t'étais pas Russe.
- Oui, ben non, mais...
Blondasse haussa les sourcils, croyant enfin avoir coincé Sasha la main dans le sac. Ce dernier s'humecta les lèvres, et puis contre toute attente il déclara.
- Bon tu vas m'la chercher ou j'te plaque contre le mur et je gueule dans l'escalier qu't'essaies de m'embrasser dans le dos d'Alison ?
Cette fois, l'argument fit mouche. Blondasse recula d'un pas, interloquée, avant de faire demi-tour vers la porte de la salle commune, le nez froissé.
- C'serait même pas crédible, moi j'sortirai jamais avec une brute comme toi, elle rétorqua - mais, comme si elle avait pu avoir peur des conséquences d'avoir avoué une telle chose, elle descendit les escaliers quatre à quatre pour disparaître.
Au bout d'un moment qui parut interminable, la porte se rouvrit. Et cette fois, il vit immédiatement la silhouette d'Anya. Ses longs cheveux bouclés et sauvages, sa démarche chaloupée. Instinctivement, il carra les épaules, histoire de se tenir droit ; mais son visage resta fermé.
- J'espère je te réveille pas, il dit comme préambule.
Ce n'était pas comme s'il venait prendre des nouvelles d'elle, de toute façon. Elle savait parfaitement pourquoi il venait. Sasha se hâta de longer le couloir pour aller dans l'un des cachots voisins - celui où par deux fois déjà, ils s'étaient retrouvés pour qu'il pusse consulter le journal auquel elle était abonnée.
- Tu as le dernier numéro ? il demanda par dessus son épaule en entrant dans la salle d'un pas pressé.
Son impatience était visible : malgré ses mains dans ses poches, il se hâta de passer entre les tables pour aller s'asseoir au même endroit que la dernière fois, le souffle court. Et même assis, il ne cessait de gigoter. Seulement alors il fit apparaître ses mains, se les passa sur le visage. Ses lèvres, ses joues et son cou avaient rougi d'une drôle de façon.