Sous la neige duveteuse qui tombe lentement du plafond magique, une poignée de fantômes élégants se joignent au bal, nostalgiques des cérémonies de leur vivant. Ils impressionnent par la façon dont ils glissent sur l'air, valsant dans des tenues d'époque, la silhouette bleutée comme le givre qui décore les murs. Nick-Quasi-Sans-Tête salut les jeunes Gryffondor qui hurlent de rire en le voyant exécuter son tour favori. Les première année traversent la piste en tous sens, excités à l’idée d'être en vacances demain. Au milieu de ce joyeux chaos, les élèves plus âgés se tiennent par groupes, affublés de vêtements inhabituels, arborant des comportements différents en fonction de leur caractère. Certains prétendent s’en foutre, mais leurs regards effleurent régulièrement la piste, suivant les épaules dénudées, les mains liées, les échanges de sourires. Ils mangent, commentent, jugent à voix basse, en espérant peut-être qu’on les invite, ou au contraire, qu’on les laisse tranquilles.
Au milieu de tout ça, Charlie fend la foule avec l’enthousiasme d’un flocon surfant sur la brise. Elle a coincée fièrement la fleur en papier bleu derrière son oreille et virevolte auprès de ses amis sans se soucier du reste.
Sur les banquettes, Alison tient toujours une coupe pleine de limonade entre ses doigts vernis de rouge. Autour d’elle, ses amies chuchotent, jaugent les couples, gloussent, jettent des piques. L'une parle fort, s'invente des histoires. L'autre prétend avoir été courtisée par trois garçons. Alison les écoute à peine. Une légère angoisse au creux du ventre, elle pense à la manière dont elle abordera Spike pour le convaincre tout à l'heure. Elle sait quoi faire au début, mais ensuite il faudra improviser avec les récits de magazines et plonger dans l'inconnu, pour de vrai.
— Ali ! Il se pointe vraiment là ! insiste Gwen en dissipant de sa voix aiguë les scénarios de la rouquine. Ses prunelles fixent soudain Sasha et son air ahuri. Elle attend qu'il parle. Elle aurait été incapable de prédire son invitation tant elle semble sortie de nulle part.
Alison et Sasha sont officiellement séparés depuis le mois d'octobre, un peu avant Halloween. Ils ont continué de se voir en classe, mais sans travailler en binôme, et sans se parler. Entre eux, ce n'est plus qu'une histoire de regards échangés au détour d'un plan de travail de botanique, au coin d'une étagère d'ingrédients de potion, ou au milieu du couloir devant les salles.
Il est loin des garçons de magazine, et n'attire aucune bonne concurrence.
Le deal ne fonctionne pas. Alors, si Alison écoute la raison, c'est mieux comme ça.
Pourtant ce soir, quand le Gryffondor propose maladroitement une danse à la cadette Carter, il réalise sans le savoir l'un de ses rêves d'adolescente, et probablement de la brochette entière. Sasha tend sa main, là où les camarades idiots d'Alison pensent qu'il vaut mieux heurter de plein fouet l'épaule d'une fille pour attirer son attention.
Et puis Gwen ricane, et Alison donne sa coupe à cette dernière, et se lève. Ok, répond-elle en posant ses phalanges sur la paume rugueuse du sixième année, sous le regard à moitié envieux et surpris de ses amies. De sa main libre, elle se lisse machinalement la frange, jetant un œil regonflé de confiance à Sasha, avant d'interpeler la blonde. Ma pauvre Gwen, Lucian devrait bientôt arriver, j'l'ai vu discuter avec l'autre Serdaigle au buffet tout à l'heure, prononce-t-elle, faussement innocente, dosant savamment sa cruauté. Sans attendre de réaction, son pas emboîte celui du cavalier impromptu qui l'entraîne vers la piste. Étrangement, l'irruption du Russe l'arrange. Le temps d'une danse, elle oubliera Spike, et ses plans de fin de soirée.
Au coeur de la foule, l'ancien faux-couple se rapproche, juste assez pour qu'Alison sente la chaleur de Sasha à travers sa robe en velours, juste assez pour qu'il puisse lire l'ironie au fond de ses yeux. Tu sais qu't’as plus besoin de faire semblant maintenant, suggère la jeune femme, les doigts enroulés contre l'épaule de son partenaire, son autre main toujours dans celle de Sasha. Et tandis qu'elle sent la paume libre de Sasha se poser au creux de son dos, elle sourit, presque timidement. Au-dessus d’eux, les fantômes continuent de valser entre les lustres et les flocons légers.