Aux premières lueurs du jour
 

- Nan, c'est mort.

- Pourquoi c'est mort ?

- Parce que Gus, j'ai proposé mon aide, pas un foutu traquenard où t'vas passer la matinée à l'emmerder !
- J'vais pas l'emmerder ça va j'sais m'tenir.

- Mh ?
- Sérieux !
- Sérieux, Gus, c'est mort. Bouge, j'dois me préparer.

C'est pas si mort que ça, visiblement. Moins de vingt minutes plus tard, Sam quitte la salle commune talonné par Ferguson, encore abasourdie par ce qu'elle vient d'apprendre. D'où, en fait ? Et d'où l'mec a gardé ça pour lui autant d'temps ?

- J'en r'viens pas.

- Passe à autre chose Chadwick, Fergus grogne à moitié.

- Nah. C'est mort. Genre t'as date Alison. J'suis morte. Quand les gars vont savoir... vous avez ken ?

- Ferme là, ça t'regarde zéro, et personne va savoir ok ?

Elle secoue la tête, ferme sa gueule devant le regard noir de Gus. Elle dira rien, parce qu'elle a bien capté l'idée, mais ça va quand même la démanger. Elle lève les mains en signe d'innocence, son sac en bandoulière lui frappant la hanche au rythme de ses pas.

- Tranquille. On peut savoir pourquoi c'est un si gros secret ? Si vous avez passé un si bon moment ?

Ferguson répond pas, et Sam décide de pas insister. C'est rare de voir son pote comme ça, et elle connait les limites quand il s'agit de le charrier. C'est lui qui change de sujet, réclame de savoir c'qu'elle a prévu. Elle sait pas trop, en réalité. Pas plus qu'elle sait vraiment ce qui lui a pris de proposer subitement son aide à Alison en début de semaine. Juste, elle est plutôt contente que le nom de la Serpentard ait été tiré, et elle a gardé en tête leur conversation pendant leur entrainement improvisé.

- J'pense que faut lui faire découvrir nos entrainements de Quid. Les élèves s'cantonnent aux bases pendant les cours de vol t'vois ? Et c'est une meuf organisée. j'suis sûre qu'elle les maîtrise, les bases. Juste elle a pas trop d'pistes pour aller plus loin.

- T'crois que y aura une épreuve de vol ?

- J'en sais rien Gus. Mais si c'est l'cas au moins elle aura plus que juste des bases.

C'est pas comme si Sam se sentait d'apporter quoi que ce soit à Alison dans l'reste des matières de l'école. Gus a l'air d'approuver, et il ferme curieusement sa gueule tout le long du trajet. Comme s'il était nerveux à l'idée d'se pointer au cours improvisé malgré le fait que ce soit lui qu'ait insisté pour venir. Sam a donné rendez-vous à Alison sur le terrain, devant les vestiaires des joueurs, et elle l'aperçoit rapidement au loin. Il fait un temps assez idéal pour voler.

- Hey ! J'ai ramené du renfort j'espère ça dérange pas, elle annonce dès qu'elle arrive à portée d'voix.
- Yo. 

L'type a beau se donner un air, Sam voit très clairement au travers. Il est méga intimidé. Elle se force à réprimer le rire qui menace de s'échapper, et décide de focaliser sur Alison. Son sac a été déposé dans la pelouse, et les deux poufsouffles sont en tenue d'entrainement, leurs balais les attendant sagement en réserve.

- J'ai ramené d'quoi faire. Des balles, des battes, tout un tas de bordel emprunté dont ils se servent à l'entrainement. T'es prête ?

"D'accord. On fait ça quand ?", avait sobrement répondu la Serpentard mercredi, lorsque Sam est venue lui proposer un entraînement similaire à ceux du quidditch, en écho à leur conversation de septembre. C'est plus ou moins à ce moment-là que les paroles de Ferguson ont pris sens aux oreilles d'Alison : "tout Poudlard est derrière toi". Parce qu'au-delà des Poufsouffle de sixième année, la cadette a ouvert ses yeux sur l'admiration palpable des jeunes à son égard, de grands sourires émerveillés aux lèvres quand ils la croisent dans les coursives du château, et sur les attentions particulières des autres étudiants, qu'elle était bien incapable de remarquer deux jours auparavant. Ce simple constat lui a donné l'énergie nécessaire à organiser une véritable préparation autour de son planning de cours. 

Sous les conseils de son camarade de classe - et plus si affinités - le célèbre poursuiveur Spike Ryder, l'Écossaise s'est mise à travailler son cardio dès le jeudi, soit à J-16 de la première épreuve, en effectuant des tours de parc au petit matin et le soir aussi. Un exercice particulièrement difficile lorsqu'on ne fait pas de sport au quotidien, mais auquel l'adolescente se plie, ambitieuse quant à ses chances de réussir. 

Alors aujourd'hui, elle arrive les joues encore rouges et chaudes sur le terrain de quidditch, le souffle détendu par trente minutes de course à pieds et dix d'étirements sous un large chêne. Les bras levés, la cadette rattache sa frange sous une petite pince en regardant tour à tour Sam, puis Ferguson. Prévoyante, la rouquine avait emporté une tenue sèche de rechange - absolument identique à la précédente - qu'elle a pu enfiler rapidement grâce à l'enchantement d'habillement ; un sortilège bien connu des familles sorcières. Pratique, si on omet quelques plis ici et là sur le tissu. 

— Salut, se contente-t-elle d'énoncer avant de rajuster son pantalon technique OCQ en tirant dessus légèrement, et de redonner une forme convenable au t-shirt thermique qu'elle porte près du corps. Ça m'dérange pas, ment-elle à moitié, un œil incertain posé sur le batteur et le matériel à leur disposition. Est-ce qu'il est venu pour voir une Carter se ridiculiser à dos de balai ? Lui dire qu'elle est remplaçable et que lui n'a peur de rien ? Ou juste lui filer un réel coup de main ? Tant pis, Alison choisit d'ignorer les questions que la présence de Ferguson a fait naître dans son esprit, et de se concentrer sur l'essentiel : le tournoi. 

J-14 ! peut-on lire en lettres dorées au milieu des gradins.

Le décompte excite autant qu'il effraie. 

La deuxième fille du Géant écossais avise les OCQ400 de l'école rangés en ligne non loin de l'entrée des vestiaires, et acquiesce en direction de Sam. Ouais j'suis prête, j'ai déjà couru une demi-heure là, donc dis-moi c'qu'on fait, déclare-t-elle en camouflant son appréhension. 

Il sait pas vraiment ce qu'il fout là, si on est parfaitement honnête. C'est sorti tout seul, comme un dégueulis impossible à retenir. J'viens on s'ra pas trop d'deux ! L'truc c'est que Sam avait tous les bons arguments pour pas qu'il s'retrouve là quand même, et qu'il a négocié. Il a négocié. Les mains dans les poches de son jogging, la gueule affaissée sur un coin de pelouse, Ferguson évite le regard d'Alison que ça dérange pas. Il s'était attendu à se faire jeter d'entrée de jeu.

Un froncement de sourcils.
Une réplique assassine.
Quelque chose.

Mais rien d'tout ça. Ça la dérange pas. Alors il reste et il ferme sa gueule, parce qu'il s'agirait pas d'donner raison à Sam, ou même à Alison - parce qu'elle s'retient pas vrai ? Trois jours plus tôt, il trouvait Alison Carter dans une salle de classe vide, la faisait fuir dans un placard à balais où il la retrouvait en train de gerber dans un seau. Il dresse la tête brièvement, pour lui jeter un rapide coup d'œil. Elle a la gueule rougie par l'effort. Sa frange attachée par une pince. Une tenue sportive qui lui donne une nouvelle silhouette, loin de l'éternel uniforme. Même comme ça elle est jolie.

- C'est parfait ! C'est toujours comme ça qu'on commence les entrainements, pas vrai Gus ?

Le type acquiesce vaguement. Pis Sam se met à exposer son idée comme elle vient d'la lui présenter. Imiter la routine des joueurs, et non d'un élève de cours de vol.

- En vrai j'pense t'as déjà grave les bases. Fin t'sais très bien voler quoi. Mais clairement si y a une épreuve de vol, ils vont pas vous contenter d'vous faire voler dans les airs en faisant des figures alors faut t'préparer au pire.
- Parait qu'y a déjà eu des combats contre des dragons, balance Ferguson soudainement.

- Ta gueule, t'aide pas.

- J'veux dire...

- Bref ! J'pense qu'on s'prépare vachement mieux aux emmerdes pendant nos entrainements d'Quidditch, vu qu'on s'tape souvent les pires météos, quand on doit pas esquiver des cognards, ou chercher des trucs invisibles dans les airs.

L'Écosse est loin d'être clémente pour les joueurs, faut dire ce qui est. Mais c'est peut-être ce qui participe à faire d'eux des joueurs qu'ont vachement la gnaque.

- T'veux qu'on lui balance des cognards dans la gueule ? Ferguson réalise brutalement avec un air un peu choqué.

- Nah. Pas de suite. Mais tout à l'heure clairement elle va y passer, Sam répond rapidement avant d'insister : mais t'inquiète on sait c'qu'on fait ok ? L'but c'est pas d'te casser les deux jambes avant l'tournoi. Y a un système pour pas qu'on s'blesse pendant les entrainements. Pour l'instant on va juste s'passer une balle pour que tu t'habitues à faire autre chose que te focaliser sur l'fait d'juste voler, ça t'va ?
- Mets ça, annonce Gus en récupérant une paire de lunettes dans le sac.

Semblable à des lunettes d'aviateur, la paire protège autant du vent que d'une éventuelle pluie qui pourrait leur tomber dessus à tout instant. Il en récupère une aussi pour se la foutre sur la tête d'un geste habitué, tandis que Sam fait de même.

- Juste une tour de chauffe au départ. Comme Gus et moi on va voir comment tu voles et on adaptera l'truc.

- On dirait t'as fait prof toute ta life, commente Fergus. Bon lets go.

Un coup de pied au sol le balance dans les airs en deux secondes à peine tandis que Sam récupère un souaffle au sol avant de se préparer à faire de même.

— Il a raison, commente Alison sans ciller à propos des dragons, les yeux posés sur Sam. Elle choisit toutefois d'ignorer partiellement le brun, focalisée sur les explications de sa partenaire d'entraînement du mois de septembre, et jette un regard au ciel grisâtre percé de lueurs matinales aux tonalités rosâtres. Qu'elle le veuille ou non, le quidditch fait partie de sa vie, tout comme les nuages d'Écosse appartiennent au ciel de Pré-Au-Lard. La réflexion de Ferguson attire son attention, mais elle se retient de le regarder, et hausse les épaules en fixant la blonde. J'm'inquiète pas, rétorque-t-elle, bien décidée à renvoyer l'image de forte tête qu'elle arbore normalement, et à faire oublier l'épisode du placard au Poufsouffle. Faites c'que vous avez à faire, on sait tous que ça va être pire au tournoi, déclare finalement Alison en attrapant les lunettes tendues par Gus, puis un balai de l'école. 

Bien sûr, avec ça sur le visage, elle aura le visage rond d'une grenouille et les globes oculaires exorbités, sauf qu'elle enterre le sentiment d'avoir l'air ridicule derrière une couche de volonté et l’appréhension de foirer l'exercice devant les deux sixième années.

Pire encore, au moment où Alison enfourche son OCQ400 - affublée des lunettes de vol, un petit groupe d'élèves curieux fait son apparition aux abords du terrain. Elle souffle du nez, frappe son pied au sol, et prend de la hauteur avant de se diriger au-dessus d'eux. Vous faites quoi là ? demande-t-elle aux sorciers de deuxième ou troisième année venus soutenir La Championne de Poudlard pendant l'entraînement. Très vite, l'adolescente comprend qu'ils vont rester, et s'éloigne pour écraser la boule de stress que cet emballement réveille au creux de son ventre.  

— Ils font chier putain, maugrée-t-elle en prenant des allures d'Owen Carter, tandis qu'elle entame un tour en suivant l'ovale intérieur du gradin. 

À peine quelques secondes plus tard, elle reçoit le souaffle, comme lancé de nulle part, bien au centre de ses bras. Surprise, la cadette rattrape de justesse la balle en lâchant l'une de ses mains du manche. Elle cherche Sam et Gus, dispersés autour d'elle, et répond au signe de la blonde en lui relançant le souaffle d'un geste moins précis, ses phalanges crispées sur le balai, et sur la balle aussi. Loin d'avoir la posture sportive des deux joueurs, elle survole l'échange de balle, mais peine à gérer la trajectoire dans les trois dimensions en même temps que de suivre le jeu. Elle galère, et s'en veut d'avoir mis le vol au dernier plan pendant sa scolarité - juste à cause du quidditch, juste car elle ne voulait pas qu'on lui rappelle qu'elle était la fille d'Owen Carter, qu'on la compare à lui. Elle voulait sa propre personnalité, et la voici idiote aujourd'hui. 

Même clairement en dehors de sa zone de confort, avec la certitude d'être aussi malmenée que n'importe quel joueur de Quidditch à l'entrainement, Alison garde sa posture droite et le regard fier. La Serpentard ne plaisante pas avec sa préparation pour le tournoi, et Sam est bien placée pour le savoir, mais sa camarade continue de forcer son admiration. La batteuse enfile paire de lunettes et gants en gestes précis et rapide, récupère un souaffle, et frappe du pied sur le sol. Envolée à plusieurs mètres de hauteur en une poignée de secondes à peine, elle ne tarde pas à rattraper Ferguson, et le file comme une ombre.

Alison n'a pas suivi.

Ils l'avisent au-dessus d'une tribune où sont venus s'entasser plusieurs élèves de première et deuxième années. Bien trop loin pour entendre ce qu'il se dit, ils sont forcés d'attendre le retour de la sorcière, visiblement déjà distraite par l'arrivée inopinée d'un public. Aucun d'eux ne commentent pourtant, préférant enchainer sur l'exercice. Le souaffle est distribué de main en main. Si Ferguson comme Sam sont davantage habitués à se balader avec une batte, le changement ne semble pas les déranger outre mesure. Pour cause, tous y passent lors des entrainements.

La polyvalence est nécessaire au sein d'une équipe où, occasionnellement, certains joueurs sont amenés à remplacer les autres à des postes différents de leur poste habituel.

Alison peine à se focaliser sur sa trajectoire de vol en même temps de faire circuler la balle, mais c'est exactement pour ça que Sam a voulu commencer ainsi. De temps à autre, elle balance des conseils contre le vent, sa voix portant sans peine alors même qu'ils avancent en formation serrée, plusieurs dizaine de mètres au-dessus du vide : faut qu'le vol devienne automatique, que t'aies pas à y penser ok ? Entraine toi à retirer tes mains du manche sans que j'te lance quoi qu'ce soit. T'as tes jambes pour compenser tes bras, ajoute Gus en se prêtant à l'exercice.

Le premier enseignement d'un cours de vol consistait à dire : ne lâcher jamais le manche de votre balai. Ce n'est qu'ensuite que l'on expliquait l'importance de la maîtrise du corps, et la façon dont on pouvait s'en servir pour piloter, en utilisant chacun des membres de manière pro-active. Lever les mains du manche représentait une véritable étape que bien des élèves passaient sans avoir à passer par les entrainements de Quidditch, mais certains nourrissaient cette peur irrationnelle que le balai chuterait brusquement s'il en retirait juste un doigt.

Le souaffle, qui n'en est pas vraiment un mais sa version allégé pour débutant, ne reprend sa course entre les joueurs qu'une fois qu'Alison se montre plus à l'aise. Sam, comme Gus, font preuve de patience, et ne font pas du tout cas des gamins dans les gradins, habitués aux présences continuelles pendant leurs entrainements ou leurs matchs. T'as pas besoin de surveiller l'souaffle, regarde devant pour garder l'équilibre. J'te préviens quand j'te fais la passe donc t'as pas b'soin de guetter Alison. La vision périphérique faisait le reste. T'as b'soin de jeter le souaffle aussi fort. Économise tes mouvements. Ouais ça doit rester fluide. C'est dans les épaules que ça s'passe. Le vent fait l'reste. 

Une vingtaine de minutes ne sont dédiées qu'à ça. Se lancer un souaffle de la manière la plus efficace. Sans perdre le contrôle du balai. Sans paniquer. Sam refuse que les lancers soient hasardeux, et tant qu'elle estime qu'Alison ne semble pas suffisamment à l'aise avec l'exercice, elle ne passe pas à autre chose. Puis, enfin, elle estime sa camarade prête, et elle balance à Gus, un ton trop bas pour qu'Alison l'entende :

- Tu continues avec elle ? J'veux voir comment elle réagit si y a une bourrasque.

Ferguson hoche la tête, et laisse Sam prendre de la vitesse pour aller se placer de l'autre côté de la sorcière.

- Ventus !

Une brise légère se contente de disparaitre dans l'air sans jamais atteindre sa cible. Sam doit s'y reprendre à plusieurs fois avant de parvenir à son objectif, exterminant tout effet de surprise.