Sam ne connais pas vraiment Charlie Carter, si ce n'est de vue et de nom. Il est plutôt rare que les différentes années se mêlent en dehors des heures de cours, d'autant plus lorsque des élèves ne font pas partie d'une même maison. Intriguée par la façon dont la sœur d'Alison l'appelle par son prénom et son nom de famille, puis la façon dont elle salut son gant comme s'il s'agissait d'un vieux compagnon retrouvé, Sam se pince un peu les lèvres et réfrène un rire. Les deux filles, issues de la même famille et aussi rousses l'une que l'autre pour le démontrer, semblent drastiquement différentes. À l'instar de la tenancière de l'OCQ, que Sam fréquente assez régulièrement.

Elle y a d'ailleurs souvent vu la benjamine en rayon ou derrière le comptoir, aidant leur aînée à tenir la boutique.

- Bonne chance, l'encourage Sam alors qu'Alison lui propose d'essayer la formule à son tour.

Malheureusement, la tentative de la Serdaigle se solde d'un cuisant échec qui voit la gomme dégringoler jusque dans la hall : plusieurs étages plus bas. Charlie a tôt fait de s'élancer à sa suite avec énergie tandis qu'Alison reste en retrait, visiblement peu désireuse de l'accompagner. D'ailleurs, elle préfère demander à Sam si elle n'a pas un autre objet sur lequel s'exercer. La batteuse adresse un regard à la benjamine Carter, hésite un instant avant de se contenter de lui balancer un :

- À plus Charlie !

Les mains glissées à ses poches, Sam trouve rapidement un objet familier, qu'elle extirpe d'un geste :

- J'ai ça. C'est celui d'Gus.

Le briquet reflète les flammes des torches. C'est loin d'être rare que le bordel se perde dans les poches de Sam, si c'est pas dans celle de Balt, d'Ambrose ou de Jim, avec les leurs. Sam en a pas un à elle, faute de fumer en dehors de leurs sessions groupées. À cette heure, facile de savoir où elles risquent de finir, mais c'est pas vraiment un problème : tout le but de l'exercice est de voir si elles parviennent à faire léviter le briquet vers son propriétaire, pas si elles parviennent à le trouver sans.

- Avenseguim !

L'objet se met en lévitation, et ne tarde pas à suivre Charlie Carter dans les escaliers. Direction le hall. Cependant, il s'arrête au premier étage, comme indécis, avant de s'effondrer au sol. Sam hausse les épaules, tout de même fière de sa demie-réussite :

- Tu retentes ?

Il est fréquent que les filles se croisent plusieurs fois dans une seule et même journée, alors Alison ne prend pas la peine de saluer sa sœur qui, de toute façon, est déjà au milieu des escaliers. La Serpentard fixe plutôt l'objet exhibé par Sam, le jauge, et acquiesce avant de l'observer mettre en place le sortilège avec une maîtrise parfaite. Tu l'tiens, commente-t-elle lorsqu'elles descendent les marches en suivant l'allume-feu. S'ils doivent se cacher pour une épreuve, ce sera utile de savoir retrouver l'adversaire en se laissant guider par l'un de ses objets - encore faudra-t-il penser à prendre quelque-chose de l'autre sur soi. Lorsque le briquet heurte les dalles de pierre, Alison se demande brièvement s'il pourrait se casser, mais la Poufsouffle se contente d'hausser les épaules, et la rouquine hoche un menton approbateur. T'as géré. 

À son tour, elle pointe l'objet du bout de Lilly lovedoll, se concentre pour l'imaginer flotter jusqu'à Ferguson, et dessine le geste associé à la formule. Avenseguim. 

L'allume-feu s'élève de quelques centimètres et s'éloigne des filles. Il continue de descendre les escaliers, attirant le regard interloqués des apprentis sorciers qu'il croise, Alison et Sam derrière lui. Sauf qu'il se trompe de direction et s'en va vers les cachots. L'Écossaise fronce les sourcils en le voyant tomber devant les cuisines. Gus est là-dedans ?

- Heuuuu...

Circonspecte, Sam observe le tableau menant aux cuisines.

- P't-être bien ?

Qu'est-ce qu'elle en sait ? Ça serait pas déconnant. Quand les garçons fument de trop, ils font parfois des détours en cuisine. À l'heure du repas cependant, ce serait plutôt con. Mais cons, les garçons l'sont assez régulièrement pour que l'idée la surprenne pas vraiment. Alors d'un geste elle vient chatouiller la poire, et la peinture dévoile l'intérieur de l'immense pièce. Des vapeurs bouillonnantes envahissent l'espace, charrient des flagrances qui mettent l'eau à la bouche. Des dizaines d'elfes trottent en tous sens, des plateaux immenses en lévitation au-dessus de leur tête.

- Gus ?

Avancée entre les larges tables, Sam essaie de guetter une silhouette humaine entre les fumées épaisses, en vain. Elle se fait bousculer par quelques travailleurs qui la lorgnent avec défiance. Un claquement de doigt dans l'air dissipe soudain les vapeurs, dévoilant la pièce dans son intégralité. Pas une trace de Ferguson. Sam se mord la lèvre, tournée vers Alison :

- Bon attends, j'retente, t'as récupéré l'briquet ?

Babsi dressée vers l'objet, Sam reformule le sortilège :

- Avenseguim !

L'objet se met en lévitation, mais retombe aussitôt, devant une Sam grimaçante. Gus est pas là alors c'est juste du foirage consécutif ça fait aucun doute.

- R'tentes ? Elle propose en regardant Alison.

Elle quittent les cuisines, bredouilles, et Alison repose l'allume-feu correctement au sol, en plein milieu du couloir. Pourquoi vous utilisez pas l'Incendio ? demande-t-elle distraitement, toujours intriguée par l'usage d'outils moldus par les sorciers du chateau, en particulier lorsque ceux-ci possèdent un sortilège associé et bien plus pratique. Au même moment, s'échappe une nuée de jeunes Serpentard en pleine conversation. Nan, à la fin de l'année, la fin de l'an-NÉE, réfléchis ! mais Noël ? Mais nan, l'année, A.N.N.É.E ! Mais il est bête ! ..A - règne - décembre ? MAIS ! - ils disparaissent en grimpant l'escalier, et la sixième année les fixe, visiblement agacée. J'te jure, si j'entends encore une fois l'énigme du Sphinx d'Harry Potter, j'en prends un pour me servir de mannequin d'entraînement, peste-t-elle, usée d'écouter les récits des différents tournois, et surtout celui de l'année 1994. Sauf que c'est LE sujet qui hante les couloirs depuis le début du mois, et probablement jusqu'au début de la première épreuve. 

Bref, elle tente de se concentrer et observe le briquet. Penser à Gus. Penser à Gus. Penser à- Pis t'aurais pu choisir un truc à quelqu'un d'autre. Gus, ça m'aide pas, quand j'pense à lui j'vois son sourire énervant là ! commente-t-elle encore, avant de se taire, et d'inspirer. 

Elle pointe l'objet, trace le geste, et annonce la formule. Avenseguim.

L'allume-feu s'élève de quelques centimètres et retombe aussitôt. Tu vois, j'ai pas envie d'penser à Gus, donc ça marche pas, rétorque Alison, un peu vexée de rater coup sur coup. 

L'incompréhension traverse brièvement le visage de Sam avant qu'elle ne saisisse le fond de la question.
 

- Oh. C'est juste plus simple avec un briquet en fait...

Pour pas mal de raisons d'ailleurs. La longueur absurde d'une baguette pour atteindre le bout d'une cigarette, d'abord. Pis bon. L'aléatoire d'un incendio balancé par des gens qui sont pas toujours en pleine possession de leurs moyens, ça peut littéralement faire des étincelles. Même en ayant commencé à apprendre la manumagie, les garçons et elle continuent d'utiliser le briquet en priorité. Ajoutez à cela qu'en dehors d'Ambrose, aucun d'entre eux n'a grandi au sein d'une famille sorcière. Autant dire que la magie n'est que rarement leur tout premier réflexe quand il s'agit de gestes du quotidien.

- Fin j'suppose.

La vérité c'est que Sam s'est jamais vraiment posé la question. Un groupe d'élèves les dépassent, leur conversation mouvementée résonnant dans tout le hall. La batteuse échappe un rire en écoutant se plaindre Alison sur les sujets, redondants, qui reviennent sans cesse depuis au moins un an.

- J'fais même plus gaffe, elle admet.

Les sourcils haussés, Sam guette Alison alors qu'elle dévie sur Ferguson et son sourire énervant. L'agacement de sa camarade est presque palpable alors qu'elle échoue de nouveau, visiblement déterminée à tout rejeter sur son ami comme s'il était à l'origine du problème.

- Quoi, ça t'perturbe tellement ? Se moque gentiment Sam. Il est pas si terrible je jure. T'façon j'ai rien d'autre. Avenseguim ! Elle tente de nouveau en braquant sa baguette sur le briquet.

L'objet réitère son mouvement précédent, comme incapable d'aller plus loin. Frustrée, Sam secoue la tête :

- T'façon c'est sûr ils sont en train d'graille. T'veux manger avec nous ? On peut r'prendre après. Pas forcément avec le briquet, elle rajoute.

Le briquet gît au sol, très semblable à un déluminateur pour n'importe quel adolescent élevé dans les traditions sorcières et les abécédaires magiques. Alison le fixe sans prendre la peine de répondre à la provocation de Sam ; elle veut en finir avec le sortilège du pisteur, ça l'agace d'échouer. Mais seulement quelques secondes après, la Poufsouffle se heurte au même problème que la rouquine, et l'objet reste à leurs pieds, désespérément immobile.

— J'essaye une dernière fois, persiste Alison, incapable de se résoudre à laisser tomber, et incapable de s'imaginer manger en compagnie de Sam et ses amis. Elle ferait tâche, et elle n'a pas tellement faim en plus. Sa baguette tournoie au-dessus du briquet, et la cadette pince ses lèvres, concentrée. Elle visualise l'objet en lévitation vers la Grande Salle où Ferguson doit être attablé. Elle prononce d'abord la formule dans sa tête, puis à haute voix. Avenseguim.

Le briquet prend feu sous les yeux des filles. Il provoque une petite explosion. Rien de très grave, mais de quoi détruire l'objet. Putain, j'ai repensé à l'Incendio, c'est sûr, rétorque Alison. Soudain de mauvaise humeur, elle refuse la deuxième invitation de la Poufsouffle à se joindre à eux pour le dîner et préfère s'isoler. Nan mais c'bon, toi va manger, moi j'dois noter des trucs. Pis faut que j'me change les idées là, j'vais aller me doucher. On remet ça un autre jour ok ? Dis à Gus que j'peux lui payer, son briquet là, ajoute-t-elle en désignant les morceaux de plastique autour d'elles. 

Alison secoue la tête, visiblement plus frustrée que Sam de leurs échecs répétés. De nouveau sa baguette se dresse avant qu'elle ne formule une nouvelle fois le sortilège à l'encontre du briquet : sous leurs yeux écarquillés, une gerbe d'étincelles s'échappe brutalement de l'objet, qui s'enflamme tout seul avant d'émettre un PAF sonore. Les deux filles ont un mouvement de recul. Plus qu'agacée, la Serpentard la congédie purement et simplement, annonçant avoir besoin de décompresser.

- Ok. À toutes alors.

Malgré elle légèrement amusée par la situation, Sam souffle brièvement par le nez, puis s'agenouille devant le briquet encore fumant, dont les parties ont été projetées en tous sens. Il est clairement mort. Tandis qu'Alison s'éloigne, Sam touche plusieurs morceaux pour s'assurer que le tout a suffisamment refroidi, s'affaire finalement à tout récupérer. Rien qu'un sortilège saurait pas réparer.

La priorité reste le dîner, que Sam aimerait ne pas louper. Alors elle a tôt fait de rejoindre son groupe d'amis, sans surprise déjà rassemblés autour de leur table. Elle se laisse choir aux côtés de Gus et tente plus ou moins de capter le sujet de conversation du moment. Pour la plupart des élèves alentours, il s'agit du tournoi, mais son groupe d'amis semble débattre complètement d'autre chose :

- Mais si, r'garde bien t'vois pas ?

- C'est pas sérieux !
- Je jure.
- S'passe quoi ?

- Wickerson s'est teint les ch'veux en vert.

- Ou alors il s'est fait prank, ça peut nan ?

- Ça peut, fin en vrai il a d'jà eu ça plus jeune il m'a dit ! Balance Balthazar, en face d'elle.
- Mais quoi ? J'suis mort. À tout moment il s'fait une crête Balt, il t'admire grave.
- Putain mais c'est vrai en plus ?! Waah.

C'est pas fort visible. À peine, en réalité, sous les lueurs des torches aux murs et des bougies qui flottent dans toute la pièce. Mais c'est indéniable. Les cheveux de leur professeur d'astronomie ont pris une étrange teinte pelouse qui n'a rien à envier à celle de son fils.

- C'est sûr c'est un prank. Mate sa gueule. Balt... Balt c'est toi nan ?
- ...

- Ah j'suis mort !
- Mais nan ?!
- L'matez pas trop ou on est grillé. Bordel, j'vous laisse trente minutes... arrête de t'marrer Balt ! Il va capter j'te dis ! Gus ! Putain vous êtes cons.

N'empêche que malgré elle, Sam se marre aussi, et bientôt certains autres élèves de la table commencent à s'intéresser au professeur bougonnant au bout de la brochette de professeurs.