Poudlard L'extérieur [Terminé] L'insoutenable légèreté du silence
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Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Les nuits étaient fraîches en automne en Ecosse, mais certainement pas autant que les hivers russes et continentaux que Sasha avait connu. Là-bas, bien que tout fût plus sec qu'ici, le froid était si mordant que des moldus trouvaient régulièrement la mort, seulement surpris par la nuit, englué dans la toundra. On disait que c'était une mort douce : on s'endormait dans la neige ou dans la terre comme si ç'avait été un matelas de plume, et bientôt on ne sentait plus sa peau glacée, on sentait seulement l'univers devenir tout blanc, et c'était paisible.

Sasha ne savait pas très bien pourquoi on racontait cela : les nuits dans le froid, il y avait survécu grâce à ses talents magiques, et il n'y avait jamais trouvé une quelconque douceur.

 

Toujours était-il que les nuits écossaises, bien que fraîches, étaient loin d'être insurmontables.

Et au matin, il arrivait parfois ce qui se produisait à cet instant : le soleil avait décidé de se montrer. Il écartait les nuages pour cracher des rayons invisibles mais chauds, séchant les brins d'herbes gorgées de la pluie des jours précédents. Aussi, comme c'était dimanche, un certain nombre d'élèves étaient déjà dehors, en route pour rejoindre le village proche de Pré-au-Lard que Sasha n'avait encore jamais visité. Un bon nombre faisaient bien évidemment la grasse matinée, moins sensibles que d'autres à la rareté du phénomène de cet astre qui réchauffait le parc, et une poignée d'autres étudiants avaient décidé d'une promenade matinale dans le parc.

 

Ce devait être le cas de l'élève dont il avait entendu le pas léger à proximité : là une branche cassée sous une bottine, puis un peu plus proche, une feuille morte écrasée qui crissait sous la semelle. Sasha n'avait pas bougé. Il avait gardé les yeux fermés. A travers les branches et les feuilles attachées à l'arbuste qui le dissimulait, il sentait les tâches de lumière dispensée par le soleil lui réchauffer doucement le visage, les mains posées sur son torse, et sur son ventre à demi-nu à cause de sa chemise qui était sortie de son pantalon. De la boue maculait ce dernier - et en réalité l'intégralité des faces arrières de ses vêtements étaient détrempés vu le temps qu'il avait passé ici. Mais il n'était pas sensible à ce froid que d'autres auraient trouvé désagréable. C'était comme si sa peau était plus épaisse, comme si l'odeur d'humus de la forêt suffisait à rendre cet inconfort agréable, protecteur. De l'extérieur de l'arbuste, on aurait presque rien vu dépasser : peut-être à peine le bout d'une basket, pour quelqu'un de particulièrement observateur.

 

Il serait bien resté là plusieurs heures. Juste à rester les yeux fermés, somnolent, rêvant à toute la chair crue ou cuite que l'on servait sur les tables de Poudlard - cela était un luxe qui, il devait l'admettre, n'avait jamais connu en Ukraine : de la viande à tous les repas.

Mais il n'était plus tout à fait tranquille : la présence était toujours à proximité. Il n'avait pas ouvert les yeux qu'il la sentait tout de même : à cause d'un léger parfum, de légers mouvements de lumière, de ces sons minuscules qui chatouillaient ses oreilles ; des craquements et des froissements à peine audibles.

Bien que ce ne fut pas assez proche pour être menaçant, il consentit malgré tout à ouvrir les yeux, au bout d'un moment, malgré lui.

 

D'abord, juste des tâches noires et blanches, mouvantes, qui devinrent marrons et or, qui se précisèrent en les branches et feuilles qui se découpaient dans le soleil au-dessus de lui. Dans la périphérie de sa vision, une silhouette.

Avec lenteur, pour n'engendrer lui-même aucun bruit, il tourna la tête dans sa direction : une fille.

 

Une fille enveloppée dans une cape épaisse, à la chevelure sauvage, faites de boucles marrons. Il la regarda longuement, l'esprit vide, ou bien plein de cette seule contemplation : une silhouette élégante au soleil. La fille bougea : il aperçut son profil ; un petit nez discret, des lèvres dessinées, le pourtour du visage tout fin comme...

 

Anya Nikitovna.

 

Le nom lui était revenu rapidement. Il ne bougea pas néanmoins. Peu importait son nom, il n'était qu'une créature étendue et dissimulée qui en observait une autre. C'était juste agréable, d'être ainsi, de ne pas exister, de ne penser qu'à ce film qui se déroulait sous ses yeux - les boucles soulevées dans le vent, la main rapide de la jeune fille qui tournait une page du livre qu'elle avait sur les genoux, la courbe de son dos qui s'animait parfois, se creusait au niveau des reins comme une vague se cambrerait à l'approche de la rive.

 

Malgré lui, le bout de son index bougea.

 

Coïncidence, ou alertée par ce mouvement pourtant d'une discrétion suprême, Anya tourna la tête dans sa direction.

 

Il retint son souffle, s'imposa une immobilité parfaite.

 

Mais un moment il en fût sûr malgré le contre-jour : les yeux d'Anya s'étaient accrochés aux siens, au travers des branches.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

Le domaine de Poudlard avait beaucoup à envier aux hectares entiers qui cerclaient Koldostoretv. L'enceinte ne laissait guère l'embarras du choix quant aux endroits où se poster pour ne pas être dérangé. Encore là, ce n'était qu'une question de temps avant qu'un élève ou qu'un groupe entier ne vienne dérober le silence. Anya prenait grand soin de chérir les maigres instants qui lui permettait, ponctuellement, de trouver la solitude. Sereine, elle ne manquait pas profiter de n'importe quel rayon de soleil venu courber l'horizon du matin, pour s'enhardir d'une promenade au milieu du parc. Le plus souvent, c'était le genre d'escapade qui s'échouait contre la rugosité d'un tronc imposant, à feuilleter quelque livre emprunté à la bibliothèque, ou à réviser pour un prochain examen.

 

Ce matin ne faisait guère exception à la règle. Une chaleur timide s'était immiscée entre les habituels nuages grisonnants de l'écosse, berçant le paysage de splendides couleurs automnale qui l'avait poussé à s'extirper du cachot. Anya n'avait mis que quelques minutes à trouver refuge entre les racines imposantes d'un figuier sauvage particulièrement dense. Un simple sortilège la protégeait bien sûr de la rosée glaciale qui n'aurait pas manqué, sinon, tremper son uniforme. Dissimulée en grande partie par les larges branches encore garnies en ce début de saison, la sorcière s'était sentie, sereine, en sécurité. La tranquillité, au château, était une chose rare dont il fallait savoir profiter dès lors qu'elle se présentait. Prise par les lignes manuscrites rédigées de sa propre main, elle n'avait pas tardé à relever la tête pour retracer de ses pupilles noires le trajet d'une lumière orangée nappant la pelouse alentour.

 

Moscou n'avait jamais su offrir de tel spectacle, mais Kodostoretv, si. Entre ses immenses pins, aube comme aurore étaient capables d'apaiser n'importe quelle âme, ses lueurs déployées entre les troncs de la forêt privée dans laquelle pouvaient courir les élèves le matin, ou miroitées sans fin sur la rivière qui la scindait en deux. Combien d'heure y avait-elle passé, avec ses amies, à discuter de rêves interdits ? Les éclats de rire lointain de ces poignées de souvenir semblait faire écho dans le silence assourdissant de cet instant précis, alors qu'elle observait un parc désert à des lieues et des lieues de son pays d'origine. Bientôt la jeune femme s'était redressée pour s'avancer, presque timidement, jusque baigner dans la lumière. Les paupières closes dressées vers le ciel, elle sent la chaleur lui caresser la peau, à la manière d'une mère qui aurait embrassé son enfant.

 

Une fois n'est pas coutume. Anya s'était installée là, en tailleur, déployant un nouvel enchantement pour la maintenir au sec, avant de reprendre sa lecture. 

 

Ce n'est que plusieurs longues minutes plus tard que sa tête se tourne, brusquement, comme prise d'un sixième sens étrange, dans la direction de l'est. Ses iris, virés à l'ambre presque flamboyant, croisent ceux d'un autre élève, tapi là comme un prédateur. Une angoisse fugace la prend aux tripes alors que tout son corps réagit à la présence qu'elle n'a pas entendu arriver, et elle s'en détourne la seconde suivante pour retrouver une composition. Voilà. L'instant est gâché. Comme des centaines d'autres auparavant. Les longues boucles sont agités alors que de nouveau son attention se porte sur le fourrée, ou elle perçoit maintenant qu'elle y regarde plus attentivement, la pointe d'une chaussure, et bientôt ce qui semble être le corps allongé d'un étudiant aux traits finalement familier.

 

- чудак weirdo, elle siffle entre ses dents en refermant son manuel d'un claquement sec pour prendre de la hauteur. Qu'est-ce que tu fous planqué là ? T'as arrêté de jouer les chiens chiens de Carter ? Elle balance en s'avançant d'un pas déterminé.

 

L'égo a pris un coup. Anya déteste être prise par surprise. Encore plus par un type aux manières aussi rustre, qui saurait pas passer inaperçu même en essayant. Alors forcément. Forcément, elle mord. L'observer de tout là-haut a quelque chose de sécurisant qui lui fait oublier momentanément qu'elle n'avait plus aucune idée de ce qui l'entourait pendant plusieurs longues minutes. Son père n'aurait pas été fier d'un tel fait. Son père aurait eu honte.

 

- Tss. J't'ai dis de te fondre dans le décor, Sasha, pas de tremper ton cul dans la rosée.

 

Il perd pas de temps pour les filles, mais pour le reste il est visiblement à chier. Déjà qu'apparemment il suit les cours des cinquième année. Pas qu'elle se soit renseigné. C'est le genre d'information qui circule. Son égo à lui aussi, doit prendre un coup, de se retrouver au milieu d'adolescents plus jeunes que lui, à embrasser une pimbêche qui pense qu'a sa frange.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

L'instant moelleux s'était soudain déchiré, et brusquement la réalité froide s'était imposée : l'humidité lui glaçait le dos, le soleil lui brûlait la rétine. Il n'était pas une créature inaperçue comme un lézard, à contempler, distant, le monde. Le monde l'avait rattrapé de ses crochets sinistres.

 

Sasha avait émit un long grognement, encaissant malgré tout les remarques acides d'Anya. Il roula sur le côté pour échapper aux branches qui le dissimulaient, peut-être aussi pour décrocher son regard de celui, chargé d'un jugement implacable, de la Serpentard. Décidément, les filles de cette maison aimaient piétiner sa dignité. En même temps, il se rappela qu'il n'en avait pas vraiment.

Quand il se redressa, basculant à genoux puis sur ses fesses, cette fois libéré de tout artifice qui aurait pu le dissimuler, le soleil éclaira sa chemise détrempée collée à son dos, tâchée d'herbe et de boue. Il essuya ses mains, elles aussi mouillées, sur le devant de son jean, avant de les passer vigoureusement sur son visage comme dans l'espoir de se réveiller.

 

- J'étais si bien fondu dans le décor que tu t'es mise là sans m'avoir vu, rétorqua-t-il avec amertume. C'est toi qui est aveugle.

 

Sasha n'avait pas su quoi répondre à ce qu'elle avait dit plus tôt. Comment savait-elle déjà, pour Carter ? Ce n'était pas le premier commentaire qu'on lui glissait à ce sujet, alors même qu'il avait dû l'embrasser pour la première fois quelques jours plus tôt. La moitié de l'école semblait déjà au courant. N'avaient-ils rien d'autre à discuter ? S'il y avait bien une chose qui le surprenait, c'était qu'un tel fait eût pu intéresser autant de monde : même des plus jeunes de Gryffondor l'avaient regardé bizarrement, entre désapprobation et admiration. Il aurait juré que c'était parce qu'ils l'imaginaient passer son temps à chasser la Femelle Serpent.

Sasha avait plié ses genoux écartés pour y déposer ses coudes, faire disparaître sa tête au milieu de ses membres avec un gros soupir. Sa bouille féroce réapparut quand il se redressa subitement.

 

- J'suis pas un chien-chien pour Carter, c'était juste comme ça pour lui rendre un service, mais en vrai y'a rien entre nous. C'est pas sérieux, же ! (hein !)

 

Ca lui avait semblé important à préciser, si important qu'il n'avait pas pu empêcher ces paroles de s'échapper de ses lèvres. Il ne savait pas bien pourquoi, mais c'était pressant qu'Anya sût.

 

A la réflexion : si, il savait pourquoi, et c'était peut-être évident pour elle. Sasha scella ses lèvres, un peu piqué au vif d'avoir eu cette réaction subite, qui trahissait trop de lui-même. Pour s'occuper, il se mit à triturer entre ses doigts humides des brins d'herbe arrachés entre ses pieds, le regard tourné vers le lac. La surface parfaite de l'étendue d'eau reflétait le soleil matinal, l'obligeant à plisser les yeux, sa pupille rétractée au maximum. Encore une journée à endurer.

 

Il coula un regard à côté, comme pour vérifier qu'Anya était restée.

 

- Pourquoi ça t'importe autant qu'on s'fasse pas remarquer ? Si t'en as autant rien à foutre des autres, pourquoi tu veux tous qu'on soient invisibles pour eux ?

 

On aurait dit un petit frère accusant sa grande soeur. Ils étaient liés malgré eux, par une histoire invisible et pourtant qui semblait gravée sur leur front à tous.

 


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

Sa posture est rigide, son regard neutre, d'apparence presque blasé. Pourtant elle bouillonne, à l'intérieur, car bien sûr qu'il a raison. Ce sont ses boucles qui la trahissent, brutalement éclaircies sur les pointes, comme prises d'une angoisse propre. Anya n'en perçoit rien, naturellement. Sans doute que ça contraste particulièrement avec le rictus méprisant qu'elle offre à Sasha alors qu'il se défend d'être le toutou de Carter. Un sourcil haussé, elle ne peut s'empêcher de ressentir comme un soulagement au creux de la poitrine. Importun, vraiment. Fatalement que ça la fout sur la défensive, lui faisant claquer une réplique cinglante dont elle ne maîtrise rien.

 

- Ah ouais t'offre ce genre de service toi ?

 

Nan parce que ça sonne vraiment comme s'il faisait le tapin. Ça craint un peu. Ses pupilles sombres sont braqués sur le visage du russe, aussi abîmé qu'elle peut s'en rappeler. Parfois elle se demande si le visage de son frère s'était fait lacérer de la sorte, avant qu'il ne disparaisse complètement de la surface de la terre. Anya ne revient volontairement pas sur sa sous-entendu cécité, préférant de loin prétendre que rien de tout cela n'a d'importance. Ni les balafres de guerre de Shevchen, ni ses baisers volés à Freya Carter, ni sa présence en solitaire au milieu du parc comme s'il cherchait, lui aussi, la quiétude offerte loin d'un château auquel il ne pouvait et ne pourrait jamais se sentir attaché.

 

Pourquoi ne s'en va t-elle pas ? L'instant est brisé. Le russe importun. Sa métamorphomagie retournée à l'état sauvage, comme elle le constate brusquement en percevant dans son champ de vision, la teinte fushia d'une mèche rebelle. Agacée par son propre comportement incertain, Anya se détourne complètement du sorcier pour balayer du regard le paysage. Le lac est serti d'une brume légère qui forme comme un tapis sur sa surface. Si les volutes ne se déplaçaient pas sous les rayons du soleil, on pourrait croire une carte moldue, parfaitement figée tout autour d'eux. Ne perce le silence léger que le piaillement de quelques oiseaux perchés dans les hauteurs, profitant pleinement des quelques semaines de végétation qu'il leur reste.

 

Elle ne répond d'abord pas à la question qui surgit d'entre les lèvres rustres, comme s'il ne s'était agit quelque part que d'un insecte qui s'en irait aussitôt. Mais finalement son visage pâle se tourne vers Sasha, ses sourcils froncés, deux billes noires sondant son vis-à-vis avec intensité.

 

- Побеждают те, кто не выделяется. Ceux qui ne se font pas remarquer remportent la victoire. Вас этому в армии не учили? Мы видим тебя, ты мертв. Вот так оно и есть. Вам не кажется, что мы недостаточно видим себя такими? Оно говорит о нас только тогда, когда мы проходим по коридорам. On ne t'as pas appris ça, à l'armée ? On te voit, t'es mort. C'est comme ça. Tu crois pas qu'on nous voit pas assez comme ça ? Ça parle que de nous quand on passe dans les couloirs. Elle se penche en avant, imitant les pires de ceux dont elle a pu être témoin. Regarde, ce sont les élèves de Russie. Ce sont les élèves de l'école bombardée. Ce sont des orphelins. Leurs parents sont morts à la guerre. Ils sont bizarres, tu trouve pas ? Ils sont froids. Tu crois qu'ils sont morts à l'intérieur ? Il parait que là-bas on sépare leur âme de leur corps pour ne pas qu'ils ressentent leurs émotions pendant les duels. Послушай, о чем они говорят, Саша. Я скорее притворюсь невидимкой, чем притворюсь частью их лицемерного мира. Écoute ce qu'ils racontent, Sasha. Je préfère prétendre être invisible que prétendre faire partie de leur monde hypocrite.

 

Être invisible plutôt que rendre service au premier venu, dans l'espoir de faire partie d'une communauté qui de toute façon finira par se foutre de toi, sans essayer un seul instant de comprendre d'où tu viens, où tu vas.

 

- Они все громко говорят, но никуда не идут. Они боятся плохих оценок, некрасивой одежды, своей тени в коридорах. Они стоят там, где все на них смотрят, и боятся того, что о них подумают люди. Ils parlent forts eux tous, mais ils vont nulle part. Ils ont peur des mauvaises notes, des fringues moches, de leur ombre dans les couloirs. Ils se mettent où tout le monde les regarde, puis ils ont peur de ce qu'on va penser d'eux. Это смешно. C'est ridicule.

Sa verve est rapide, méprisante. Avant de s'éteindre complètement. Interdite, elle se demande encore plusieurs secondes pourquoi elle a pris le temps d'étirer une réponse aussi précise. Aussi franche. Son regard tombe sur les cicatrices qui parsèment les mains du sorcier. Anya a un mouvement de menton un peu sec.

 

- C'est quoi qui a fait ça ? Elle redresse la tête pour rencontrer le regard de Sasha, sincèrement curieuse.

La guerre, elle détestait entendre son père en parler. Son frère en rêver. Mais depuis qu'ils sont partis tous les deux, que sa mère n'est plus là pour lui rappeler les faits extirpés méthodiquement de chaque gazette, ça lui manque. Paradoxal. Importun. Le sentiment morbide de vouloir savoir, même si lorsqu'elle en aura l'image, elle préfèrera ne pas avoir su. Certainement.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

- Pourquoi, t'es intéressée ?

 

Sasha avait répondu du tac au tac à la première question d'Anya, comme pour la défier. Et pourquoi pas, si elle disait oui, il dirait pas non. Mais ce n'étaient que des pensées en l'air, qui s'envolèrent avec les feuilles mortes repoussées par le petit vent frais qui se levait. Il frissonna, se contenta de scruter de nouveau les brins d'herbe qu'il déchiquetait en morceaux minuscules entre ses doigts abîmés.

 

Il n'empêchait, il écoutait attentivement Anya. Sa tirade lui déplut au début, parce qu'elle l'accusait plus ou moins directement de ne rien comprendre, mais bientôt, il sentit son coeur battre plus fort, plus vite. Elle avait raison. Les anglais parlaient sur eux tout le temps, et pas dans les termes les plus tendres. Du moins c'était ce que Sasha s'imaginait, parce qu'il n'entendait que rarement ces propos échangés à voix basse. Mais il croyait Anya sur parole. Et leur manie des apparences l'agaçait aussi - Alison en était l'exemple parfait. Ils pensaient tous, comme Alison, qu'ils étaient des rustres, bons qu'à arracher des têtes et massacrer des plantes.

Alors Sasha resta silencieux, les lèvres pincées. C'était sa manière d'acquiescer. Une mine pas bien différente de lorsqu'il n'était pas d'accord. Mais son absence de grognement devait peut-être se comprendre. Ce n'était peut-̂etre pas encourageant, mais pas décourageant non plus.

Il s'humecta les lèvres, releva le nez pour attraper le regard d'Anya, méfiant.

 

Elle l'enhardissait avec ses beaux discours, puis elle posait une question personnelle. A quel point devait-il considérer ça suspect ? Il baissa les yeux sur ses mains.

 

Ses cicatrices étaient des entailles noires, plus ou moins profondes, qui lui zébraient les doigts, les paumes et le dos de chaque main, de façon désordonnée. Elles boursouflaient sa peau, conféraient à ses mains des allures de pattes animales, griffues. Pourtant, il les avait mille fois lavées, avait taillé ses ongles le plus court possible, avait jeté des sortilèges de retrouver l'apparence de sa peau d'origine : rien n'avait fonctionné. Elles restaient ainsi, marbrées.

Il les fit rentrer dans son pull comme un chat aurait rétracté ses griffes. Il sembla réfléchir.

 

- Des griffures de... de créatures ennemies.

 

Assez précis pour la contenter, jugeait-il. Assez flou pour ne pas la laisser imaginer quoi que ce fut. Il déglutit, la mine fermée, adressant de nouveau à Anya un regard en coin. Elle n'était toujours pas partie. Pourquoi ?

 

- T'es méta, il dit comme une constatation.

 

Evidemment, il ne lui apprenait rien. Lui l'avait soupçonné, mais c'était plus clair maintenant qu'il avait vu ses cheveux changer de couleur au niveau des pointes. Sasha s'humecta les lèvres en continuant de la scruter, comme avec hésitation, ou prudence. Comme s'il n'avait pas voulu la faire fuir, quand bien même il avait lui-même rentré la tête dans les épaules, vigilant.

 

- C'est... très utile, sur le terrain, souffla-t-il lentement.

 

Sur le terrain, c'était évidemment à la guerre. Prendre l'apparence de l'ennemi était un avantage extrêmement recherché. Pour pouvoir collecter des informations, pour pouvoir en disséminer de fausses. Pour aller déposer une bombe.

Sasha s'ébroua, bien conscient que ce n'était probablement pas des choses qu'elle envisageait. Mais lui avait entendu parler des métamorphomages, quand il était engagé. Tout le monde les admirait. Les copains racontaient des histoires folles à leur sujet. Le camp qui en avait le plus pouvait complètement désorienter l'autre. Certains disaient que les gouvernements locaux pratiquaient de drôles de rituels pour augmenter la probabilité que la conception entre sorciers donnassent lieu à des enfants métamorphomages. Il frissonna à cette idée, et son regard s'en retourna fixer le lac loin devant eux.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

La rougeur qui l'avait gagné, discrète, sur la pointe des deux oreilles, avait fini par s'estomper. Non. Elle n'était pas intéressée. Merci bien. L'image, pourtant s'était englué dans la rétine. Anya n'avait guère la moindre expérience avec les garçons, et elle pouvait se montrer extrêmement prude sur le sujet. Les effets d'une éducation traditionnelle qui avait laissé ses marques. Des marques moins visibles que les abominables cicatrices couvrant les mains et certaines autres parties du corps de Sasha, qu'elle n'avait certainement pas remarqué. Au terme de créature, les yeux s'étrécirent, comme cherchant à comprendre précisément ce qu'il sous-entendait par là. Ni son père, ni son frère, ni même sa mère, n'avaient jamais évoqué la moindre créature dans les camps ennemis. Tant de choses ignorées sur les réalités de ce qui pouvait bien se dérouler loin du confort de la maison ou de l'école. Tant de choses qu'on lui refusait encore de comprendre.

 

La rétractation des mains sa Sasha, cependant, l'empêchèrent de le questionner plus avant. Ses lèvres se scellèrent en une ligne étroite. Elle demeurait là, comme incapable de bouger. Stupidement planté dans le sol à moins d'un mètre du sorcier, rigide dans des souliers imbibés de l'humidité ambiante, alors que lui restait au sol à la mater le cul dans la rosée. La question la voit attraper une mèche de cheveu au vol, par réflexe, comme pour en dissimuler les changements de couleur incontrôlés. Un grondement sourd s'extirpe d'entre ses lèvres en même temps qu'un défensif et ? qu'elle serait bien en mal de contrôler également. Pour finalement le fixer avec une hargne étrange, probablement incrédule. Utile sur le terrain ? Elle voudrait croire qu'il se fout de sa gueule, mais il en a pas l'air. Le nez retroussé, les iris écartelés, elle demeure silencieuse quelques secondes de trop avant de secouer la tête.

 

- Я не знаю, в какой пещере ты живешь, Саша, но метаморфомагов не тех, кого мы отправляем первыми на фронт, тем более, если это женщины. Je sais pas dans quelle grotte tu vis, Sasha, mais par chez les métamorphomages ne sont pas ceux que l'on envoie en priorité sur le front, encore moins si ce sont des femmes. 

 

C'est craché dans l'air comme une boule de mépris. Par chez elle, on appelait ça une malédiction. La malédiction des visibles. Ceux dont tout l'intérieur est étalé à tout vent, comme un livre ouvert. Anya n'était pas sans connaitre le concept d'espionnage, et de l'usage des métamorphomages dans ce domaine spécifique. Mais alors on ne les considérait jamais que comme des armes sensibles. Des armes imprévisibles. Personne n'avait de respect pour les gens de son espèce. À raison. C'était un combat de tous les jours que de conserver la surface lisse qu'elle délivrait au monde, encore plus ces derniers mois. Non, non les métamorphomages ne sont d'aucune utilité. Les métamorphomages sont des anomalies. L'essence d'une tare qui sévit sur le pays depuis des générations. Immobile, Anya parcourt l'expression de son vis-à-vis, dans l'espoir peut-être d'y trouver la moindre trace de moquerie, comme elle pouvait la trouver régulièrement chez son frère lorsqu'il évoquait sa malédiction. Elle n'en trouve aucune.

 

- Я хотел драться. Je voulais me battre, elle prononce finalement comme une confession chuchotée dans le vent. Son corps s'affaisse pour s'accroupir, se placer à la hauteur de Sasha. Меня забанили. Мой брат смог поехать, а не я. Рассказывать. Что это были за существа ? On m'a interdit. Mon frère a pu aller, pas moi. Raconte. C'était quoi les créatures ? Elle réclame, se faisant brutalement l'effet d'une enfant alors que ses yeux questionnent, cerclés de lueurs étrangement aussi dorées que le soleil sur leurs deux visages.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Il avait enfoncé un peu plus la tête entre ses épaules, si c'était encore possible, en détournant le regard. Il sentait une drôle de brûlure au fond de l'estomac, un truc qui tordit sa bouche quelques instants, lui donnait un goût amer tandis qu'il s'obstinait à rester silencieux.

La vérité, c'était que Sasha n'en savait rien, de ce qui se disait en dehors des grottes que lui avait traversé. Il venait d'un petit village, et ce qui se disait là-bas et sur le front n'était sûrement pas ce qui se disait de là où venait Anya. Il voyait bien, qu'elle était plus cultivée que lui, et que ce ne devait sûrement pas être seulement parce qu'elle était restée plus longtemps que lui sur les bancs de l'école.

 

Alors il resta silencieux de nouveau. Décidément, leurs conversations étaient comme ça : remplies de silence.

 

Ce fut elle qui parla de nouveau, et Sasha dut se concentrer pour ne rien laisser transparaître de sa surprise sur son visage. Il risqua néanmoins un regard, parce qu'elle s'était accroupie de lui, et de nouveau son coeur se mit à battre avec sa suspicion habituelle. Est-ce que ce frère qu'elle évoquait, c'était un prétexte pour percer ses défenses ? On lui en avait tant dit sur les femmes russes que l'on utilisait comme espionnes. Autant que sur les métamorphomages, mais soudain il se demandait si tout cela était vrai, ou si c'étaient des choses que les sorciers se racontaient entre eux pour s'occuper pendant les nuits trop longues et trop noires.

Pourtant, la confession de la jeune femme sonnait vrai. Il avait envie d'y croire. C'était peut-être à cause de son visage si harmonieux, de son mouvement souple lorsqu'elle s'était accroupie. Tu es faible, tu es faible, tu es faible, se répéta-t-il intérieurement, mais cela ne changeait rien. C'était trop tard.

Il s'humecta les lèvres. La millième fois depuis qu'elle était arrivée. C'était comme un tic qu'il ne pouvait empêcher.

 

- Ты ничего не пропустил, il finit par croasser à voix basse, tâchant de dire cela avec suffisamment d'assurance, mais il ne savait pas s'il donnait le change. (T'as rien manqué.)

 

Est-ce qu'il devait lui dire, pour les créatures ? Que risquait-il ? Il ne donnait aucune information capitale. Il baissa les yeux, pour regarder ses mains, mais elles n'apparurent pas. A peine le bout de ses phalanges se montraient-elles, mais pour mieux verrouiller l'entrée de ses manches à la manière de griffes refermées sur un tissu trop tendre.

 

- Инферис, ты знаешь, что они такое ? (Les inferis, tu sais ce que c'est ?)

 

Est-ce qu'on étudiait cela, à Poudlard ? Est-ce qu'on parlait de ce genre de créatures aux enfants qui étaient si inquiets pour leurs coiffures et leurs chaussures ?

Sasha s'obstina à contempler l'espace entre lui et ses manches, comme s'il s'y était trouvé quelque chose d'invisible. Il déglutit avant de prendre une inspiration, comme pour mieux tasser des choses au fond de lui, être sûr qu'elles ne sortiraient pas avec les mots qui s'échapperaient de ses lèvres.

 

- Это мертвецы на поле боя. Есть колдуны, которые их завораживают, а потом нападают, с... деформированными руками. Как когти. (C'est les morts du champ de bataille. Il y a des sorciers qui les ensorcèlent, et après ils attaquent, avec des... des mains déformées. Comme des griffes.)

 

C'était l'un des milles cadeaux de la Magie Noire apportée dans la guerre par les sorciers de cette partie du monde. Sasha serra les dents, osa un regard prudent vers le visage d'Anya.

 

- Твой брат еще здесь ? (Il y est encore ton frère ?)

 

Il se doutait bien que c'était la question à ne pas poser. Mais c'était mieux qu'il sût.

 

- Колдуют в основном маглы, il se hâta d'ajouter. (C'est surtout des moldus, qu'ils ensorcèlent.)

 

Il préférait préciser. Parce que si son frère n'était pas revenu de là-bas, ou si elle n'avait plus de nouvelles, elle savait ce qu'elle s'imaginerait.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

Des inferis. Bien sûr, Anya connait le terme. L'a lu dans les manuels de la bibliothèque de Koldostoretv alors qu'elle n'avait que douze ans. Elle s'était imaginé alors ce qui se passerait si tous les morts des cimetières se dressaient soudain de leur tombe, pour envahir les rues de Moscou. L'image ne s'était jamais vraiment éloignée de son esprit. Il ne lui était jamais venu à l'idée qu'on puisse éveiller les soldats tombés sur le champ de bataille. Un frisson lui remonta l'échine alors que le visage de son frère s'imposait à elle, décharné, extirpé de la terre. Demeurée silencieuse, figée comme un animal prit dans les feux d'une voiture, Anya ne se sentit pas soulagée d'entendre que l'on ensorcelait surtout des moldus. On eut dit le genre de réplique rassurante que lui murmurait sa mère lorsqu'elle demandait des nouvelles de son père, s'il rentrerait bientôt à la maison.

 

Il va rentrer Nikita, il rentre toujours, la guerre tue les faibles avant tout, et ton père est un homme fort. Parfois, les choses que l'on refusait de s'imaginer pour notre propre santé mentale devenait une terrible réalité, et elle l'avait appris de la pire des manières. Recroquevillée sur elle-même dans une position presque similaire à celle de Sasha, elle ne prit pas même une seconde pour lancer un sortilège au sol, et se retrouva léchée par l'humidité ambiante. Glaciale, elle eut le mérite de la rappeler à la question de Sasha, encore suspendue dans l'air. Sa tête demeura affaissée, son regard sur le sol tandis qu'elle admettait sourdement :

 

- Предположительно погиб на фронте. Présumé mort sur le front.

 

Cinq mots qui avaient tout fait basculer, un mercredi, serrés les uns contre les autres sur un morceau de parchemin bien trop blanc et bien trop lisse qu'elle avait depuis conservé. Son visage se redressa, d'une neutralité étrange, tandis que la silhouette frêle se repositionnait pour s'accroupir de nouveau, se lever d'un seul mouvement. Sa baguette s'extirpa de sa poche, et elle se sécha d'un informulé comme si l'instant qui venait de passer n'avait pas existé. Présumé mort sur le front, c'était mieux que mort au front. Longtemps, elle avait gardé l'espoir d'un autre parchemin blanc et lisse qui viendrait annoncer le retour de Pavel, infiltré depuis tout ce temps chez l'ennemi pour les avoir de l'intérieur. Les années étaient passées, et l'espoir était mort avec elles. Pour son père, il n'y avait eu aucun espoir.

 

Les yeux secs se posèrent de nouveau sur le paysage. Des élèves étaient venus entacher la carte postale, leurs rires se répercutant sur le lac, et sur les troncs hirsutes de la forêt juste derrière. Sasha avait combattu, des sorciers, des inferis, et il avait survécu. Les cicatrices à ses mains n'étaient-elles pas finalement la preuve d'un homme fort que la guerre n'avait pas tué ? À moins que l'injonction à rentrer n'en ait été l'unique raison. Il paraissait fort, cependant. Fort, et à la fois faible, au milieu de cette école dans laquelle il ne semblait pas avoir sa place. Elle reporta son attention sur lui, et questionna presque brutalement, comme un défi, ou une accusation :

 

- Si tu pouvais repartir , te battre, tu irais ?

 

Il était facile de rejeter la faute sur les ordres, lorsqu'ils couvraient une forme de lâcheté. Il a tort. Elle a tout manqué. C'est le ressenti qu'elle a toujours eu, qu'elle continue d'avoir. C'est ce qui la fait s'entrainer si dur. Elle n'a pas pu se battre, mais elle prouvera qu'elle aurait pu.


Sasha Shevchen , Parc du château, le 26/09/2124

Il n'avait rien répondu au sujet du frère présumé mort. Présumé mort, pour Sasha, ça voulait dire mort. Mais pour elle ? Il aurait peut-être dû présenter ses condoléances. Mais ne devait-on pas avoir une forme d'empathie, quand on transmettait ses condoléances ? Il ne ressentait rien du tout. La réponse d'Anya n'était que pure logique. Il préféra respecter le silence que perturbaient quelques voix, à bonne distance d'eux. Des élèves qui riaient, comme dans un autre monde. Inconscients.

 

Le regard soudain d'Anya lui fit avoir un mouvement de recul.

 

- Evidemment qu'j'irai !

 

Il avait presque craché en s'exclamant, comme si la question était en soi une insulte. Finalement, il comprenait peut-être la frustration d'Anya de ne pas avoir été autorisée à aller se battre. En même temps, paradoxalement, il trouvait mieux qu'une fille comme elle n'y fut pas allée.

Il s'humecta les lèvres avant d'ajouter en parlant plus lentement, comme pour se donner le temps de retrouver une contenance plus apaisée.

 

- Et dans les rangs, des fois, y'a des filles. Elles sont venues même qu'elles avaient pas le droit.

 

Il n'y en avait pas beaucoup en réalité, et elles ne duraient pas longtemps, de son expérience. Non pas qu'elles fussent moins fortes ; la réalité était que pour elles, la guerre était dure parce qu'en plus du combat, il fallait supporter des armées de camarades qui bavaient devant la perspective de se rapprocher de l'unique fille disponible dans les parages. De l'expérience de Sasha, ces filles s'échappaient vite. Enfin, il espérait que celles qu'il n'avait pas revu avait bien disparu de leur propre volonté.

Cette pensée l'incommoda et il la repoussa - il n'y avait jamais pensé avant. Sûrement que ce n'était que l'effet de l'endroit où lui avait combattu, se rassura-t-il. On disait que les sorcières s'étaient très bien mêlées à d'autres batailles magiques, au point d'en être les principales artisanes, dans d'autres régions du continent. Et tant d'entre elles pouvaient aussi être de très bonnes espionnes. Cela, il en était tellement sûr qu'il décocha un regard suspect vers Anya. Mais il n'y avait sur le visage de la jeune fille que cette expression de femme indépendante et rebelle.

Sasha déglutit, bougea comme pour s'asseoir plus confortablement, essayant de ne pas paraître perturbé par la proximité de la russe.

 

- Il s'est battu où, ton frère ? il dit sur le ton de la conversation.

 

Sous-entendu : il était dans quoi ? Il se battait pour qui ? Sasha n'arrivait pas à poser la question franchement : se battait-il pour la Division Obscuro ? Il avait ce mauvais pressentiment, qu'Anya et lui ne faisaient pas partis du même monde, même s'ils étaient tous les deux des réfugiés pour les autres élèves de Poudlard. Comme les faces d'une même pièce, ils étaient forgés dans la même matière mais ne pourraient jamais se rencontrer.

Ou peut-être qu'il se faisait des idées.


Anya Nikitovna , Parc du château, le 26/09/2124

De sa hauteur, Anya domine entièrement Sasha, et elle se contente de hocher la tête pour approuver une réponse qu'il crache aussi brutalement qu'elle a posé sa question. Bien. À la mention des filles, cependant, un poing se serre et se déserre involontairement tandis qu'elle secoue la tête imperceptiblement, un juron entre les lèvres pratiquemment inintelligible.

 

- Bullshit.

 

Elle n'en a jamais entendu parler. En fait, de son école, elles n'étaient qu'une poignée à avoir annoncé vouloir se battre, le reste se réfugiant derrière l'interdit gouvernemental pour se rassurer sur le fait qu'elle n'en avait guère ni l'ambition, ni l'envie.

 

- Samara.

 

C'est le seul nom qu'elle avait retenu. Le dernier où Pavel avait mis les pieds, avant qu'on le considère mort au combat. Avant cela ? Il y en avait eu d'autres, certainement. Probablement avait-il combattu à Rossoch, ou était mort leur père avant qu'il ne parte lui-même sur le front. La Division envoyait ses soldats partout où les tensions devenaient trop brûlantes, pour des missions toujours plus périlleuses dont la presse ne parlait pas toujours de manière très détaillée. Tout au plus les lieux du conflit, la liste des soldats tombés sur le front, les actes les plus héroïques dédiés à l'avancée du FMU. Anya détenait dans ses effets personnels une médaille du parti, décoration d'usage léguée à la famille lors du trépas d'un officier. Elle n'avait rien pour lui rappeler Pavel, cependant, que le nom d'une cité depuis longtemps détruite. Son seul honneur était encore de ne pas avoir été considéré déserteur.

 

Aucun des combattants de Samara n'avait été considéré comme déserteur : le point noir du pays avait exterminé trop de jeunes pour que l'on considère jeter la menace d'une trahison nationale à la tête des familles des victimes.

 

- Ça importe pas, , elle déclare subitement en dardant ses yeux noirs sur le visage du sorcier. Ça importe pour qui, et pour quoi.

 

Les raisons qui avaient poussé Pavel a quitté le foyer, à rejoindre les rangs de la milice pour imiter un père qui leur avait toujours appris à se battre pour les principes de leur immense pays, étaient ce qui déterminait son honneur dans la mort. Au-delà de ne pas être un déserteur, il avait été un soldat dévoué. Cela, rien ne pourrait le lui enlever, pas même Samara.

 

- Я читал, что мы ночью отбили Бровары. Скоро, Киев. Вы увидите. J'ai lu on a repris Brovary dans la nuit. Bientôt, Kiev. Tu verras, elle énonce avec une fermeté implacable, et une absurde fierté. Если хотите, я могу поделиться с вами газетой. Не тот, что здесь. Они ничего не говорят. Это страны. Si tu veux je peux partager la gazette avec toi. Pas celle d'ici. Ils racontent rien. Celle du pays.

 

Les numéros de l'Unificateur s'empilaient dans la malle de son dortoir, religieusement.

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