Lorsqu'elle avait appris la vérité, Anya s'était sentie absurdement trahie. Elle ne s'était guère rapproché de Sasha, mais une certaine confiance s'était insallée dans leur réunion quotidienne autour de l'Unificateur. Anya savait que d'autres dans l'école lisait ce journal. Tous expatriés de Koldostoretv, comme elle. Il était évident que l'on ne quittait pas le pays sans tâcher d'y garder une attache quelconque. Mais elle n'avait jamais eu le sentiment qu'ils puissent y voir autre chose qu'un simple journal, comme son camarade Gryffondor. Il semblait aussi essentiel pour Sasha de lire les articles de l'Unificateur que de respirer. Cela trouvait un écho en elle.
Alors.
Lorsque la rumeur l'avait gagné, chuchotée par plusieurs filles de la salle commune à quelques mètres à peine, elle n'y avait d'abord pas cru. Ça ne pouvait simplement pas être. L'école n'avait jamais annoncé recevoir d'autres élèves que les survivants de Koldostoretv. Il n'avait jamais été question d'ukrainiens. La rumeur cependant, s'était avéré être un fait. Pur et simple, confirmé par le principal concerné à de nombreuses occasions, tant et si bien que les amies d'Alison Carter n'en référait plus comme du russe de Gryffondor ou du petit-ami d'Alison, mais comme de l'ukrainien. Anya n'en avait guère parlé à Sasha, qui continuait avec elle à converser en russe, et à feuilleter les pages de l'Unificateur. Chaque. Jour.
Elle s'était rappelé alors que certains ukrainiens parlaient le russe, chez eux, car beaucoup de traîtres à leur patrie étaient partis y vivre. Elle avait noté, méticuleusement, chaque inflexion, chaque mauvaise prononciation, chaque expression, et elle s'était questionné sur la raison qui poussait cet ukrainien à lire son journal chaque matin. À converser avec elle dans un russe imparfait, à continuer de lui faire croire qu'il était de son côté, alors qu'il avait vraisemblablement combattu dans les rangs du VAL, pour l'AMI. Plusieurs fois elle avait dardé sur lui des yeux noirs comme du charbon, et es mèches s'étaient assombries avec une brutalité qu'elle n'avait guère maîtrisé.
Sasha avait continué de mentir. Et elle n'avait rien dit.
L'ennemi, Nikita on l'observe d'abord. C'est ce que son père lui avait enseigné, et elle se demandait si ce n'était pas ce que le père de Sasha ne lui avait pas enseigné aussi.
Elle avait appris plusieurs choses de ses observations. Sasha Shevchen prêtait toujours attention à plusieurs choses lorsqu'il entrait dans une pièce. Il mesurait d'un regard la distance qui le séparait de la prochaine sortie. Il cherchait ensuite les personnes dans la pièce qui semblait les plus en mesure d'imposer une menace. Puis il se focalisait sur la tâche qu'il avait à faire, pleinement, et avec une détermination militaire. Jamais il ne se détendait complètement, les épaules tendues, les yeux qui fuyaient avec régularité vers les points cités plus hauts comme pour s'assurer que leur présence n'avaient pas changées. Sasha ne savait pas porter son uniforme, et il ne semblait pas s'en formaliser, qu'importe le nombre de fois que des personnes pouvaient le lui signaler à mesure de sa journée. Il passait tout le temps qu'il ne passait pas en classe dehors, loin du château et de la surveillance constante de son personnel. Elle avait aussi appris qu'il mangeait comme quatre, qu'il suivait Alison Carter comme un chien, et qu'il peinait à formuler ses sorts en anglais quand les professeurs l'y forçaient car il ne semblait pas du tout désireux de le perfectionner.
Anya n'imaginait pas apprendre davantage de l'ukrainien, et elle avait décidé qu'aujourd'hui serait un bon jour pour le confronter. Elle n'avait guère répondu à sa salutation, pas plus qu'à sa question deux faits qu'il semblait prendre pour acquis car il l'avait docilement suivi jusque la salle de classe dans laquelle ils se retrouvaient quotidiennement. La sorcière s'installa comme à son habitude, mais lorsque le Gryffondor fit de même, attendant vraisemblablement qu'elle tire le numéro de l'Unificateur de sa pochette, elle resta simplement à le regarder. Un silence étrange les traversa tous les deux alors que dans leurs yeux se dessinaient une conjoncture nouvelle, presque tangible, d'un froid diablement mortel. Ce n'est qu'au bout de précieuses longues secondes qu'Anya, les doigts refermées sur sa baguette à l'intérieur de sa poche, aboya :
- Ты лжец, Саша Шевчен. Tu es un menteur, Sasha Shevchen.
Pour ponctuer sa réplique, elle cracha dans la direction de l'ukrainien, et ses mèches semblèrent s'assombrir au même titre que son regard prenait un éclat dangereux.