



Employé chez Zonko 22 ans Sang-Mêlé·e Américaine Notoriété
Médium 38 ans Sang-Mêlé·e Britannique Notoriété
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Pensées dérangeantes
Erika ne bouge pas.
Le bois sous nos doigts est tiède. Sa main reste en suspens, l’ongle accroché au vernis comme si c'était une peau. Elle a entendu la chaise, la voix. Elle a compris les mots. Mais tout ça flotte un peu, comme dans l’eau trouble. Comme si les choses arrivent en décalé. Comme si elles ne sont pas tout à fait réelles.
L’autre en face s’excuse.
Comme si ça voulait dire quelque chose !
Comme si ça pouvait suffire.
Je lève les yeux.
Ses prunelles s’arrêtent sur la nouvelle venue. L’image met quelques secondes à s’imprimer, à devenir cohérente pour moi.
C’est elle. C’est bien elle. C’est cette bouche. Ces yeux. Sa manière de se tenir.
C’est tout ce qu’on peut retenir.
Je pourrais l’aimer, elle aussi.
Si elle voulait bien se taire. Si elle arrêtait de trembler de la face.
Si elle me laissait l’enlacer. Juste un peu. Juste assez pour que je puisse la comprendre. L’écouter de l’intérieur.
Mais elle est comme les autres. Pas vraie. Pas entière.
Pile à l’heure.
Erika prononce les mots sans y penser, sans les choisir. Ils coulent hors de sa bouche comme une chanson oubliée. Elle les regarde tomber entre elles deux. Un murmure.
Sa voix est jolie. On dirait un fil de soie autour de mon cou. Si je tirais dessus, doucement… est-ce que ça ferait un bruit délicieux ? Non. Pas tout de suite. Juste un craquement discret. Comme une coquille vide qu’on écrase.
Je détourne vaguement la tête, mes yeux glissent sur les autres. Elle aussi, elle est belle. La brune qui regarde.
Puis Erika observe la fille à notre table. Il y a une peur là, quelque part. Un doute. Et je le sens comme une chaleur dans ma poitrine.
L’angoisse de l’inconnu au comptoir. Pas de moi, on le devine. Ce n’est pas pareil. Et ce n’est pas encore suffisant.
Mais ça viendra. La peur, c’est comme un parfum. Il faut le laisser se poser sur la peau. Le laisser s’infiltrer. Et après, il ne part plus.
Pourquoi tu le fuis ? Je souris. Doucement.
Erika veut comprendre. Les gens veulent toujours comprendre. Comme si comprendre rendait les choses moins vraies. Moins tranchantes.
Mais ce n’est pas une question de pourquoi. C’est une question de mimétisme.
Elle penche légèrement la tête. Il est là pour toi, à ton avis ?
Maintenant, c’est l’heure d’un silence. Celui qui vient après. Celui qui reste.
Mes yeux glissent vers le miroir, puis reviennent. Je ne regarde pas vraiment celle en face. Je la respire. Je m’enivre. Chaque mot, chaque geste qu’elle peut faire.
Si je lui ouvrais le crâne, tout doucement, est-ce que je trouverais la peur là-dedans ? Est-ce qu’elle a une forme, la peur ? Une couleur ? Une texture ?
Je pourrais y plonger les doigts. Les plonger et y goûter. Comme un bonbon fondu.
Mais je ne bouge pas. Erika reste là. Immobile.
Parce qu’il faut attendre. Parce que c’est encore trop tôt.
Et dans un coin de ma tête, très doucement, quelque chose tape.
BAM
BAM
BAM
Erika est encore là.
Mais pas pour longtemps.