Les odeurs de parchemins se mélangent aux parfums des nombreux employés et à l'huile utilisée pour lustrer le bois. Marley sent ses narines vibrer comme si elles avaient besoin d'attraper la moindre trace de ce monde nouveau. Il voudrait s'accroupir et coller son museau contre le bord des meubles, prendre l'empreinte olfactive du gigantesque Ministère, faire taire sa curiosité. Mais Owen n'a eu de cesse de lui répéter " On ne renifle pas. " On ne renifle pas les gens, on ne renifle pas le revêtement du siège dans le train, on ne renifle pas les rampes d'escaliers. Alors le rouquin se contente d'inspirer largement les effluves des couloirs, caché à moitié par l'ombre de son père. Celui-ci l'empêche de reculer lorsque la porte du bureau s'ouvre et qu'un homme en sort.
— Bonjour, répond le colosse en posant sa main entre les épaules du gosse. Merci, ajoute-t-il, poussant doucement l'enfant vers l'intérieur de la pièce. Entre Marley. Le coeur de Marley palpite en dépit de son apparence presque calme. Il obéit un peu vite à l'ordre et ses baskets crissent sur le parquet ciré. Dis bonjour, se contente d'exiger Owen Carter en tirant un siège pour son fils avant de s'asseoir à son tour. Leurs silhouettes paraissent encore plus opposées entre les accoudoirs, trop écartés et trop hauts d'un côté, et inexistants, avalés par la carrure du sportif de l'autre côté. Bonjour, souffle timidement Marley, le vieux sac en cuir serré dans ses bras. Ses prunelles s'élèvent en direction du chef des Aurors tant qu'il parle à son père, et s'enfuient alors que le silence revient un court instant. Il n'a jamais vu autant d'êtres humains que depuis le début de leur voyage vers Londres.
La voix désormais familière d'Owen lui rappelle l'objet de cette excursion. Marley l'écoute, un œil vissé sur ses grandes mains, l'autre dévisageant parfois le brun qui se tient en face d'eux. Comme je l'ai écrit, ma femme, Kate Carter, a disparu depuis le printemps 2113. Une enquête avait été ouverte en juillet de la même année, et refermée, contre ma volonté, en juin 2114. La voix de l'ancien poursuiveur d'équipe nationale d'Écosse avait résonné si fort dans l'atrium que les vitres ont fissuré, disaient les journaux de l'époque. Il paraît qu'on avait dû le menacer d'enfermement à Sainte Mangouste et de placer les trois filles Carter en foyer pour le dissuader d'insister plus lourdement. Bon de mon côté, j'ai continué à chercher, vous auriez sûrement fait pareil si ça avait été votre femme, se défend l'homme en frottant sa barbe rousse irrégulière, piquée de rares poils blancs. Il contracte la mâchoire, heurté par les critiques de la presse à scandale qui le désigne en mauvais père, l'accusant d'avoir tout abandonné depuis la disparition de Kate Carter. Ça a pris le temps qu'ça a pris, mais j'ai remonté des pistes jusqu'à revenir cet hiver à l'ouest en Écosse, à Puck's Gleen, ça doit vous parler ? La péninsule de Cowal est connue pour un épisode phénoménal de propagation de la lycanthropie en 2118, les autorités et les hôpitaux magiques des îles britanniques sont bien au courant, le phénomène encore loin d'être maîtrisé.
Owen retire le vieux sac en cuir des mains de Marley qui ne moufte pas. Il le pose au sol sans arrêter son récit. Ma femme est décédée, j'en ai eu la confirmation là-bas, énonce-t-il, sa tristesse avalée par les cernes sous ses yeux fatigués. Le petit rouquin fixe maintenant ses pieds sous le bord du bureau, les mains posées sur ses genoux vêtus d'un jean neuf, pour faire bonne impression. Et puis, j'l'ai trouvé lui, Marley, mon fils, apparemment. J'savais pas que Kate était enceinte quand elle est partie. À la mention de son prénom, le plus jeune jette un coup d’œil à son père. Ce dernier lui prend brièvement l'épaule, réunissant les mots suivants au sein de son esprit. Il était gardé par un couple, isolé au milieu des bois, qui avaient connu Kate, et qui s'occupaient de lui comme ils pouvaient. Des vieux sorciers, qui vivaient de pas grand-chose honnêtement. Je dis "vivaient", parce qu'ils ont dû prendre un portoloin ou je sais pas, mais ils ont disparu après m'avoir dit tout c'que je devais savoir pour récupérer le gosse. Owen retire la main de Marley, qu'il a plaquée contre son nez pour en examiner les odeurs.
— Voilà donc j'ai appris que j'ai un fils de onze ans, bientôt douze, qui n'a jamais montré de signe de magie, et qui est malade de lycanthropie depuis qu'il est tout petit. L'annonce sonne comme une bombe, lâchée au milieu du bureau, entre un Kaelen Rowle plus qu'attentif, et un Owen Carter au regard robuste. L'enfant continue de fixer ses genoux et ses doigts, remuant les jambes nerveusement. Il a presque pas connu sa mère, elle a été tuée la même nuit où il s'est fait mordre, mais a priori elle avait sûrement déjà une morsure plus ancienne. Ça reste flou. Par contre là-bas ils l'enfermaient, ils lui donnaient pas de potion, il a jamais rien pris pour le moment. Inquiet de sentir son père sécréter de l'adrénaline, Marley se voûte à mesure qu'ils arrivent au coeur de la conversation. Moi je m'occupe de lui depuis janvier, là c'est la pleine lune dans dix jours, c'est-à-dire qu'il a l'habitude d'aller à l'intérieur d'une cabane le temps que ça se fasse, mais bon, c'est pas une vie. J'aimerais bien le ramener chez nous, à Pré-Au-Lard, avec mes filles.
Le joueur de quidditch fixe un instant Marley et passe sa main sur les boucles rousses et désordonnées de ce dernier qui garde la tête baissée. Il est pas méchant, j'ai appris à le connaître, je voulais d'abord voir ce que ça donnait avant de l'emmener en ville ou près de l'école. Hein Marley, t'es pas méchant. Tu veux aller à la maison rencontrer tes sœurs ? Owen Carter répète sa question une deuxième fois en Écossais. Le gosse acquiesce du menton.
— Avec des mots, de l'Anglais Marl'.
— Oui, confirme la voix frêle du rouquin dont les traits ne laissent aucuns doutes sur ses liens du sang avec le sexagénaire. Bon, on fait comment du coup ? Dites-moi ce que je dois faire pour régulariser tout ça au plus vite.