Intervention dans l'écrit
En remontant les escaliers menant au quatrième étage, Edwin Pope resserra légèrement sa cape autour de ses épaules. Le souvenir d’un document oublié sur son bureau lui était revenu en pleine descente vers la Grande Salle, comme un de ces éclats de pensée que l’on ne peut ignorer. Le dossier, à remettre au professeur Bower avant le déjeuner, concernait le jeune Decker – et Edwin n’aimait ni les retards ni les négligences, surtout lorsqu’ils concernaient les autres.
Il arriva devant la porte de sa salle de classe — la grande pièce baignée de lumière qui surplombait les serres de botanique — et poussa le battant sans bruit, s’attendant à la trouver vide.
Ce ne fut pas le cas.
Le premier élément qui frappa ses sens fut une odeur étrange, un parfum de fleurs tout juste écloses. Puis, le vacarme subtil d’un désordre : un battement d’ailes, un couinement étouffé, des pas précipités.
Un phénix — un jeune, aux plumes encore irisées de tons orangés — voletait gracieusement au-dessus des tables, en traçant des cercles un peu incertains. Au sol, un encrier brisé avait répandu tout son contenu sur les planches, d’où s’échappaient à présent de petites pousses, certaines déjà fleuries en orchidées de toutes les couleurs. Un furet blanc, couché sur le flanc, respirait lentement comme s’il venait de terminer un marathon, les moustaches encore frémissantes. Sous son propre bureau, Edwin aperçut deux yeux ronds et craintifs : un lapin gris, tremblant, recroquevillé contre un pied de chaise.
Et, debout au milieu de cette petite scène d’apocalypse miniature, Amanda Howcraft et Basil Bank. Amanda, baguette levée mais main hésitante, jetait des coups d’œil rapides entre le phénix et son camarade. Elle portait un chapeau fleurit du plus bel effet, mais qui n'avait rien de naturel. Basil, la tignasse en bataille, était accroupi et semblait observer le furet avec un oeil critique.
Edwin franchit lentement le seuil. Son regard balaya la pièce sans dire un mot. Il s’avança de quelques pas, le bruit mesuré de ses talons résonnant doucement contre le parquet constellé de fleurs. D’un mouvement fluide, il s’abaissa pour examiner le furet, effleura les pétales d’une orchidée incongrue qui poussait entre deux lattes, puis se releva, mains croisées dans le dos.
Enfin, sa voix s’éleva. Calme. Froide comme une surface polie.
- Miss Howcraft, Mr Bank… Je suppose que ce n’est pas le fruit d’un simple exercice sur la transmutation d’objets inanimés.
Il jeta un bref regard au lapin, puis au phénix, qui s’était posé, majestueux, sur l’un des globes du fond de la classe.
- Permettez-moi une remarque : il est assez rare qu’une session de révision se solde par l’apparition d’un animal légendaire, la floraison spontanée de mon parquet, et la présence simultanée d’un furet sonné et d’un lapin traumatisé. Je vais donc vous demander un rapport précis, structuré... et surtout sincère.
Un silence pesant s’installa. Il le laissa durer juste assez pour peser sur leurs épaules.
- Vous avez trois minutes pour vous accorder sur une version des faits qui ne m’insultera pas. Je vous conseille de ne pas les gaspiller.
Il désigna une chaise d’un léger geste de la main, puis ajouta, le regard encore posé sur les fleurs répandues du sol :
- Et si l’un de vous envisage de commencer par “je ne sais pas comment c’est arrivé”, je préfère vous prévenir : je suis très difficile à duper, et peu enclin à la crédulité.
Puis il s’installa calmement sur le rebord de son bureau, les bras croisés, le regard fixe, prêt à écouter. Ou à juger.