Est-ce qu'elle-même lancerait de l'acide sur un autre élève ? Pas sûr, mais ça peut servir dans d'autres circonstances, nan ? Un peu frustrée de n'avoir pas réussi le sortilège, Alison jette un œil au parquet à peine abîmé, puis tourne la tête lorsque Sam rate sa riposte et se fait propulser au sol. Ça va ? demande-t-elle de façon rhétorique alors que la Poufsouffle se redresse immédiatement. En venant ici, la cadette Carter ne pensait pas s'entraîner sur les mannequins à la base, mais simplement continuer d'organiser ses révisions et trier ses fiches de l'année dernière. Finalement les voici en train d'envisager couper le bras de leur adversaire, ou lui lancer de l'acide en pleine figure pendant le tournoi.

Elle inspire. Elle a passé de nombreuses heures à réfléchir aux épreuves cet été. Ils auront le temps de se préparer à chaque fois, donc elle pourra focaliser son esprit sur les essentiels, contrairement à maintenant, où elle essayer d'anticiper absolument tout. Bon, décide-t-elle à haute voix en reprenant sa baguette dans la bonne main. Il s'agirait d'être capable de créer le jet d'acide quand même, on ne sait jamais. 

La Serpentard tend le bras et visualise une giclée brûlante dissoudre son adversaire de bois. À nouveau, elle dessine une spirale, qu'elle barre d'un trait sec en prononçant distinctement Acidileus !

Ça ne change rien entre la paume ou la baguette ; une goutte tombe directement au sol, et donne un résultat semblable à celui de son premier essai. Celui-là, il veut pas, commente-t-elle, toutefois déjà prête à ressayer. 

Après un regard lancé au bras en bois qui gît par terre, Alison croise l'air enthousiaste de Sam et lui sourit en retour. Un contact visuel bref, interrompu lorsque le seul bras valide de son mannequin se lève et qu'elle évite de justesse un sortilège lancé avec lenteur. Ils sont un peu hargneux, on dirait des Gryffondor de 1ère année, surenchérit la cadette quand elle entend sa voisine râler à son tour à cause d'une attaque surprise. La formule que prononce immédiatement cette dernière fait tourner la tête d'Alison. Le flux acide, carrément, commente-t-elle, avant d'assister à l'échec du maléfice. 

— Bah ouais mais si tu t'vois pas l'faire, ça peut pas fonctionner, rétorque la cadette Carter, sans animosité, reprenant simplement un principe simple de la magie : la volonté, souvent matérialisée sous forme de visualisation. Et comme l'adversaire de Sam semble prêt à riposter, l'Écossaise étire ses lèvres en coin. Tu vois, il a pas peur de toi, il a capté. De son côté, elle fixe le modèle amputé d'un bras et toujours vaillant, et tend sa baguette, déterminée à se tester. Au tournoi, ils n'auront pas le temps de réfléchir à la sécurité de chacun, pense-t-elle, puis l'entraînement est fait pour ça, nan ? La Serpentard change sa baguette de main, et met cette main dans son dos, pour tendre l'autre, et dessiner une petite spirale, barrée d'un trait sec. Acidileus, prononce-t-elle, déterminée.

À quelques centimètres de sa paume, une goutte tombe directement au sol, et donne un résultat semblable à celui obtenu par Sam. Écoute, si c'est autorisé, c'est qu'ils gèrent les dégâts après, mh ? interroge-t-elle à haute voix, une légère inquiétude au fond des yeux.

Viser la perfection, c'est le moyen qu'à trouvé Alison pour garder le contrôle sur les choses. Avoir des Optimal, une frange lisse, des tenues propres, un emploi du temps organisé ; ça lui permet d'être présente et d'avoir un impact sur son destin. Les yeux plissés de Sam ne sont qu'une seule paire parmi d'autres, à juger son besoin d'atteindre l'excellence. Tant pis, elle s'imagine qu'elle les laissera derrière lorsqu'elle-même avancera plus loin et plus haut que la majorité des étudiants ici. Le fera-t-elle vraiment ? Elle aime croire qu'un monde l'attend, où elle sera la meilleure, admirée, enviée. Elle travaille pour ça. 

Alors qu'elle libère son mannequin de l'entrave du sortilège de lévitation, le changement de ton de la Poufsouffle ne manque pas d'éveiller la curiosité d'Alison. Du coin de l'œil, elle l'aperçoit commencer la chorégraphie des duels de sortilèges, qu'ils apprennent afin de ne jamais rester immobiles. Pourquoi pas. La cadette préfère rester calme de son côté, et prendre le temps d'améliorer ses intonations et des gestuelles avant de se mettre en réelles conditions. Le claquement vif du bombarda résonne dans la pièce. Wah, réagit l'adolescente en voyant l'adversaire de bois de sa voisine exploser. 

Galvanisée par l'énergie de l'Anglaise, Alison décide aussi d'essayer un sortilège un peu plus détonnant. Elle se rappelle nettement d'un triangle qui tranche la matière et n'attend pas une seule seconde pour pointer sa baguette en direction du mannequin qui vient à peine de se relever. Abstergo ! 

L'un des bras du mannequin tombe sous le regard médusé de la cadette. Elle ne s'attendait pas à réussir du premier coup. Elle jubile. Putain c'est bon ça.

Pas sûr qu'Alison ait remarqué la confusion de sa camarade. Si elle avait cherché à provoquer une émotion particulière chez Sam, elle aurait observé attentivement sa réaction, et si besoin, aurait essayé de rajuster la trajectoire. Cette fois, l'étudiante voulait juste donner un conseil en rappelant ce qui avait semblé fonctionner auparavant. De toute façon, elle remarque du coin de l’œil que la sportive a repris ses réflexes, alors même qu'elle  minimise l'échec de la cadette. C'est raté parce que c'pas parfait. J'aime bien quand c'est parfait, répond-t-elle en fixant son mannequin sur lequel sont toujours collés quelques fils de toile d'araignée. L'objet remue ses bras, continuant de faire des feintes, volontaires ou non. Il doit décoller du sol complètement. Peut-être qu'il faut qu'elle ramène son poignet vers l'intérieur à la fin pour lui donner un peu d'énergie, comme une signature ? Elle attend, sa baguette prête à dessiner le fameux S. 

La formule prononcée par Sam attire son attention. La cible voisine s'anime à nouveau. C'était mieux j'ai l'impression, commente-t-elle, alors que soudain, son propre adversaire de bois tend enfin le bras. Plus rapide, anticipant le moindre mouvement du modèle, Alison ne perd pas une seconde. Levicorpus ! 

Pour la troisième fois, le mannequin tombe en arrière, jambe en l'air. Sauf qu'il paraît bloqué, incapable de s'en sortir seul. L'Écossaise réfléchit. Ok. Donc c'était pas ça, mais presque. 

Avoir une adolescente scolarisée ans pour substitut de mère et un colosse en dépression à la place d'un père n'était pas cool, non. C'était sûrement cool du point de vue de Charlie, trop jeune, épargnée par tout le monde, enveloppée dans une bulle d'amour. Mais Alison avait été la gosse du milieu ; celle qui doit montrer l'exemple à sa petite soeur, celle qu'on oblige à grandir, à comprendre, à enfouir ses enfantillages, alors qu'elle n'avait que six ans. On lui a demandé de se taire, de faire preuve de patience, d'arrêter ses caprices, de penser au bien-être du foyer. Elle a refusé. En totale opposition, elle a bâti des murailles qui l'empêchent aujourd'hui de réellement s'attacher aux gens. Elle avance en solitaire, et se contente d'hausser les épaules à l'enfance imaginaire que lui prête sûrement Sam, loin d'avoir envie de se confier. 

Face à l'acharnement de la Poufsouffle, mais aussi ses échecs, la cadette Carter étire ses lèvres roses. Tu devrais refaire le truc, ton échauffement là, suggère-t-elle, une certaine malice dans la voix, qu'on pourrait confondre avec de la moquerie, sauf que c'est juste le souvenir de l'agitation soudaine de Sam qui lui donne un léger sourire. 

De son côté, elle tente d'améliorer son premier essai sur le maléfice de lévitation corporelle et dessine d'abord plusieurs fois le S en restant muette, sans arrêter de surveiller la cible. Lorsqu'elle se sent prête, elle recommence.

— Levicorpus ! Encore, le mannequin tombe en arrière à cause de la force invisible qui suspend sa jambe dans les airs par la cheville. Et encore, le maléfice se brise vite, et il se redresse, indemne. L'Écossaise affiche une moue dubitative. J'ai raté un truc, ajoute-t-elle, en fouillant au fond de sa mémoire. 

Très tôt plongée dans les études pour oublier la dégringolade catastrophique de son foyer aux yeux du monde, Alison a compris que le savoir, c'est le pouvoir, et qu'en se donnant les moyens, elle aurait les outils pour affronter le reste de sa vie. Partir à l'étranger, devenir consultante, s'acheter des fringues de grandes marques et visiter les plus beaux hôtels ; ça se mérite, c'est atteignable avec la volonté, elle en est convaincue. Nombres de femmes qui ont réussi peuplent ses magazines, alors pourquoi pas elle un jour ? Des rêves d'ados, penserez-vous, mais au moins elle se voit autre part qu'enfermée au sous-sol d'Owen Carter Quidditch, à laisser son futur lui filer entre les doigts. 

L'admiration de Sam provoque un demi-sourire de fierté à la Serpentard qui reste concentrée sur son mannequin. Celui-ci pointe sa baguette dans plusieurs directions, sans qu'un sortilège n'en sorte systématiquement. La gestuelle suffit à mettre Alison en alerte. Du coin de l’œil, elle aperçoit la fine toile lancée par sa voisine et sans tourner la tête, elle l'écoute maugréer. 

— Ouais on en a un vieux tout déglingué à la maison. Il s'appelle Aérolithe pace qu'il servait à l'entraînement de Quidditch de mon père à l'époque ; il lançait des cognards normalement. Fin, après ma soeur nous l'animait pour qu'on joue avec, genre on l'habillait et tout, donc j'ai déjà vu faire, explique la rouquine alors que son propre mannequin entame un tour sur lui-même. C'est le moment qu'elle choisit pour tenter une autre formule qu'ils n'ont jamais vu en classe, sauf dans les grimoires. Baguette tendue, elle l'élève, puis l'abaisse en dessinant un S volontairement déformé. Levicorpus !

Aussitôt, le mannequin tombe, légèrement renversé en arrière, une jambe au-dessus du sol, suspendue dans les airs par une corde imaginaire qui serait attachée à sa cheville. L'Écossaise observe le résultat, mais le maléfice se brise vite, et la silhouette se redresse, indemne. Bon début, sourit-elle, visiblement captivée par l'idée d'explorer sa liste de formules. 

Alison se demande brièvement si Sam connaît les rumeurs qui courent sur elle depuis la première année. Bien sûr, ça a commencé en se posant la question de si elle était une fille, ou un garçon. Puis les jeunes élèves ont voulu savoir pourquoi elle n'avait que des potes parmi les garçons, puisqu'elle était une fille. Puis on s'est demandé si elle avait un problème d'identité. En troisième année, des Serpentard ont supposé qu'elle devait aimer ça, traîner avec des gars, même aux vestiaires, même dans les dortoirs.

Et comme Sam n'était pas du genre à chercher la merde, à exposer sa vie privée, ou à se prêter au jeu des ragots, les histoires se sont tassées progressivement, sans que personne n'ait plus rien à redire à propos de la Poufsouffle maintenant.

Lorsqu'elle projette sa toile, Alison manque d'observer, elle-même attaquée par son propre mannequin. Elle évite de peu un éclair en se décalant sur le côté, et tend sa baguette. C'est une croix regarde, se dépêche-t-elle d'annoncer, prête à riposter face à son adversaire d'entraînement. 

— Aranea Telam ! Le bout de Lilly lovedoll déchire l'air en diagonale de gauche à droite de haut en bas, et de droite à gauche de haut en bas toujours. Immédiatement, une toile enveloppe la cible qui s'en trouve gênée dans ses mouvements. En vrai c'est la deuxième fois d'ma vie que j'le fais, avoue la cadette.

Le sourire de Sam contamine la Serpentard qui étire une moue de satisfaction à son tour, sans pourtant lâcher des yeux les deux mannequins bien réveillés en face d'elles. Maintenant, il faut assurer. Sa voisine ne perd pas une seule seconde et attaque déjà son adversaire d'entraînement. Pendant le tournoi, les étudiants devront riposter sans réfléchir aux formules ou aux gestes associés. Pour le moment, la cadette récite encore les enchantements comme des mantras. Lorsqu'elle tend sa baguette, c'est en parcourant un grimoire mental, rangé à l'avant de son esprit, révisé le soir avant de s'endormir. 

Imitant Sam, la sorcière choisit un sortilège d'attaque d'un niveau supérieur aux BUSES. Quitte à être ici, autant en profiter pour tester des trucs ; c'est le but, non ? Elle pince ses lèvres, pioche parmi les premiers mots, et dessine une croix.

— Aranea Telam ! s'exclame-t-elle, et c'est bien la première fois de sa vie. Immédiatement, une toile d'araignée jaillit du bout de Lilly Lovedoll, assez large pour emprisonner son mannequin. Efficace, souffle la cadette qui ne s'attendait pas à réussir tout de suite.

Comme la Poufsouffle, elle se laisse distraire par l'exécution du sortilège et oublie d'en profiter pour enchaîner. Après quelques secondes, le mannequin se défait de l'emprise de la toile, prêt à surenchérir. Putain ils sont bien réveillés, commente Alison.

— C'était pas des notes, c'était des tâches d'encre nan ? taquine Alison en observant du coin de l’œil la réaction du Poufsouffle. Leur feuille est désormais divisée en plusieurs parties à l'instar des exercices qu'ils viennent d'effectuer. Chaque section porte un titre, un résumé de la consigne, et bientôt la description de chacune des tentatives des deux élèves. Les échecs sont annotés d'un visage triste, et les réussites d'un visage souriant.

Lorsqu'elle redresse la tête en entendant Sam appeler à l'aide, la cadette remarque le départ précipité de Ferguson et se redresse à son tour. Y'a quoi ? Il lui faut un certain temps pour capter la taille du genou d'Ambrose. 

En approchant, elle comprend que Sam s'est ratée sur le sortilège de soin, et voit Ferguson échouer. Son nez se fronce.

L'adolescente cherche le professeur du regard, mais celui-ci semble ailleurs. Son attention revient en direction du blond. Le demi-vélane est en mauvaise posture. C'est pas logique, ça devrait fonctionner, prononce-t-elle à haute voix avant de réciter mentalement son cours théorique. "Il soigne des blessures mineures, comme un nez cassé ou une lèvre fendue." Une rotule désaxée, c'est ok, nan ? Vous avez bien dessiné un cercle ? demande-t-elle en hésitant à essayer, baguette en main. C'est au programme de sixième année, mais il fait partie du quotidien des sorciers, et du foyer Carter. 

Eux aussi ont fait un cercle. Tant pis, ça commence à trop durer. J'avais réussi sur Sasha au début de l'année. Sans réfléchir davantage, Alison se lance.

- Episkey, prononce-t-elle en faisant tourner Lilly Lovedoll au-dessus du gonflement. Au bout de quelques secondes le genou du Poufsouffle a déjà nettement désenflé, au grand soulagement de ce dernier. Pas parfait, mais satisfaisant. 

Contrairement aux sorciers issus de familles moldues, les jeunes qui grandissent entourés de magie testent souvent des sortilèges sans regarder le niveau requis pour les effectuer. Peut-être car ils voient leurs parents les exécuter au quotidien, peut-être car ils ont une approche moins scolaire de la pratique magique. Quoiqu'il en soit, Alison aussi aime se confronter à des formules et des gestes plus techniques quand elle en a l'occasion, juste pour voir.

Alors que leurs premiers espoirs s'envolent, Sam récapitule le dessin du bout de sa baguette sous l’œil attentif de l'Écossaise. Soudain, elle penche curieusement la tête, prenant momentanément des airs naïfs. What the- est-ce que la Poufsouffle est en train de s'échauffer comme avant un match de Quidditch ? La rouquine peut pas s'empêcher de ricaner légèrement. Nan mais c'est pas con, rétorque-t-elle immédiatement, tandis que la batteuse se remet en position. Certains profs apprennent d'ailleurs aux élèves à s'étirer ou préparer leurs épaules parfois avant de longues séances de magie. Bon, le craquement des os, elle aurait pu s'en passer par contre. Le pire, c'est que ça fonctionne.

— Bien joué ! La cadette Carter sourit malgré la déception de ne pas avoir été la première à réussir le sortilège. Elle préfère être meilleure que les autres ; c'est une histoire d'égo. À son tour, elle roule un peu ses poignets. Rien à voir avec l'échauffement de la blonde, évidemment, mais ça a le mérite de la conditionner. Allez, prononce-t-elle machinalement en visualisant le mannequin inerte prendre vie aux côtés de son collègue. Bras tendu, elle se lance. Anima Onmat !

Comme réveillé d'un lourd sommeil, le mannequin prend vie et se met immédiatement en position d'attaque. Putain, j'ai l'impression qu'il va nous lancer un sortilège !

Au premier abord, les deux adolescentes n'ont pas grand chose en commun. Entre les jupes d'Alison et les baggys de Sam, un monde entier s'étale, d'hésitations devant le miroir, et de confiance mise à rude épreuve. L'une veut tout contrôler, l'autre se contente d'un style pratique et confortable, aux antipodes des tenues de la cadette Carter. Cette dernière regarde la Poufsouffle qui se prépare, puis lance son sortilège. Est-ce que Sam rend son baggy cool, ou est-ce que le baggy est cool, même sans Sam ? se demande-t-elle, avec son éternelle fixation sur l'apparence des gens. Bummer, souffle l'Écossaise lorsque le mannequin retombe, aussi inerte qu'avant. Elle acquiesce et se positionne devant les cibles à son tour. 

— Tant pis, ça vaut quand même pour des révisions, ajoute-t-elle d'un haussement d'épaules, consciente que chaque formule maîtrisée pourra servir aux concurrents du tournoi, et même au-delà. Elle prend le temps d'imaginer la silhouette d'entraînement en mouvement, ses prunelles harponnées à celle qu'elle a décidée de viser. Alison inspire, le bras tendu. Anima Onmat !

Le mannequin tourne sur lui-même et retombe au sol, comme mort. J'suis pas sûre de mon geste, t'as quoi en tête toi ? demande la Serpentard en observant Sam. 

La cadette Carter croise le regard de sa soeur parmi les têtes des élèves attablés chez Serdaigle. Quand le tout nouveau directeur adjoint de Poudlard, Sir Edwin Pope, prononce les derniers mots du discours et fait apparaître le festin tant attendu, elle n'y pose même pas un œil. Ce soir les conversations joyeuses résonnant dans la Grande Salle sonnent creux, vidées de substance noétique. Ali, sérieux, si t'as besoin de parler j'suis là, répète Gwen pour la dixième fois depuis cette fin d'après-midi, les sourcils arqués de fausse compassion. Alison lui jette un regard noir tandis que des mains se tendent autour d'elles, saisissant ici un muffin à la citrouille, là une part de tourte, plus loin des cuillerées de petits pois. Arrête Gwen, ça fait deux heures qu'on est là et tu m’soûles déjà, rétorque sèchement la rouquine, provoquant l'indignation de son amie, et d'autres filles à leurs côtés. Mais la Serpentard les ignore, occupée à rajuster sa frange, impatiente de quitter la table et la vision tentatrice du pudding au chocolat. Euuuh, on peut savoir c'que j'ai dit ? questionne sa camarade, elle-même largement servie en haricots blancs à la sauce tomate et pommes de terre farcies. Alison lorgne sur son assiette, la sienne toujours vide. Muette, elle commence par prendre une châtaigne grillée encore fumante, et l'épluche sans répondre. Ali ? insiste Gwen.

L'écorce brûle les doigts de l'adolescente. Elle stoppe son geste. Va t'faire foutre, dit-elle avant de recommencer à éplucher la châtaigne, sous les yeux écarquillés des filles de son dortoir. L'une d'entre elles tâche le col de sa chemise neuve, d'un blanc éburnéen, la bouche entrouverte. Anh- c'est bon, on n'est plus des gamines, s'agace Alison, pourtant terriblement immature à bien des égards. 

Quiconque avait tenté une conversation à propos d'Owen ou Kate Carter avec Alison s'était heurté à un mur froid, construit de briques d'amertume, d'une colère qui fermait la porte à toute prise d'informations ou de condoléances. Même Horace, tonton de cœur des filles, n'a pas reçu meilleur accueil, sauf peut-être que l'adolescente s'est contentée d'abandonner la fleur offerte sur le rebord de sa fenêtre de dortoir, plutôt que de la jeter. Caressée par les lueurs verdâtres du grand lac noir, elle a séché là, aussi morte que Kate Carter, jusqu'à ce qu'Alison ne la saisisse pour la balancer au feu, enragée, un soir de lourdes méandres. 

Le silence de Sam lui convient, ça change des curiosités mal placées, des morbides mièvreries, du ton formel des articles de presse. Rien de tout ça ne va. Personne ne peut comprendre, et personne ne comprendra jamais, ce qui s'écroule dans la tête d'une jeune fille de seize ans, après dix années accrochée encore à l'espoir d'un jour, revoir sa Maman. Qu'ils aillent se faire foutre, ceux essayant d'y mettre des mots.

Ses prunelles glissent sur le profil androgyne de la Poufsouffle qui critique ses travaux d'organisation sous couvert de plaisanterie. La curiosité motive les Serdaigle. Moi j'veux réussir, rétorque la rouquine, parfois comparée à sa benjamine, dont les gens oublient trop souvent de considérer les dessins autour des marges de ses grimoires, et l'imagination débordante de son esprit, en dépit du fait qu'elle soit, effectivement, aussi studieuse qu'Alison. L'attaque ça m'va, ajoute-t-elle, un regard déterminé en direction des mannequins d'entraînement, puis vers Sam. 

Quand cette dernière duplique grossièrement leurs parchemins, la Serpentard se retient d'une remarque. Toi, par contre, t'es pas Serdaigle, pense-t-elle sans le dire, finalement rassurée que l'étudiante n'ait pas copié ses notes à l'identique. Merci, se contente de répondre Alison, avant d'aller en direction des mannequins. Elle retrousse correctement ses manches, et s'approche assez du fond de la salle pour pouvoir viser l'une des créatures de bois et de tissus. On va déjà essayer de les mettre en mouvement. C'est un sortilège qu'ils apprennent après les BUSES, c'est pas gagné. Après une courte pause de concentration et de mentalisation du résultat, la sorcière dessine le geste en prononçant la formule. Anima Onnat !

Viser l'ensemble des figurines n'était pas une bonne idée. Quelques grincements se font entendre, mais aucune d'entre elles ne s'animent. Alison grimace légèrement et se tourne en direction de Sam. Tu veux essayer ? Essaye d'en faire une seule à la fois peut-être. 

Alec ? L'adolescente imagine subitement que Sam appelle son père en utilisant son prénom, loin de réaliser que la vérité est bien différente. Du haut de sa crise existentielle, Alison voit ça comme un moyen d'imposer une distance à la hiérarchie parentale. Elle aime bien. Owen va détester, et ça suffit à lui donner une raison d'avoir envie de le faire. D'autant plus que le daron de la Poufsouffle a l'air un minimum tolérant avec les ambitions de sa fille. T'as d'la chance, se contente-t-elle de soupirer en rajustant sa frange.

À l'évocation de Ferguson, elle acquiesce, se souvenant des projets estivaux du brun ; de bosser en juillet, puis d'aller camper au pays de Galles entre potes au mois d'août. Cool. Ils ont dû s'éclater, penses-t-elle, toujours endeuillée par l'annonce du décès de sa mère, et le retour catastrophique de son père au 76 Grand-Rue. 

Heureusement que la 6ème année reprend le sujet principal de la conversation et se désintéresse de l'été d'Alison. Cette dernière tourne la page aussi vite dans sa tête, penchée sur la liste de sortilèges et les stratégies de la Poufsouffle. Ouais je vois, c'est clair que les informulés et la manumagie, c'est obligé, on sait pas c'qui peut arriver, il faut vraiment travailler ça. Agréablement surprise du début d'organisation pour les révisions de Sam, elle lit attentivement les formules en faisant glisser son doigts d'une ligne à l'autre. Mh, c'est sûr, c'est la base. Les quatre là, on va les revoir en cours, ils sont encore au programme en octobre, donc tu peux les enlever et prendre du temps ailleurs. Par contre il te manque des matières nan ? Elle fouille parmi ses parchemin et sort une feuille d'une cinquantaine de centimètres, nommée "Révisions Tournoi" et divisée en trois colonnes. ENVIRONNEMENT | ATTAQUE | DÉFENSE, chaque colonne scindée en catégorie, où la cadette a utilisé un code couleur qu'elle explique. En vert, les faciles, qu'on doit juste revoir, mais qu'on connaît bien quoi. En orange, ceux qui sont au programme dans les prochaines semaines. On peut les revoir, mais c'est pas urgent, sauf si t'as des difficultés quelque-part. Et en rouge, c'qui sera utile, et que les profs ont pas forcément prévu de nous faire réviser. Après, j'sais pas si on aura d'autres cours de soutien par exemple. Sous le tableau, d'autres sortilèges n'entrent dans aucune colonne. 

— Là, c'est des sortilèges du deuxième et troisième trimestre, et de 7ème année. On les verra pas avec les profs, donc si j'ai le temps, j'aimerais en connaître une petite dizaine. Elle observe la réaction de Sam, et puis prend la baguette, Lilly Lovedoll, et avance un peu dans l'allée. T'as une préférence pour commencer ? Autant qu'on bosse le même truc, on pourra se conseiller.