Je crache un peu d’eau, un peu d’algue, et peut-être aussi une vieille émotion mal conservée dans un coin de mon estomac. Et soudain : la lumière du jour. La vraie ! Celle qui chauffe les joues, fait cligner les yeux, et te rappelle que les lunettes de plongée, c’est pour les faibles. Puis y a Charlie. Charlie qui déboule vers moi comme une tornade émotionnelle montée sur ressorts. Elle parle, elle rayonne comme si elle avait gagné à un concours de bonheur.
Je souris, mais avec la bouche pâteuse d’un escargot qui aurait survécu à un ouragan. Mon souffle fait le bruit d’un flan battu à la louche. Et mon cœur tape contre mes côtes comme un hibou enfermé dans un tiroir trop petit. Elle me demande si j’ai eu mal, d’un ton doux comme une crème tiède. Pendant que ses doigts ultra professionnels retirent une algue de mes cheveux. Une algue qui s’était clairement proclamée coiffeuse personnelle et propriétaire de mon cuir chevelu. Je voudrais lui répondre un truc profond, genre la douleur est une illusion du mental, mais j’ai encore des bulles dans le cerveau. Nan. Je tousse à la place, comme une théière mal réglée.
Et là, quand elle parle du calamar, mes yeux s’ouvrent comme deux hublots en panique. Mais c’est lui qui m’a évité ! Je suis une menace crédible, Charlie. Une sirène vénère. Je crois qu’il m’a reconnue. D’âme de la mer à mollusque géant, on a eu… une connexion muette. C’est totalement faux. J’ai rien vu du tout. Mais faut pas laisser la vérité gâcher une belle histoire.
Charlie scrute les alentours, concentrée. Moi, je la regarde comme si elle avait volé un bout de la lumière pour le coller dans ses pupilles. Ses mots flottent autour de moi, légers comme des petits pains invisibles, et j’ai pas encore tout capté que déjà : elle me sèche.
Littéralement.
Ma chemise, qui ressemblait à une méduse affalée, reprend vaguement forme humaine. Ma jupe arrête de me faire un câlin désespéré. Je frissonne un peu, mais avec panache. Je suis une créature de feu devenue vase et redevenue feu. Ça sonne comme un poème raté, mais dans ma tête, c’est très puissant. Merci, Charlie. Je sais pas si je suis un poisson, un sandwich ou un mythe maintenant, mais au moins, je suis propre !
Et voilà qu’elle veut y aller. Direct. Même pas un biscuit entre deux aventures. Elle se tient là, bras écartés, comme un oiseau qui s’apprête à plonger dans un aquarium pour affronter son destin et quelques têtards. Et mon cœur fait des claquettes. Elle est belle, comme ça. Une sorte d’héroïne absurde, prête à en découdre avec la flotte. Alors moi, je me redresse, encore un peu vaseuse -dans le style, pas dans l’odeur oh-, et je tends la main comme une grande prêtresse de l’étrange. T’es sûre ? Une fois que t’as goûté au royaume du dessous, y’a plus de retour. Les branchies, ça gratouille dans le cou, mais c’est stylé. Et l’eau… l’eau, c’est comme un grand secret qui essaie de t’étouffer en te faisant un câlin humide.
Je hausse un sourcil, très dramatique, et je brandis ma baguette comme une brochette magique. Tiens-toi prête. T’es sur le point d’être très très humide. Je ferme un œil pour mieux viser -ça aide pas, mais ça fait genre. Je vide mon esprit -facile. Branchia Ventosa
Des branchies apparaissent bien comme il faut, pile là où il faut. Mabel la pro !
Mais bon... Pas de paillettes, pas d'effets spéciaux, mais ça fait le job. Dommage, monde cruel. Elle ressemble juste à une humaine-poisson-pas-trop-mal-foutue. Ça fait très truite des beaux quartiers.