Je flotte. Enfin, non, je nage. Enfin… techniquement, je m’agite. C’est une sorte de danse aquatique improvisée, quelque part entre un poulpe enrhumé et les convulsions d’un rideau pris dans un courant d’air. J’avance. Enfin, je crois. Parce que c’est difficile à dire, dans ce truc qui sent la vase et les secrets humides.
Je suis toujours sous l’eau, toujours avec des branchies grâce à Charlie. Et toujours équipée de mes membres qui, malgré leur motivation, n’ont pas signé pour ce genre de sport. Mes bras brassent l’eau avec l’énergie d’un pigeon désorienté. Mes jambes tentent des trucs. C’est pas toujours cohérent, mais c’est vivant. Et dans ma tête ? C’est un cirque.
J’imagine que je suis une crevette diplomate, en mission secrète dans les tréfonds d’un royaume englouti. Ou alors une loutre détective, à la recherche de l’ultime biscuit perdu. Ou peut-être une serviette oubliée dans les égouts, revenue à la vie pour accomplir sa vengeance. C’est confus, mais ça m’aide.
Je passe devant une choses qui me regarde de travers -enfin, c’est sûrement une illusion d’optique, mais il avait l’air suspicieux. Je le dépasse dignement, en me disant que je devrais peut-être lui présenter mes papiers, si j’en avais. Je n’en ai pas. Je suis en tenue de combat aquatique : une jupe collées aux cuisses comme de la pâte à crêpe, une chemise devenu algue, et plus de veste, merci bien. Elle flottait comme une méduse dépressive, je l’ai laissée partir vivre sa vie.
J’avance dans ce couloir mouillé comme dans une salade trop vinaigrée : en fermant les yeux, et en espérant ne pas croiser un cornichon géant. Je pense à Charlie. Elle doit avoir les bras qui tremblent et les pieds dans l’herbe froide. Et moi, pendant ce temps, je fais la planche nerveuse dans une flaque géante. Il faudrait que je sois digne. Mais bon. Ce serait pas très moi. Alors je continue, en grinçant des coudes et en songeant que je suis peut-être, au fond, un peu comme une soupe. Une soupe courageuse. Une soupe en mission. Et au bout, dans la brume de l’eau, il y a… quelque chose. Une lumière ? Non. Une densité différente. Un changement d’odeur. Le silence qui frémit.
C’est là.
Je ne sais pas encore quoi, ni comment, ni pourquoi.
Mais j’y arrive.
Et j’espère juste que personne ne me verra sortir, parce que j’ai probablement une algue collée au front, un air hébété, et la grâce d’un chat mouillé.
Mais bon. J’aurai survécu.
Et je pourrai dire : j’ai vu le fond, et il m’a regardée bizarrement.