Les vieilles bubulles me chatouillent les joues. Y’en a une qui passe devant mon nez. Elle est jolie. Je la suis du regard, puis je la perds. Zut. Elle avait un petit potentiel cette bulle.
Je continue d’avancer. Enfin, mon corps avance. Ma tête, elle, est partie faire un tour. Je pense à des choses très importantes, comme : Est-ce qu’un hippocampe, ça peut aller au galop ? Si j’ouvre la bouche sous l’eau, est-ce que je peux chanter ? Est-ce que les branchies, ça gratte si on éternue ? Si je rigole trop fort, est-ce que je vais aspirer le lac ?
Mais je me reconcentre. Je remue mes bras comme une magicienne qui danse mal. Je gigote des jambes, j’essaie d’éviter les trucs gluants qui flottent comme des cheveux oubliés par une sirène négligente. Je suis concentrée. Une vraie flèche. Une flèche qui tourne un peu sur elle-même, mais flèche quand même. Je pense à mon objectif. Mon but. Mon destin. Et j’me dis : Allez Mabel, t’es un missile aquatique, un têtard de guerre, une anguille motivée ! Sauf que je me cogne et fais une petite roulade sous-marine. Bon. Pas grave.
Nouvelle stratégie : la nage de l'étoile de mer paniquée. Beaucoup de bras. Beaucoup de jambes. Zéro direction.
J’esquisse une roulade pour le style, je claque de la jambe en mode sirène, et je me dis, très solennellement dans ma tête : C’est maintenant. C’est l’instant. Je suis la vague, je suis la tempête, je suis… AIE ! Je me reprends un truc en pleine cuisse. Je couine. Dans ma tête, heureusement. Sous l’eau, pas de son. Juste ma dignité qui se dissout lentement.
Mais je ne renonce pas. J’avance, je glisse, je flotte, je me redresse, je me prends à rêver. Et aussi à m’embrouiller un peu avec le sens de l’orientation, parce que tout se ressemble ici. Je tends la main. Vers quoi ? Aucune idée.
C’est le mystère. Mais c’est beau. Il n’y a rien autour, juste moi et mon envie de découvrir. D’aller au bout. De trouver un machin. N’importe quoi. Une lueur, une boîte, un objet magique ou un vieux soulier abandonné par un professeur distrait.
J’ai froid. Mais j’ai chaud aussi. C’est bizarre.
Je reprends mon sérieux. Enfin, mon genre de sérieux. Le type de sérieux qu’on trouve dans une boîte de céréales, entre deux surprises. J’enchaîne les mouvements, mes branchies fonctionnent à merveille, j’ai presque l’impression d’être née ici. Dans cette eau un peu trouble, un peu froide, un peu pleine de machins. J’aime bien. C’est doux. Et ça me fait des guilis derrière les oreilles.
Des formes sombres dansent au loin. Peut-être un rocher. Peut-être un trésor. Peut-être juste ma vision qui décide de faire une pause. Mais j’y vais. Je continue. Je suis Mabel. L’exploratrice des fonds flous. La nageuse sans boussole. La terreur des algues. Et je vais au bout du monde. Ou de l'exercice. C’est pareil, non ?