Le professeur Pope se met à parler. Longtemps. Trop longtemps. Il parle de choses, de trucs, de machins, de bidules, de je sais pas quoi... Moi, j’écoute que d’une oreille, comme un escargot sourd. Et encore, c’est une oreille du fond. Parce qu’en vrai, moi je me demande : les branchies, ça gratte ou pas ? Est-ce que ça veut aussi dire que je vais devoir renoncer aux cookies pour toujours ?
Pendant ce temps-là, mes yeux bavardent entre eux pour regarder les autres. Je vois la petite Charlie, elle a une bouille que j’aime bien. Elle sent la lavande et les accidents doux, enfin je crois. Genre comme tomber dans un gâteau. J’aime bien l’idée et le projet.
Puis, hop, j’sais pas comment on a décidé, mais voilà que moi et Charlie, Destiny, baby, on est ensemble -enfin pour l'exercice, pas pour la vie, ça se décide pas avec des paroles mais avec le regard toussa, hum, voyez.
Je saute en première ! C’est tout naturel après tout, je suis une aventurière intergalactique en mission confidentielle. Moi, j’ai pas peur de l’eau. Ni des méduses. Ni des flaques. Ni de rien, sauf peut-être des rideaux de douche qui collent.
Charlie parle de bestioles dans la flotte. Genre des bestioles moches. Genre "des trucs" pas cools. Je rigole. Amusée. Un peu apeurée… T’as peur des bestioles ? Moi aussi j’ai peur des bestioles… Mais pas dans l’eau ! Mais dans les placards. Les placards, c’est sournois !
Et puis voilà qu’elle me dit un truc gentil. Un compliment. Sur mes yeux.
Mes yeux ? Mes yeux !
AH.
Mon cœur fait une pirouette. Mon estomac tombe dans mes chaussettes.
Ohlala… Charlie elle est troooop gentille. Elle est mignonne, elle mérite même un petit bisou sur la joue, ou sur la narine peut-être !
Mais ça se fait pas. Pas tout de suite. Faudrait pas qu’elle s’évanouisse de bonheur.
Je lui fais un clin d’oeil, avec un sourire digne d’une pub pour les licornes. Tes yeux à toi aussi ils sont pas moches ! Ils brillent comme… comme… un sortilège de lumière lancé dans un seau de grenadine. C’est magnifique !
Et puis elle me jette le sort. Bam. Branchies activées. Je sens un truc dans mon corps qui se transforme, et là… C’est le moment. LE MOMENT.
Je saute dans l’eau. En BOMBE.
POUR LE FROMAGE ET LA SCIENCE !
Petit cri intérieur.
Un gros SPLASH ensuite.
Enfin, ça ferait splash si j’avais des oreilles normales. Là, j’ai des branchies, alors j’entends juste un glouglou très intense. Ou peut-être que je confonds mes oreilles et d'autres choses. C’est possible aussi.
J’aurais aimé crier très fort un POUR L’HONNEUUUUR ou un À MOI LA GLOIIIIIRE ou un QUE LA SOUPE ME SOIT FAVORABLE mais bon, branchies obligent, je me retiens. La classe silencieuse, version sous-marine.
Je commence à nager. Nage de chien, bien sûr, comme toute personne sérieuse.
Tout droit.
Tout droit.
Tout droit.
Puis…
Attends. C’est encore droit ça ? Ou j’ai tourné ? Est-ce que je fais une boucle ? Est-ce que les poissons ont un sens de l’orientation ?
Je remonte un peu, juste un p’tit coup d’œil, pour vérifier que j’suis pas en train de nager vers le Pays Imaginaire ou le lac de la cantine.
Et là.
Je le vois, au loin.
Poule en Ski. Torse nu. Tatouage magique en plein milieu de la poitrine, genre je suis une énigme à moi tout seul. Pfff il se la pète.
Et je me fige. Comme un poisson devant un hameçon doré.
Attendez… il fallait se déshabiller ?!