- Nan, nan pas la classe d'Alison, précisa rapidement Sasha, peu désireux de mêler la soeur de Freya à tout ça.
Et aux questions suivantes, il secoua tout autant la tête négativement.
- Ils voulaient juste montrer qu'ils sont des durs, grommela-t-il en haussant les épaules, et il balaya le lien avec la direction d'une main. Je leur en parlerai pas. Déjà je sais me défendre, pis ça va m'attirer que des ennuis si j'en parle.
C'était vrai de bien des manières : d'une part, parce que pour ses premières altercations avec les Serpentards, il n'avait pas été tout à fait irréprochable de son côté et qu'attirer de nouveau la lumière sur de telles bagarres ne ferait que finir par convaincre son directeur de maison qu'il cherchait les ennuis - directeur de maison dont il dépendait pour pouvoir travailler ici. D'autre part, parce qu'il n'était pas une balance : s'il l'était, il se ferait deux fois plus harceler et il le savait très bien.
Comme il n'avait rien dit de plus, les filles étaient déjà passées à autre chose, et le tablier où les lettres de son prénom étaient brodées lui tirèrent un sourire un peu embarrassé mais content.
La matinée passa relativement vite, grâce aux petites tâches et aux clients qui défilaient. Sasha s'occupa des badges comme convenu, puis il dût aller vérifier pour un client s'il ne restait pas des sweatshirt à l'effigie de l'équipe d'Ecosse en taille 12 ans dans l'arrière-boutique. Il fallut aussi rattraper un faux Vif d'Or qui s'était échappé de son sachet et réachalander certains produits pendant que Fenella faisait essayer un balai à un jeune adolescent.
Toutefois, il y avait de temps à autre des temps plus calmes, pendant lesquels la boutique se vidait quelques minutes, et tout en poursuivant leurs tâches, Fenella continuait de faire la conversation à Sasha. Au début, il était resté très laconique : oui il aimait la boutique, non il n'avait pas de petite amie. Il sera majeur l'été prochain, il ne sait pas encore s'il pourra passer son permis de transplanage rapidement.
Fenella aussi partageait un peu de sa vie à elle, avec une bonne humeur qui finissait par aider Sasha à se détendre. Un peu avant le début d'après-midi, après une dernière vague de clients qui passaient en sortant de leur travail, Fenella se percha sur un haut tabouret derrière le comptoir avec une tasse de thé, et fit signe à Sasha de venir lui tenir compagnie. Ce dernier avalait déjà le contenu de ce qui serait son déjeuner : une pomme et un petit sandwich composé de ce qu'il avait pu trouver de facile à caser dans du pain à la table du petit déjeuner dans la Grande Salle. Il se posa sur un autre tabouret, engloutissant ses vivres à grandes bouchées pour profiter du moment où la boutique était vide, avant que d'autres clients n'entrassent.
- Dis donc, quel appétit, commenta Fenella en riant. Tu dois faire honneur aux mets de Poudlard, toi au moins ! Tu as des frères et soeurs à Poudlard ?
Sasha fit non de la tête.
- Ma famille est restée en Ukraine.
- Je vois. Ca ne doit pas être facile d'être si loin. Tu leur écris des fois ?
Sasha botta en touche en haussant les épaules.
- Bon, j'espère au moins que tu t'es fait des amis ici. A moins que tu viennes juste d'arriver ? Tu te débrouilles bien avec l'anglais.
- J'suis arrivé pour la rentrée en Septembre. Pour les amis c'est...
Il prit le temps d'avaler une dernière bouchée, pour se donner peut-être aussi le temps de réfléchir, et de collecter du bout de la langue les miettes éventuelles au coin de ses lèvres.
- C'est un peu comme pour les filles. Disons que personne n'a très envie de s'approcher des gens qui viennent d'un pays en guerre, résuma-t-il.
Fenella parut sincèrement surprise.
- Quand même, c'est pas ça qui te définit. Tu es un sorcier à l'école, après tout. Ca, c'est quelque chose que tu partages avec eux.
Sasha baissa les yeux. Fenella avait raison : ce n'était sûrement pas juste que les élèves n'étaient pas sympathiques. D'ailleurs, quelques Poufsouffles étaient plutôt ouverts avec lui. Il laissa retomber ses mains sur ses genoux en réfléchissant quelques instants.
- Je fais pas trop d'efforts en fait.
- Oh, je vois.
- J'ai pas envie.
- Pas envie d'avoir des amis ?
Il haussa les épaules. Songea vaguement à Alison, à la façon dont la soirée s'était conclue, le soir du Bal de Noël. Un baiser, puis elle était partie avec un autre garçon. Ca avait été si facile, pour elle, supposait-il. Fermer une page pour en ouvrir une autre.
- Ca sert pas à grand chose, grommela-t-il au bout d'un moment. Dans quelques mois, sûrement que je vais repartir. Alors à quoi bon.
Fenella haussa les sourcils et détourna le regard pour réfléchir à son tour quelques instants, trempant ses lèvres dans un thé bien chaud.
- C'est marrant. Quand j'étais en sixième année, il y avait une fille qui venait de Côte d'Ivoire. On est devenues très amies, mais seulement quelques semaines avant qu'elle reparte en Afrique. Du coup, depuis, on s'écrit. Et c'est plutôt chouette d'avoir une amie qui vit une vie différente de la mienne : elle me raconte les soirées chaudes sur la plage et comme les mariages sont plein de magnifiques couleurs, là-bas, rêvassa Fenella à voix haute.
- C'pas vraiment ce que je pourrai raconter d'Ukraine, répliqua Sasha, le ton morne, tandis qu'il s'était remis à mordre dans son sandwich pour le terminer pour de bon.
Fenella, dont l'humeur joviale paraissait inébranlable, trouva la réponse bougonne de Sasha plutôt amusante, et elle pouffa. Elle lui donna un petit coup de coude dans les côtes, pour essayer de le dérider.
- Ce serait sûrement super chouette d'avoir une fille à qui écrire quand t'y seras retourné, s'amusa-t-elle, arrachant à Sasha un demi-sourire gêné.
Ils retombèrent un moment dans le silence. Puis une fois que Sasha eût fait un sort à sa pomme, il passa le bout de ses doigts un à un entre ses lèvres, pour en faire disparaître définitivement le jus sucré qui s'y était déposé.
- Tu l'as déjà vu, toi, Owen Carter ? il demanda, comme ça, sans la regarder.
Fenella coula un regard vers lui, avant de faire "non" de la tête.
- Pourquoi ?
- Comme ça, répondit Sasha. J'trouve ça bizarre. C'est lui la star, mais y'a que ses filles qui triment ici, et pas un homme pour les protéger.
La jeune fille fit les gros yeux.
- J'crois pas que c'est un sujet qu'elles veulent aborder. Puis tu sais, elles se débrouillent bien toutes seules. On est au vingt-deuxième siècle quand même ! C'est pas pour te vexer, mais ça fait un bail que les hommes, on a appris à faire sans.
Sasha fit une grimace. Il se souvenait très bien chez lui, comment c'était plus son père qui avait besoin de sa mère et pas vraiment du contraire. Mais quand même.
- J'sais, c'est pas c'que je voulais dire. C'est juste que...
Il hésita. Jeta un regard vers l'arrière-boutique, dont l'entrée demeurait silencieuse.
- J'me fais sûrement des idées, mais j'sais pas. Entre la caisse et tous ces beaux balais, même s'il y a sûrement de bons enchantements de protection, j'serais pas tranquille moi, de savoir mes filles toutes seules comme ça tout le temps.
Fenella haussa les épaules.
- C'est Pré-au-Lard, tu sais. C'est calme ici.
- Mmh, fit-il, peu convaincu, avant d'ajouter à voix basse. J'sais bien qu'elles sont toutes les trois courageuses, mais ça m'embêterait qu'il leur arrive un truc.
- T'en as de drôles d'idées, se moqua Fenella - et soudain, elle bondit sur ses pieds, car un client venait d'entrer. Bonjouuur ! claironna-t-elle.